Des physiciens ont développé une méthode innovante pour explorer la structure interne des protons. Leur approche en trois dimensions permet de mieux comprendre la distribution des quarks et des gluons à l’intérieur de ces particules fondamentales. Cette avancée pourrait aider à résoudre des énigmes de longue date sur l’origine du spin des protons. Les résultats promettent d’améliorer notre compréhension de la matière à son niveau le plus fondamental.
L’intérieur des atomes est loin d’être statique. Les protons et les neutrons, composants du noyau atomique, abritent un bouillonnement de particules appelées quarks et gluons, collectivement nommées partons. Une équipe de physiciens, la collaboration HadStruc, s’est donné pour mission de cartographier précisément ces partons et leurs interactions.
Basée au Thomas Jefferson National Accelerator Facility (JLAB) aux États-Unis, cette équipe a récemment publié ses derniers résultats dans le Journal of High Energy Physics. Leur approche repose sur une description mathématique des interactions entre partons, utilisant une technique appelée chromodynamique quantique sur réseau (QCD sur réseau).
Une nouvelle perspective en 3D
L’innovation majeure de cette étude réside dans l’utilisation des distributions de partons généralisées (GPD). Cette approche en trois dimensions offre une vision plus complète que les méthodes précédentes.
Hervé Dutrieux, chercheur postdoctoral à l’Université William & Mary, a évoqué l’importance de cette nouvelle approche : «Les GPD permettent d’élucider une des grandes questions sur le proton : l’origine de son spin. L’approche unidimensionnelle précédente donnait une image très limitée de ce phénomène.»
Le spin du proton, une propriété quantique similaire à une rotation, a longtemps intrigué les physiciens. En 1987, des mesures expérimentales ont montré que le spin des quarks ne contribuait qu’à moins de la moitié du spin total du proton. Les GPD offrent un moyen prometteur d’explorer comment le spin est réparti entre les quarks et les gluons, y compris la contribution du mouvement orbital des partons.
Des simulations massives pour tester la théorie
Pour valider leur nouvelle approche, les chercheurs ont réalisé un nombre impressionnant de simulations sur des supercalculateurs. Plus précisément :
- 65 000 simulations au total
- 186 simulations de protons avec différentes impulsions
- 350 configurations aléatoires de gluons
Ces calculs ont nécessité des millions d’heures de temps de processeur sur les installations de pointe aux États-Unis, notamment :
- Le supercalculateur Frontera au Texas Advanced Computer Center
- Le supercalculateur Frontier à l’Oak Ridge Leadership Computing Facility
Joseph Karpie, chercheur postdoctoral au Jefferson Lab, a précisé l’objectif de ces simulations : «Il s’agissait de notre preuve de concept. Nous voulions vérifier si les résultats de ces simulations seraient cohérents avec nos connaissances actuelles sur ces particules.»
Des applications expérimentales prometteuses
La théorie développée par la collaboration HadStruc est déjà en cours d’examen dans des expériences menées dans des installations de haute énergie du monde entier. Deux processus, la diffusion Compton profondément virtuelle (DVCS) et la production de mésons profondément virtuelle (DVMP), sont utilisés pour étudier la structure des hadrons à travers les GPD.
Les chercheurs attendent avec impatience les futures expériences qui seront menées sur le Collisionneur Électron-Ion (EIC) en construction au Brookhaven National Laboratory. Cet instrument devrait permettre de sonder les hadrons au-delà des limites actuelles.
Le chercheur a souligné l’importance de cette avancée théorique : «La chromodynamique quantique a toujours été en retard sur les expériences. Nous étions généralement en train de post-dire plutôt que de prédire les phénomènes. Maintenant, si nous pouvons vraiment prendre de l’avance – si nous pouvons faire quelque chose que les expérimentateurs ne peuvent pas encore faire – ce serait vraiment formidable.»
Un pas de plus vers la compréhension de la matière
Cette nouvelle approche pour cartographier l’intérieur des protons représente une avancée significative dans notre quête pour comprendre la structure fondamentale de la matière. En combinant des simulations informatiques sophistiquées et des théories physiques avancées, les chercheurs sont en train de repousser les frontières de notre connaissance.
Les prochaines années promettent des découvertes fascinantes à mesure que théorie et expérience progresseront main dans la main. L’étude de la structure interne des protons pourrait non seulement approfondir notre compréhension de la physique fondamentale, mais aussi potentiellement conduire à des applications pratiques dans des domaines tels que la médecine nucléaire ou le développement de nouvelles technologies.
Article : ‘Towards unpolarized GPDs from pseudo-distributions’ / ( 10.1007/JHEP08(2024)162 ) – DOE/Thomas Jefferson National Accelerator Facility – Publication dans la revue Journal of High Energy Physics
Légende illustration : Les théoriciens nucléaires de la collaboration HadStruc ont travaillé sur une description mathématique des interactions entre les partons à l’aide de superordinateurs, notamment les machines du centre de données du Jefferson Lab. Jefferson Lab photo/Aileen Devlin