En France, les retraités bénéficient actuellement d’un abattement fiscal de 10 % sur leurs pensions de retraite, appliqué automatiquement lors de la déclaration de revenus. L’abattement, instauré en 1978, vise à compenser la baisse de revenus à la retraite et à aligner la fiscalité des retraités sur celle des actifs, qui bénéficient également d’une déduction de 10 % pour frais professionnels.
Mais le projet de loi de finances 2026 prépare un bouleversement : le gouvernement compte substituer à cette déduction proportionnelle par un forfait fixe. Derrière cette mesure se cache un double objectif : alléger le coût budgétaire d’une niche évaluée à 4,5 milliards d’euros et cibler le soutien sur les petites pensions. Il n’en reste pas moins que les conséquences varieront fortement selon le niveau de revenus des seniors.
Rappel sur l’abattement fiscal actuel
Pour les revenus perçus en 2024 et déclarés au printemps 2025, en tant que retraité vous avez pu bénéficier :
- d’une déduction forfaitaire de 10% du montant brut des pensions ;
- d’un minimum de 442 € par personne et d’un plafond global de 4 321 € par foyer.
L’administration appliquait automatiquement la réduction : aucune démarche n’était requise. De plus l’avantage restait cumulable avec l’abattement “seniors ou invalides” accordé sous conditions de ressources : 2 795 € pour une personne seule en deçà de 17 510 € de revenus.
Le tournant de 2026 : vers un forfait de 2 000 €
Annoncée récemment, la réforme inscrit dans le budget 2026 la suppression de l’abattement de 10% et son remplacement par une déduction forfaitaire de 2 000 € par retraité, soit 4 000 € pour un couple percevant deux pensions. Cette mesure, confirmée par le ministre de l’Économie vise à simplifier le système et à cibler l’effort fiscal.
Pourquoi ce changement ?
Le gouvernement justifie ce virage fiscal par trois arguments : la recherche d’équité, d’économies et de lisibilité.
D’abord, remplacer un abattement proportionnel par un forfait unique corrige, selon Bercy, une distorsion qui profitait surtout aux pensions les plus confortables : plus le revenu était élevé, plus l’allégement en valeur absolue était important. Ensuite, l’exécutif table sur plus de 2 milliards d’euros d’économies annuelles dès 2027 – un levier budgétaire jugé indispensable dans la trajectoire de réduction du déficit.
Enfin, un montant fixe simplifierait la vie des contribuables : au lieu de calculer 10% de leur pension puis de vérifier des plafonds, les retraités sauront d’emblée quel abattement s’applique, réduisant ainsi les risques d’erreur et le temps consacré à la déclaration.
Qui gagne, qui perd ?
Gagnants : Les retraités aux revenus modestes (moins de 20 000 € par an) pourraient voir leur fiscalité réduite ou maintenue, car l’abattement de 2 000 € par personne est plus avantageux pour les petites pensions.
Perdants : Les retraités avec des revenus supérieurs à 20 000 € par an, notamment les 15 à 20 % les plus aisés, subiront une hausse d’impôt, pouvant atteindre 1 080 € par an pour les plus riches (revenus > 180 294 €, tranche à 45 %).
Exemple : Un retraité seul avec 30 000 € de pension bénéficie aujourd’hui d’un abattement de 3 000 €. Avec la réforme, il passerait à 2 000 €, augmentant son revenu imposable de 1 000 €, soit une hausse d’impôt d’environ 110 € (tranche à 11 %) à 450 € (tranche à 45 %).
Couples : Un couple de retraités avec deux pensions bénéficierait de 4 000 € d’abattement (2 000 € par personne), contre 4 399 € actuellement, limitant l’impact à une hausse maximale de 180 € par an pour les plus aisés.
Niveau de pension annuelle | Abattement 2025 (10%) | Abattement 2026 (forfait) | Variation d’impôt estimée* |
---|---|---|---|
15 000 € | 1 500 € | 2 000 € | Avantage d’environ 500 € |
30 000 € | 3 000 € | 2 000 € | Surcoût ≈ 1 000 € |
40 000 € (couple) | 4 399 € | 4 000 € | Surcoût maximal de 180 € par an |
Nous le voyons, les pensions modestes (≤ 20 000 €) sortiraient globalement gagnantes, tandis qu’environ 8% des retraités subiraient une hausse d’impôt, parfois assez sensible pour les foyers aux revenus intermédiaires.
Les effets collatéraux
Portée par un souci d’équité intergénérationnelle et de rationalisation des niches fiscales, la réforme s’inscrit aussi dans une volonté de moderniser un système jugé obsolète, initialement destiné à compenser les frais professionnels, dont la pertinence s’érode à la retraite. Mécaniquement, cette mesure touchera également des seuils avec des effets sur la CSG ou sur la progression du pouvoir d’achat des classes moyennes.
Revenu fiscal de référence : un risque de franchir la ligne rouge
En remplaçant l’abattement proportionnel par un forfait de 2 000 €, la base taxable des retraités les mieux lotis gonfle mécaniquement. Or, c’est cette assiette majorée qui sert à calculer le revenu fiscal de référence (RFR), indicateur-clé pour déterminer l’assujettissement à la contribution sociale généralisée (CSG) ou à la taxe d’habitation sur une résidence secondaire. Un pensionné qui frôlait jusqu’ici le seuil d’exonération « CSG à 3.8% » ou la surtaxe sur sa maison de campagne pourrait ainsi basculer dans la tranche supérieure dès 2026, subissant un double renchérissement : plus d’impôt sur le revenu et des prélèvements sociaux supplémentaires.
Pouvoir d’achat : un effet ciseau sur les classes moyennes
Le forfait fixe intervient alors que le barème de l’impôt restera gelé en 2026 et qu’une désindexation partielle des pensions est déjà inscrite dans le programme de stabilité. Résultat : la progression nominale des retraites ne suivra pas l’inflation, tandis que la fiscalité grignotera une part plus forte du revenu disponible. Pour un couple touchant 35 000 € de pensions annuelles, la perte d’abattement se traduira par une hausse d’impôt pouvant excéder 300 € selon la tranche marginale ; ajoutée à l’érosion réelle des pensions, l’addition pèsera surtout sur les ménages de la classe moyenne.
Optimisation : des marges de manœuvre encore accessibles
Face à ce tour de vis, trois leviers existent pour contenir l’alourdissement fiscale :
- Des versements sur un plan d’épargne retraite (PER) : les cotisations volontaires restent déductibles du revenu imposable dans la limite de 10% des revenus professionnels ou de 4,399 € (plafond 2025), permettant de recréer un abattement « sur-mesure ».
- Des dons aux associations d’intérêt général : ils ouvrent droit à une réduction d’impôt de 66% (75% pour les organismes d’aide aux personnes en difficulté, dans la limite de 1 000 €), outil efficace pour les contribuables imposés dès la première tranche.
- Des crédits d’impôt pour l’emploi à domicile : bénéficier de services (jardinage, ménage, aide informatique) donne droit à un crédit équivalent à 50% des dépenses engagées, jusqu’à 12 000 € par an (majorations possibles), mécanique qui vient diminuer directement l’impôt dû plutôt que la base taxable.
En combinant ces dispositifs, un retraité a la possibilité de neutraliser partiellement la hausse d’imposition liée au nouveau forfait, mais la manœuvre exige un peu d’anticipation et un suivi des plafonds fiscaux.