Face à l’urgence climatique et à la dépendance de l’industrie chimique aux ressources fossiles, des chercheurs de l’ETH Zurich explorent de nouvelles voies pour produire des composés chimiques de manière plus durable. En s’appuyant sur des bactéries capables de métaboliser le méthanol vert, ils ouvrent la voie à une plateforme de production polyvalente et respectueuse de l’environnement.
Actuellement, l’industrie chimique dépend fortement des ressources fossiles, telles que le pétrole brut, pour produire divers composés comme les plastiques, les colorants ou les arômes artificiels.
Selon Julia Vorholt, professeure à l’Institut de microbiologie de l’ETH Zurich, « l’industrie chimique consomme globalement 500 millions de tonnes de ressources fossiles par an, soit plus d’un million de tonnes par jour ». Ces conversions chimiques étant énergivores, l’empreinte carbone réelle de l’industrie chimique est six à dix fois plus importante, représentant environ 5 % des émissions totales à l’échelle mondiale.
L’équipe de recherche de Julia Vorholt s’attelle à trouver des solutions pour réduire la dépendance de l’industrie chimique aux combustibles fossiles, en se concentrant sur les bactéries méthylotrophes, capables de se nourrir de méthanol vert.

Des bactéries synthétiques optimisées pour métaboliser le méthanol
Bien qu’il existe des méthylotrophes naturels, leur utilisation industrielle reste difficile malgré des efforts de recherche considérables. L’équipe de Vorholt travaille donc avec la bactérie modèle Escherichia coli, bien connue en biotechnologie, dans le but de la doter de la capacité à métaboliser le méthanol.
Après avoir simulé les changements nécessaires à l’aide de modèles informatiques, les chercheurs ont sélectionné deux gènes à supprimer et trois nouveaux gènes à introduire. Grâce à ces modifications, les bactéries ont pu assimiler le méthanol, bien qu’en petites quantités dans un premier temps. En cultivant ces bactéries dans des conditions spéciales pendant plus d’un an, les microbes sont devenus de plus en plus efficaces, doublant leur population toutes les quatre heures en se nourrissant uniquement de méthanol.
Des mutations aléatoires bénéfiques pour optimiser le métabolisme
Plusieurs mutations survenues de manière aléatoire sont responsables de l’efficacité accrue de l’utilisation du méthanol par les bactéries synthétiques. La plupart de ces mutations ont entraîné la perte de fonction de divers gènes, permettant aux cellules d’économiser de l’énergie en abolissant des conversions chimiques superflues et en optimisant le flux métabolique.
Pour explorer le potentiel des méthylotrophes synthétiques dans la production biotechnologique de produits chimiques d’intérêt industriel, l’équipe de Vorholt a équipé les bactéries de gènes supplémentaires pour quatre voies de biosynthèse différentes. Les résultats montrent que les bactéries ont effectivement produit les composés désirés dans tous les cas, prouvant ainsi leur capacité à servir de plateforme de production polyvalente selon le principe « plug-and-play ».

Bien que le rendement et la productivité doivent encore être significativement augmentés pour permettre une utilisation économiquement viable, cette technologie offre une alternative prometteuse aux ressources fossiles sans émettre de CO2 supplémentaire dans l’atmosphère. En utilisant uniquement du méthanol vert comme source de carbone, ces bactéries synthétiques ouvrent la voie à une production de produits chimiques renouvelables et respectueux de l’environnement.
Légende illustration : Des bactéries qui se nourrissent de méthanol et produisent des produits chimiques durables. (crédit : Sean Kilian)
Reiter MA, Bradley T, Büchel LA, Keller P, Hegedis E, Gassler T, Vorholt JA: A synthetic methylotrophic Escherichia coli as a chassis for bioproduction from methanol. Nature Catalysis, 23 April 2024, doi: 10.1038/s41929-024-01137-0