Lorsque vous devez couper une fine feuille de papier, prenez-vous un couteau ou une paire de ciseaux ? Cette décision apparemment simple reflète les défis quotidiens auxquels sont confrontées les fourmis coupeuses de feuilles (Atta cephalotes). Une nouvelle étude de scientifiques, au Royaume-Uni, met en lumière les remarquables stratégies de coupe de ces fourmis adeptes.
D’après la littérature actuelle, nous savons que les fourmis coupeuses de feuilles utilisent généralement une méthode semblable à celle d’un couteau pour couper les feuilles : une mandibule ancre la feuille tandis que l’autre la coupe comme un couteau (figure i). Cependant, lors d’une observation inattendue en laboratoire, le Dr Frederik Puffel et son équipe de l’Imperial College ont remarqué que les fourmis adoptaient une stratégie de type « ciseaux » (figure ii) impli/quant les deux mandibules lorsqu’elles s’attaquaient à des feuilles présentant des bords droits ou de larges encoches (figure iii). Intrigués, ils ont mené une série d’expériences pour étudier ce comportement de coupe à la manière des ciseaux.

Tout d’abord, ils ont réalisé un essai comportemental avec des fourmis vivantes, en leur fournissant des feuilles de formes et d’épaisseurs différentes. Les résultats étaient clairs : les fourmis préféraient massivement couper au couteau lorsque les bords des feuilles présentaient des encoches étroites ou irrégulières, mais passaient à la coupe aux ciseaux lorsque les bords étaient droits ou présentaient des encoches larges. Cette observation est d’autant plus intéressante que la plupart des recherches se sont concentrées sur leur comportement de coupe au couteau, sans accorder beaucoup d’attention à la coupe aux ciseaux.
Afin de déterminer si ce choix comportemental est basé sur la mécanique, les chercheurs ont simulé la coupe de feuilles au couteau en utilisant des mandibules dans la tête de fourmis mortes. Ils ont découvert qu’il était pratiquement impossible de couper des feuilles en ligne droite sans provoquer une flexion excessive. Cela rendrait la coupe moins efficace pour les butineuses et nécessiterait plus de force. L’équipe a conclu que la coupe aux ciseaux a probablement évolué comme une adaptation pour surmonter ces contraintes mécaniques, en particulier lorsqu’il s’agit d’objets tels que des feuilles minces ou des pétales de fleurs.

Cette étude a révélé un aspect fondamental des fourmis coupeuses de feuilles : la flexibilité de leurs stratégies de coupe. La compréhension de ces comportements pourrait faciliter la gestion des zones agricoles où les fourmis coupeuses de feuilles sont d’importants ravageurs. Le réchauffement climatique étant susceptible d’accroître l’activité des insectes, les recherches futures pourraient s’intéresser de plus près aux contraintes mécaniques auxquelles ces fourmis sont confrontées avec leurs mandibules. Si nous parvenons à déterminer avec précision ce qui limite leur capacité à couper les feuilles, nous pourrions mettre au point de nouvelles méthodes pour atténuer les dommages causés aux cultures, et éventuellement transformer ces connaissances en stratégies efficaces de lutte contre les ravageurs.
Pour l’avenir, M. Puffel est impatient d’explorer de nouvelles questions : Que se passe-t-il lorsque les fourmis coupeuses de feuilles sont exposées à des matériaux abrasifs ? Comment l’usure potentielle des mandibules affecte-t-elle le comportement des fourrageuses pendant la coupe ? Ces possibilités intrigantes pourraient ouvrir des voies passionnantes pour de futures recherches sur l’adaptabilité et l’ingéniosité de ces insectes extraordinaires.
Source : Imperial College