L’Autorité de la concurrence vient de sanctionner Doctolib à hauteur de 4,665 millions d’euros pour abus de position dominante sur les marchés de la prise de rendez-vous médicaux en ligne et de la téléconsultation. Cette décision, rendue suite à une plainte déposée en 2019 par Cegedim Santé, concurrent historique du secteur des logiciels médicaux, marque une étape importante dans la régulation du marché français de la santé numérique. La plateforme, qui équipe aujourd’hui 30% des professionnels de santé français au niveau national, a immédiatement annoncé son intention de faire appel, dénonçant une « lecture erronée » de son activité et contestant sa supposée position dominante.
Des pratiques jugées anticoncurrentielles
Selon l’autorité régulatrice, Doctolib a mis en œuvre plusieurs pratiques anticoncurrentielles entre 2017 et 2023. La première concerne l’insertion de clauses d’exclusivité dans les contrats d’abonnement, interdisant aux professionnels de santé de recourir à des services concurrents. Ces clauses, maintenues jusqu’en septembre 2023, ont été conservées malgré les alertes de la direction juridique de l’entreprise qui les qualifiait d' »illégales au regard du droit de la concurrence« .
La seconde pratique incriminée porte sur l’obligation imposée aux professionnels de santé de souscrire au service Doctolib Patient pour pouvoir accéder à Doctolib Téléconsultation. Lancée en 2019, cette vente liée a contraint les praticiens à payer cumulativement les deux prestations, augmentant mécaniquement le nombre de clients de Doctolib Patient et renforçant sa position dominante sur le marché des services de prise de rendez-vous en ligne.
Une acquisition prédatrice selon l’Autorité
L’Autorité de la concurrence sanctionne également, pour la première fois en France, une opération de concentration n’ayant pas fait l’objet d’un examen préalable. En juillet 2018, Doctolib a racheté MonDocteur, qualifié en interne de « concurrent # 1 », qui équipait alors 2% des professionnels de santé français. Située sous les seuils de notification du contrôle des concentrations, cette acquisition n’avait pas été soumise à examen ex ante. L’Autorité s’appuie sur l’arrêt Towercast de la Cour de justice de l’Union européenne du 16 mars 2023 pour qualifier rétroactivement cette opération d’abus de position dominante.
Les documents internes saisis et cités par l’Autorité révèlent une stratégie d’éviction délibérée, avec la volonté affichée de « killer le produit » et l’affirmation selon laquelle « la création de valeur n’est pas l’ajout de l’actif MonDocteur mais sa disparition en tant que concurrent« . Cette acquisition a permis à Doctolib de gagner 10 000 nouveaux professionnels de santé et d’augmenter significativement ses parts de marché, qui dépassent parfois 90% dans certaines zones géographiques ou segments spécifiques du marché. Les documents internes mentionnent également la volonté de « réduire la pression sur les prix » et d' »augmenter les tarifs de 10 à 20%« , objectifs qui se sont concrétisés par plusieurs hausses tarifaires successives.
Une position dominante contestée par Doctolib
Dans son communiqué, Doctolib conteste vigoureusement les conclusions de l’Autorité de la concurrence. L’entreprise se défend d’être en position dominante, arguant qu’elle n’équipait que 10% des professionnels de santé français en 2019, au moment de la plainte, contre 30% aujourd’hui. Elle souligne être « un acteur récent dans le secteur des logiciels pour les soignants » et être « 3 fois plus petit que ses concurrents européens« . Selon Doctolib, elle a « bousculé un marché endormi et verrouillé depuis 30 ans« .
L’entreprise qualifie l’acquisition de MonDocteur d' »opération de croissance externe visant à regrouper deux PME pour innover plus rapidement » et juge « d’une banalité absolue » ce type de rachat dans la vie d’une entreprise. Elle conteste également la remise en cause du lien entre téléconsultation et le reste du logiciel, affirmant que déconnecter ces services aboutirait à « des difficultés conséquentes pour le suivi des patients et l’activité quotidienne des soignants« , notamment pour l’accès au dossier patient, le partage d’ordonnances et la facturation.
Une sanction modulée mais symbolique
La sanction globale de 4,665 millions d’euros se décompose en 4,615 millions d’euros pour les pratiques d’exclusivité et de ventes liées, et 50 000 euros seulement pour l’acquisition de MonDocteur. L’Autorité de la concurrence a choisi de prononcer une sanction forfaitaire minimale pour le rachat, tenant compte de l' »incertitude juridique prévalant antérieurement à l’arrêt Towercast » du 16 mars 2023. Doctolib devra également publier un résumé de la décision dans le journal Le Quotidien du Médecin, en version papier et en ligne.
Cette décision établit un précédent important dans la régulation des marchés numériques de la santé. Elle intervient alors que les services de prise de rendez-vous en ligne ont connu une forte accélération depuis la crise sanitaire, le gouvernement ayant notamment confié à Doctolib, Maiia et KelDoc la gestion des rendez-vous lors de la campagne de vaccination contre la Covid-19 en 2021. La procédure d’appel, dans laquelle Doctolib se dit « confiante« , permettra de clarifier les contours juridiques de la régulation concurrentielle dans un secteur où les effets de réseau jouent un rôle déterminant.
Source : Autorité de la Concurrence / DoctoLib











