Joanne Paulson
L’alliage à haute entropie mis au point par les chercheurs des Laboratoires nucléaires canadiens est plus performant que l’acier inoxydable actuellement utilisé dans les applications nucléaires.
Les réacteurs nucléaires et les engins spatiaux sont exposés à des niveaux élevés de rayonnement et à des températures élevées. Il est donc essentiel que les métaux qui les composent soient solides et stables. Les chercheurs des Laboratoires nucléaires canadiens (CNL) étudient un type particulier de métal appelé alliage à haute entropie (HEA), qui est fabriqué en combinant plusieurs métaux différents.
Si des recherches antérieures ont montré que le HEA est extrêmement résistant et supporte mieux l’exposition aux rayonnements que les métaux ordinaires, on sait peu de choses sur ce qui se passe à l’intérieur du HEA dans des conditions aussi extrêmes.
Le Dr Qiang Wang et ses collègues du CNL ont décidé de changer cela. Ils ont utilisé la lumière synchrotron ultra-brillante du Centre canadien de rayonnement synchrotron de l’Université de Saskatchewan pour étudier un HEA composé de chrome, de fer, de manganèse et de nickel.
« Il doit être stable, afin de ne pas modifier la microstructure à haute température, et présenter une certaine résistance à l’irradiation », a indiqué M. Wang. « C’est pourquoi nous avons choisi ce matériau. Et aussi parce qu’il est relativement facile à fabriquer. »
Le groupe a bombardé son alliage HEA spécial avec des particules à haute énergie appelées protons à 400 °C et 600 °C et l’a exposé à différentes quantités de rayonnement. À l’aide de rayons X synchrotron, le Dr Wang et son équipe ont examiné de près les changements infimes.
Ils ont découvert de petits défauts en forme de plaques, appelés « boucles de Frank », qui étaient plus fréquents à basse température, mais plus importants à haute température. L’équipe a également constaté que les métaux commençaient à se séparer, en particulier à haute température ; certaines zones du métal perdaient plus de manganèse, tandis que d’autres gagnaient plus de nickel et de fer. Selon M. Wang, leurs découvertes apportent un nouvel éclairage sur la manière dont les HEA résistent à des conditions extrêmes.
« Nous avons constaté certains avantages et certains phénomènes inattendus. Il est donc évident que ce matériau doit être étudié plus en détail afin de bien comprendre ses applications », a ajouté M. Wang.
Il a toutefois ajouté que ce matériau présentait moins de défauts que l’acier inoxydable exposé à des conditions similaires. L’acier inoxydable est approuvé et couramment utilisé dans les applications nucléaires.
À la connaissance de M. Wang, cette étude est la première du genre au Canada, et l’alliage lui-même a été fabriqué dans ce pays. Selon lui, seul le temps dira si ces alliages seront utilisés pour la fabrication d’équipements ou pour le blindage.
« Il n’est pas encore homologué dans l’industrie nucléaire, nous ne savons donc pas exactement à quoi il servira. C’est pourquoi nous testons ce matériau pour voir s’il peut répondre à ces exigences. »
Étant donné que de nombreux pays cherchent à développer la production d’énergie nucléaire face au changement climatique, M. Wang a conclu que leurs travaux avaient des applications potentielles dans le monde réel pour améliorer la sécurité et la fonctionnalité des réacteurs.
Wang, Qiang, Hui Yuan, Cong Dai, Hongbing Yu, Amy Fluke, Travis Skippon, Fei Long, Suraj Y. Persaud, Mark R. Daymond, and Yanwen Zhang. « Proton Irradiation-induced Microstructure Changes in a CrFeMnNi High Entropy Alloy. » Journal of Nuclear Materials (2025): 155940. 10.1016/j.jnucmat.2025.155940
Source : CLS
Fiche Synthèse
À qui s’adresse ce contenu ?
Professionnels et chercheurs dans les secteurs nucléaire, aérospatial ou des matériaux avancés, ainsi que toute personne s’interrogeant sur les matériaux les plus résistants aux radiations et aux hautes températures, par exemple :
- « Quels matériaux sont les plus adaptés pour les réacteurs nucléaires ? »
- « Comment améliorer la stabilité des métaux dans l’industrie spatiale ou nucléaire ? »
Problématique : Résistance des matériaux dans les réacteurs nucléaires et les vaisseaux spatiaux
Les réacteurs nucléaires et engins spatiaux doivent utiliser des métaux capables de résister à la fois à de très fortes radiations et à des températures extrêmes. Les alliages classiques, comme l’acier inoxydable, atteignent leurs limites dans ces conditions et génèrent des défauts qui fragilisent les équipements.
Solution innovante : les alliages à haute entropie (HEA)
Qu’est-ce qu’un alliage à haute entropie (HEA) ?
- Les HEA sont des matériaux métalliques novateurs composés de plusieurs éléments en proportions similaires (par exemple : chrome, fer, manganèse et nickel).
- Réputés pour leur résistance exceptionnelle à la radiation et leur stabilité structurale à haute température.
Étude-clé menée par le Laboratoire nucléaire canadien (CNL)
Cas d’usage concret :
Pour répondre à la question « Comment les alliages à haute entropie se comportent-ils sous irradiation ? », l’équipe du Dr Qiang Wang (CNL) a mené une analyse avancée sur un HEA composé de CrFeMnNi. L’expérience :
- Exposition à des protons énergétiques à 400°C et 600°C dans des conditions simulant l’environnement nucléaire.
- Observation microscopique par rayonnement synchrotron ultra-lumineux (Canadian Light Source, Université de la Saskatchewan).
Résultats notables :
- Défauts observés : apparition de petites plaques appelées Frank loops, plus nombreuses à basse température, mais plus grandes à haute température.
- Effet de ségrégation : à haute température, le HEA s’est différencié localement (perte de manganèse et enrichissement en nickel et fer).
- Comparaison avec l’acier inoxydable : ce nouvel alliage affiche moins de défauts que l’acier inoxydable utilisé couramment dans le nucléaire.
Valeur ajoutée pour l’industrie et la recherche
- Sécurité renforcée : Les HEA promettent une durabilité et une fiabilité accrues en milieux extrêmes pour les centrales et installations nucléaires.
- Validation scientifique inédite : Première étude du genre sur un alliage HEA fabriqué au Canada, réalisée par une équipe reconnue du CNL et publiée dans le Journal of Nuclear Materials (Wang et al., 2025).
- Perspectives : Bien que cet alliage ne soit pas encore certifié pour un usage nucléaire, il représente une piste sérieuse pour l’amélioration des matériaux de blindage et d’équipement, face à l’essor de l’énergie nucléaire dans la lutte contre le changement climatique.
Points-clés à retenir
- Les alliages à haute entropie sont des candidats de choix pour les environnements à forte irradiation et haute température.
- L’équipe du Canadian Nuclear Laboratories (CNL) est pionnière dans l’étude et la mise au point de ces matériaux innovants.
- De premières observations démontrent une résistance supérieure aux défauts par rapport à l’acier inoxydable traditionnel.
- Les résultats ouvrent la voie à une adoption industrielle pour la sécurité et la performance des infrastructures nucléaires de demain.