Entretien avec Fabien Choné DG délégué Direct Energie (Enerpresse)

Alors que la consultation sur le projet de décret instaurant un mécanisme de capacité se termine le 9 mars, Direct Energie met en garde contre le cadre réglementaire proposé par la direction générale de l’Énergie et du Climat (DGEC – MEDDTL/MINEFI).

Certaines dispositions du projet pourraient, selon le directeur général délégué du fournisseur alternatif, nuire à la concurrence, aussi bien dans le domaine de la production que de la fourniture.

Et comme remède à ces maux, Fabien Choné prône la mise en place d’un mécanisme d’ajustement en capacité.

Entretien avec Fabien Choné

Enerpresse – En 2005 (1) vous alertiez déjà sur la nécessité de trouver le moyen d’assurer le financement de la sécurité d’approvisionnement. Nous y sommes avec le mécanisme de capacité…

Fabien Choné – « Nous pensons en effet depuis le début de notre activité que la rémunération des capacités, celles qui produisent à la pointe, et symétriquement, la juste valorisation des effacements de consommation, sont une condition sine qua non au bon fonctionnement d’un marché libéralisé. Le marché en énergie ne peut pas répondre seul à cette problématique. Ce point fait désormais consensus depuis le « GT Pointe » présidé par les parlementaires Sido et Poignant organisé fin 2009, la loi Nome (Nouvelle organisation du marché de l’électricité) de décembre 2010 ayant repris les préconisations de ce GT en instaurant un mécanisme d’obligation de capacité reposant sur les fournisseurs.

Et le fait que nous ayons évité durant toute cette période des insuffisances en matière de sécurité d’approvisionnement est principalement lié aux crises économiques qui se sont succédé (2009 et 2011), et à l’aide que nos voisins européens (notamment allemands) ont pu nous apporter durant les épisodes de grands froids. Dans le contexte d’une reprise économique espérée rapide, et d’une Allemagne dont la décision de sortir du nucléaire a réduit significativement les marges, le mécanisme de capacité doit impérativement offrir à la France un moyen de financer durablement sa propre sécurité d’approvisionnement. Encore faut-il s’assurer que certaines de ses dispositions ne produisent pas d’effets pervers.»

La DGEC a présenté le 20 février un projet de décret soumis à consultation jusqu’au 9 mars (2). Face aux enjeux et à la complexité du dossier, n’est-ce pas précipité ?

Fabien Choné – « Absolument ! D’autant plus que l’ensemble des travaux d’analyse est loin d’être terminé. Il vaudrait mieux prendre un peu plus de temps afin d’évaluer plus finement certaines décisions. Des choix vont être pris sans que toutes leurs conséquences sur le fonctionnement des marchés ne soient clairement modélisées. Trois semaines de consultation sur un texte de ce type, c’est bien trop court. »

Que dit le projet de décret quant à l’architecture du mécanisme par rapport aux travaux précédents menés par RTE et la DGEC ?

Fabien Choné – « Le texte nous paraît globalement conforme aux travaux engagés par la DGEC suite au rapport fourni début novembre 2011 par RTE. Le projet de décret propose un cadre réglementaire qui renvoie à des arrêtés et des décisions qui doivent être pris avant juillet 2013. Reste que le cadre lui-même ne nous paraît toujours pas satisfaisant, notamment en termes d’impact sur l’exercice de la concurrence, aussi bien sur l’activité production que fourniture. »

Que reprochez-vous exactement au dispositif de « responsable de périmètre de certification » ?

Fabien Choné – « Le projet de décret, qui reprend les préconisations de RTE en la matière, prévoit le mise en place d’un dispositif de « responsable de périmètre de certification » pour les agrégateurs de production, d’énergie et/ou d’effacement, basé sur la disponibilité réalisée des moyens correspondants. Il s’agit d’une erreur d’interprétation fondamentale des objectifs d’un mécanisme de rémunération de la capacité. En effet, ce dernier doit compenser le « missing money », c’est-à-dire la sous-rémunération des moyens de production ou d’effacement, à la pointe dans un marché « énergie only », et donc inciter les investisseurs à développer ce type d’actif, mais en aucun cas ne doit avoir pour objectif d’inciter à la disponibilité effective de ces moyens. Il est regrettable d’avoir dévoyé l’objectif initial du diapositif dans ce sens pour de nombreuses raisons. D’abord parce que l’incitation à être disponible au moment de la pointe existe déjà dans le marché « énergie only ».

Ensuite parce que cette construction aboutit à une monstrueuse complexité où il faut déclarer une prévision de disponibilité, la rééquilibrer, la mesurer et enfin pénaliser le responsable en fonction du niveau réalisé, sans que la mesure du réalisé ne soit clairement définie, notamment pour les effacements et pour tous les moyens de production de petite taille. Cette mécanique de pénalisation côté « offre » crée de surcroit des risques, tout à fait inutiles, en matière d’arbitrage avec la pénalisation côté « demande », mais surtout implique une distorsion de concurrence injustifiée, et donc inacceptable, dans la mesure où les gros producteurs pourront plus facilement foisonner leur aléas de disponibilité que les petits. Bien sûr la loi prévoit de vérifier le « caractère effectif » des moyens de production bénéficiant du mécanisme de capacité, pour éviter de rémunérer des centrales « en carton », mais cela ne nécessite pas de créer une usine à gaz pour réguler la disponibilité de tous les moyens de production. »

Les deux piliers du mécanisme – obligation de capacité dévolue aux fournisseurs et dispositif de bouclage – constituent-ils la bonne formule ?


Fabien Choné
– « Le projet de décret précise les deux grands principes du mécanisme de capacité. Le premier est l’obligation faite aux fournisseurs de détenir des capacités, en direct ou via des certificats, en regard de leur portefeuille de clients. Le deuxième principe est l’instauration d’un dispositif de bouclage, élément qui n’était pas prévu initialement par RTE. Or, un dispositif de bouclage centralisé s’avère indispensable car, comme l’a indiqué Pierre-Marie Abadie (directeur de l’Énergie à la DGEC, ndlr) dans vos colonnes, « la somme des anticipations des fournisseurs n’a pas de raison de tomber juste » (3). Pourtant, le mécanisme de bouclage est présenté dans le projet de décret comme transitoire, et actionné uniquement en cas de risque exceptionnel. À peu de choses près, il s’agit d’un dispositif répétant la disposition de la loi de 2000 prévoyant un appel d’offres en cas d’insuffisance de production recensée lors des PPI(4). Il ne modifie donc finalement quasiment pas le modèle proposé initialement par RTE, ce qui ne nous convient pas. »

En quoi le modèle proposé par RTE et retenu par la DGEC ne répond pas au besoin ?


Fabien Choné
– « Pour RTE, comme pour la DGEC, la logique serait que le prix de la capacité soit d’autant plus important que le système est tendu. Nous pensons exactement l’inverse ! Dans leur proposition, nous craignons que le prix soit relativement binaire entre 0 quand le système est surcapacitaire, et proche de la pénalité, dans le cas d’une sous capacité globale. Or, il faut rappeler que le dispositif doit venir rémunérer les producteurs, d’énergie ou d’effacement, présents à la pointe, en complément de la valorisation de leur activité sur le marché de l’énergie, et que le « missing money » théorique, à parc adapté et à concurrence parfaite, est constant. Dans la pratique, le marché de l’énergie imparfait permet aux producteurs de capter une partie de ce « missing money » lors des pics de prix, partie d’autant plus importante donc que le marché est tendu. Pour que le dispositif de rémunération de la capacité soit efficace, il doit venir rémunérer la partie complémentaire, et non une valeur qui lui est corrélée. À défaut, on accentue le caractère volatile de la rémunération de la puissance dans le marché de l’énergie, ce qui n’est pas favorable au financement des moyens de production, et qui maintient une incitation à être sous-capacitaire vu des producteurs. À terme, on pourrait se retrouver dans des situations de sous-capacité où les consommateurs payent un prix de l’énergie élevé du fait du risque de défaillance, plus un prix de la capacité proche du niveau de la pénalité, qui est bien plus élevé que le « missing money » théorique, et en plus subir les conséquences en terme de qualité en cas de pénurie. C’est la triple peine ! Nous craignons par suite que le caractère illégitime de ce prix de la capacité élevé, sa forte volatilité, et le fait que le prix de référence ne soit défini que sur des échanges ne portant que sur quelques pourcents du parc de production, n’incitent in fine les Pouvoirs publics à ne pas intégrer correctement ce prix dans les tarifs réglementés. Il s’en suit une reconstitution de ciseau tarifaire insupportable pour les fournisseurs… »

Quelle serait, selon vous, la solution ?

Fabien Choné – « Tout d’abord, il faut clarifier la méthode de construction du règlement des écarts en capacité des fournisseurs, qui est complètement absente de la proposition, alors même que ce dernier est central en matière d’incitations. Le projet en gestation vise, pour reprendre les termes de RTE, à rester proche de l’organisation actuelle en vigueur sur les marchés de l’énergie. Ainsi, parallèlement aux responsables d’équilibre en énergie (MWh), nous proposons que le décret créé des « responsables d’équilibre en capacité » (MW). Pour régler la question des écarts de capacité, il suffit alors de poursuivre l’analogie avec le marché de l’énergie, en créant un mécanisme d’ajustement en capacité. Celui-ci devrait alors traduire le coût des besoins de capacité marginale, base du règlement des écarts aussi bien positifs que négatifs, qui encadreront de facto le prix de la capacité échangée sur les marchés. »

Comment cela peut-il résoudre le problème de la corrélation entre la tension du système, les prix de l’énergie et celui de la capacité ?

Fabien Choné – « Dans un mécanisme totalement centralisé, ce problème n’existe pas car les producteurs en concurrence intègrent la rémunération de la puissance escomptée sur le marché de l’énergie en déduction de leurs offres. Dans le mécanisme hybride proposé par la DGEC, seul le mécanisme de bouclage, qui est centralisé, peut jouer ce rôle. Notre proposition est donc d’octroyer au mécanisme de bouclage le rôle central de mécanisme d’ajustement en capacité, dont les références de prix, comme pour le mécanisme d’ajustement en énergie, feront foi en matière de règlement des écarts en capacité ».

Un appel à projet transitoire pour assurer le passage de l’hiver 2015/2016 doit être lancé mi-2012. Qu’en pensez-vous ?

Fabien Choné – « Le mécanisme d’obligation de capacité ne devant pas être actif avant mi-2016, le ministre de l’Énergie a annoncé le lancement mi-2012 d’un appel à projet, dit transitoire, pour assurer le passage de l’hiver 2015/2016. Ce qui nous semble capital sur ce point, c’est que ce dispositif ne puisse pas reconstituer un quelconque ciseau tarifaire. Dans la mesure où les tarifs réglementés ne comprendront pas les coûts afférents à cet appel à projet, il est absolument hors de question que les fournisseurs en subissent la charge. Par ailleurs, nous souhaiterions pouvoir proposer des offres d’effacement diffus d’ici à la mise en place du mécanisme cible. C’est pourquoi, nous avons proposé que les fournisseurs alternatifs aient la possibilité d’utiliser les signaux EPJ et Tempo pour développer rapidement des offres commerciales de cette nature. »


Propos recueillis par Philippe Rodrigues

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(1) Point de vue de Fabien Choné, Les Echos – 29 et 30 avril 2005 ;
(2) Cf. Enerpresse n°10519 ;
(3) Cf. Enerpresse n° 10491 ;
(4) Programmation pluriannuel des investissements de production électrique ;
(5) L’appel d’offres concernant la centrale électrique bretonne a été remporté fin février par Direct Énergie associé à Siemens.

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