Dans une ère où la demande pour l’eau potable ne cesse de croître, une équipe de chercheurs de l’Université Nationale de Singapour (NUS) et du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) en France, offre une nouvelle approche pour améliorer l’efficacité énergétique des méthodes de purification de l’eau à l’échelle industrielle.
Ils ont conçu une protéine synthétique qui s’auto-assemble pour former une structure poreuse permettant le transport sélectif de l’eau à travers une membrane lipidique, rejetant ainsi les sels (ions).
Ces protéines synthétiques, connues sous le nom de ‘foldamères d’oligourée’, forment une nouvelle classe de canaux d’eau artificiels (AWC) qui peuvent être utilisés pour améliorer l’efficacité énergétique des méthodes actuelles de purification de l’eau industrielle. La technologie de purification de l’eau actuelle repose sur l’osmose inverse et la distillation membranaire. Cependant, l’osmose inverse est un processus très énergivore puisqu’il nécessite des pressions élevées pour faire passer l’eau de mer ou les eaux usées à travers une série de membranes semi-perméables afin d’éliminer les sels et autres polluants.
Cette invention représente une contribution majeure à ces efforts. La perméabilité relativement élevée de l’eau à travers les pores formés par ces foldamères d’oligourée laisse supposer que la consommation d’énergie globale nécessaire à la purification de l’eau pourrait potentiellement être réduite.
Aborder les limites des technologies membranaires conventionnelles
La recherche dans ce domaine s’est largement concentrée sur la fabrication de membranes avec des aquaporines, des protéines naturelles contenant des pores qui permettent aux molécules d’eau de passer en file indienne. Cependant, en raison de la structure complexe de l’aquaporine, la synthèse de quantités suffisantes de cette protéine volumineuse pour une utilisation dans les membranes de purification de l’eau reste un processus coûteux et long.
Dans un article publié dans la revue scientifique Chem, une équipe de scientifiques de la NUS dirigée par le professeur Prakash Kumar a décrit une innovation majeure dans le développement d’un composant moléculaire plus simple qui peut s’auto-assembler pour générer des structures similaires à des canaux transmembranaires avec un pore.
Ces structures imitent les fonctions de l’aquaporine, permettant seulement aux molécules d’eau de traverser la membrane tandis que les sels et autres polluants sont rejetés. Les foldamères d’oligourée individuels sont également beaucoup plus petits, ne mesurant que 10 résidus d’acides aminés, ce qui les rend plus faciles à modifier, à synthétiser et à purifier comparativement à l’aquaporine ou à d’autres classes d’AWC.
Comment cela fonctionne t-il ?
Les foldamères sont de nature amphiphile, ce qui signifie qu’ils possèdent différentes charges leur permettant de s’assembler en structures plus complexes, de manière similaire à la façon dont les aimants ont tendance à s’agglutiner en une boule lorsqu’ils sont en étroite proximité les uns des autres. Les structures complexes résultantes contiennent des canaux d’eau de type poreux qui sont davantage stabilisés par de fortes liaisons connues sous le nom d’interactions hydrophobes et électrostatiques.
Les composants hydrophobes sont regroupés à l’extérieur, ce qui permet leur insertion dans les membranes lipidiques. L’intérieur (lumen) du pore est plus hydrophile, ce qui permet aux molécules d’eau de traverser la membrane tout en rejetant les ions. Les scientifiques ont découvert que les foldamères d’oligourée fonctionnaient de manière similaire aux structures naturelles de type porine, ce qui en fait des candidats potentiels viables pour la fabrication de membranes AWC destinées à la purification de l’eau.
Une plus grande stabilité et résistance à la dégradation
Les foldamères développés par les chercheurs de la NUS se sont également avérés plus robustes comparativement à d’autres AWCs. Les protéines normales sont composées d’acides aminés reliés entre eux par des liaisons peptidiques. Ces liaisons sont vulnérables aux enzymes microbiennes qui dégradent les protéines, et de tels microbes existent dans l’eau non traitée.
Dans leur recherche, les scientifiques de la NUS ont remplacé les liaisons peptidiques par des liaisons urée, ce qui rend les foldamères d’oligourée moins sensibles à la dégradation enzymatique et microbienne.
Prochaines étapes
Dans la phase initiale, l’équipe de scientifiques a appliqué les foldamères à une membrane test pour démontrer les capacités de purification de l’eau des molécules auto-assemblées. Pour la prochaine phase de recherche, l’équipe prévoit d’optimiser la production des foldamères et de les appliquer à une membrane plus grande, avant d’essayer son efficacité dans une installation de purification de l’eau industrielle.
En synthèse
La découverte de cette nouvelle classe de canaux d’eau artificiels marque un tournant important dans la recherche en purification de l’eau. Non seulement ces nouvelles structures moléculaires simplifient la production, mais elles offrent également une résistance supérieure à la dégradation, augmentant ainsi la durabilité de l’utilisation. Les foldamères d’oligourée présentent un potentiel immense pour améliorer l’efficacité énergétique de la purification de l’eau à grande échelle, répondant ainsi à une problématique environnementale et sociétale majeure.
Pour une meilleure compréhension
Qu’est-ce qu’un foldamère d’oligourée?
Un foldamère d’oligourée est une chaîne courte de molécules qui peut s’auto-assembler en structures précises avec une porosité et une sélectivité élevées pour les molécules d’eau.
Comment ces foldamères améliorent-ils le processus de purification de l’eau?
Les foldamères d’oligourée peuvent s’assembler en une structure poreuse qui permet le transport sélectif de l’eau à travers une membrane tout en rejetant les sels, ce qui pourrait potentiellement réduire l’énergie nécessaire pour la purification de l’eau.
Quels sont les avantages des foldamères d’oligourée par rapport aux autres protéines utilisées dans les membranes de purification de l’eau?
Les foldamères d’oligourée sont plus petits, plus faciles à modifier, à synthétiser et à purifier. De plus, ils sont plus résistants à la dégradation enzymatique et microbienne.
Une équipe de scientifiques de NUS, composée (de gauche à droite) des professeurs Prakash Kumar, Manjunatha Kini, Li Jianwei et Pannaga Krishnamurthy, a mis au point une nouvelle classe de canaux d’eau artificiels pour une purification plus efficace de l’eau industrielle. Credit : National University of Singapore