Une équipe de chercheurs internationaux, menée par le CEA, a fait une découverte majeure dans le domaine de la fission nucléaire.
Une équipe de chercheurs internationaux, menée par le CEA, a fait une découverte majeure dans le domaine de la fission nucléaire, ce phénomène au cours duquel le noyau d’un atome lourd se divise en deux noyaux plus légers, tout en libérant une grande quantité d’énergie. Cette découverte, publiée dans la revue Nature le 30 avril 2025 remet en cause les modèles établis. Contrairement à ce qu’on pensait, les noyaux ne se divisent pas en deux noyaux égaux mais de façon très inégale, c’est ce qu’on appelle la fission asymétrique. Cette conclusion pourrait avoir de nombreuses applications, notamment dans le domaine des énergies, de la physique nucléaire mais également dans notre compréhension de l’origine des éléments de notre Univers.
Les scientifiques avaient déjà connaissance d’une « île » de fission asymétrique connue autour des éléments appelés actinides (des éléments lourds). Grâce à cette étude, les scientifiques révèlent une nouvelle île de fission asymétrique, autour de l’élément chimique mercure, démontrant que même les éléments plus légers peuvent donner lieu à de l’asymétrie, un phénomène surtout observé jusque-là pour les éléments très lourds tels que l’uranium.
En astrophysique, cette étude contribuera à affiner la modélisation de la formation des éléments chimiques dans l’Univers, notamment lors d’événements extrêmes comme les explosions de supernovas. Cette découverte permettra de mieux comprendre comment les atomes lourds se forment et se transforment dans ces catastrophes cosmiques.
Dans le domaine de l’énergie, cette découverte aura des implications sur les modèles de prédiction de distributions des fragments de fission dans les réacteurs nucléaires, un enjeu de sécurité et de fiabilité majeur.

En haut à droite, on peut voir la fission asymétrique bien connue des actinides, c’est-à-dire les éléments lourds de numéro atomique Z = 89 – 103, qui sont stabilisés par le fragment lourd (isotopes du xénon, Z = 54). Le coin inférieur gauche montre la fission asymétrique récemment découverte d’isotopes plus légers dans la région autour du mercure (Z=80), qui est stabilisée par le fragment léger (isotopes de krypton, Z=36). Les carrés noirs indiquent la vallée des noyaux stables.
Crédit Photo : Pierre Morfouace, CEA, DAM, DIF, Arpajon, Frankreich
L’équipe de recherche a étudié les propriétés de fission de 100 isotopes exotiques pauvres en neutrons différents, allant de l’iridium (numéro atomique Z = 77) au thorium (Z = 90). Ces isotopes, qui contiennent un faible nombre de neutrons par rapport au nombre de protons, ont été produits par la fragmentation d’un faisceau primaire relativiste d’uranium 238 à 87,6 % de la vitesse de la lumière, puis séparés à l’aide du séparateur de fragments FRS du GSI/FAIR et identifiés individuellement.
Sur le dispositif de mesure GSI/FAIR R3B (Reactions with Relativistic Radioactive Beams), complété par une série de systèmes spéciaux pour la mesure de modèles uniques d’expériences de fission, les isotopes ont été dirigés vers une cible en plomb segmentée. L’excitation qui s’y est produite à quelques mégaélectronvolts au-dessus de leur énergie fondamentale a déclenché la fission en deux fragments plus légers. La chambre à double ionisation TWIN-MUSIC a permis de mesurer les charges des deux produits de fission. De plus, le grand aimant dipolaire supraconducteur GLAD, refroidi à l’hélium, a séparé les fragments de fission en fonction de leur rapport impulsion-charge et les a déviés vers de grands réseaux de détecteurs pour le suivi et la mesure du temps de vol, afin de reconstruire la dynamique de la réaction.
Les téraoctets de données collectées au cours de l’expérience de dix jours montrent une transition vers une fission de plus en plus asymétrique dans les noyaux lourds pauvres en neutrons. Cela marque la découverte d’un nouvel « îlot de fission asymétrique » dans la carte des nucléides, caractérisé par une dominance surprenante des fragments de fission légers du krypton (Z = 36).
« Au-delà de la cartographie de ce phénomène inédit, nos résultats améliorent la compréhension des processus de fission terrestres et cosmiques », explique Pierre Morfouace du CEA, France, premier auteur de la publication dans Nature. « De plus, ils fournissent des indications précieuses pour les modèles théoriques en améliorant considérablement leur pouvoir prédictif pour la distribution des fragments de fission dans les systèmes riches en neutrons. Cela est notamment pertinent pour la compréhension de la nucléosynthèse dans le processus r. » Cette découverte constitue donc un grand pas en avant dans la compréhension du recyclage de la fission, qui est attendu dans les explosions de supernovas et qui alimente la production d’éléments dans notre galaxie, et une première étape pour déterminer l’étendue de la région nouvellement observée dans la carte des nucléides, où la fission asymétrique domine.
« De plus, les résultats démontrent de manière impressionnante les performances de la configuration R3B et donnent un aperçu de l’avenir de FAIR », ajoute le Dr Haik Simon, chef du département « Super Fragment Separator » à GSI/FAIR et porte-parole adjoint de la collaboration R3B. « La combinaison du séparateur de super-fragments, successeur du FRS, et du programme d’expériences NUSTAR prévu chez FAIR offre des possibilités uniques pour la production et la sélection d’isotopes encore plus rares et exotiques, afin de répondre aux questions de recherche encore en suspens dans ce domaine. »
Une série d’expériences de suivi est prévue à l’accélérateur international FAIR (Facility for Antiproton and Ion Research), actuellement en cours de construction chez GSI. Le nouveau séparateur de fragments supraconducteur Super-FRS peut contribuer de manière décisive à l’étude plus approfondie du phénomène de fission asymétrique et à la découverte d’aspects fondamentaux de la matière nucléaire dans des conditions extrêmes. (CP)
Article : « An asymmetric fission island driven by shell effects in light fragments » – DOI : 10.1038/s41586-025-08882-7