Des chercheurs ont franchi une étape significative dans le domaine des microsources d’énergie nucléaire en développant une méthode innovante pour améliorer les performances des cellules bétavoltaïques, ces dispositifs capables de convertir l’énergie issue de la désintégration radioactive en électricité. En exploitant une forme stabilisée de pérovskite, un matériau semi-conducteur, cette avancée pourrait redéfinir l’alimentation des appareils fonctionnant dans des conditions extrêmes, des implants médicaux aux sondes spatiales.
La bétavoltaïque repose sur un principe simple : utiliser les électrons émis par un isotope radioactif, comme le nickel-63 ou le tritium, pour générer un courant électrique via un semi-conducteur. Comparables à des centrales nucléaires miniatures, ces cellules offrent une autonomie exceptionnelle, dépassant souvent plusieurs décennies, et une densité énergétique bien supérieure à celle des batteries classiques. Leur atout majeur réside dans leur capacité à fonctionner sans maintenance dans des environnements hostiles, qu’il s’agisse du vide spatial, des profondeurs océaniques ou du corps humain.
La pérovskite : un matériau aux fragilités rédhibitoires
Jusqu’à présent, l’utilisation de la pérovskite, un cristal hybride organique-inorganique, était freinée par sa sensibilité aux agressions externes. Exposée à l’humidité, à l’oxygène ou à la chaleur, sa structure se dégrade rapidement, entraînant une chute drastique des performances. Cette instabilité, similaire à celle de pneus haute performance se détériorant prématurément, limitait son application à des prototypes de laboratoire, sans perspective de déploiement réel.
Pour résoudre ces problèmes, les chercheurs ont intégré deux additifs à base de chlore — le chlorure de méthylammonium (MACl) et le chlorure de césium (CsCl) — dans la matrice de la pérovskite FAPbI3. Ces composés agissent comme des renforts moléculaires, maintenant la structure cristalline optimale (phase α) même dans des conditions environnementales défavorables. Les résultats obtenus sont probants : les additifs stabilisent la phase cristalline, favorisent la croissance de cristaux plus grands et homogènes, et améliorent significativement l’efficacité de conversion de l’énergie. La combinaison MACl/CsCl a ainsi permis d’atteindre une efficacité record de 1,83 %, avec une densité de courant de 15,01 nA/cm² et une tension de 2,75 mV.
Les chercheurs ont validé leurs conclusions à l’aide de techniques de caractérisation avancées. La microscopie électronique à balayage (MEB) a révélé une morphologie cristalline plus dense et uniforme, tandis que la diffraction des rayons X (DRX) a confirmé la stabilité de la phase α. La spectroscopie UV-Vis et la photoluminescence ont quant à elles mis en évidence une réduction des pertes énergétiques liées à la recombinaison des charges. Ces analyses corroborent l’efficacité des additifs dans l’amélioration structurelle et fonctionnelle de la pérovskite.

Des applications en rupture qui se profilent
Si ces cellules atteignent une efficacité de 28 % — un objectif à long terme —, leurs applications pourraient transformer plusieurs secteurs. En médecine, elles alimenteraient en permanence des dispositifs implantables comme les stimulateurs cardiaques, éliminant les risques liés aux interventions chirurgicales de remplacement. Dans le domaine environnemental, elles permettraient la surveillance continue de zones reculées grâce à des capteurs autonomes résistants aux conditions extrêmes. Enfin, dans l’espace, elles assureraient une source d’énergie fiable pour satellites et missions interplanétaires, où la maintenance est impossible.
Malgré ces avancées, des obstacles subsistent. La stabilité à long terme reste à démontrer : bien que la durée de vie ait atteint neuf heures en laboratoire, une résistance accrue aux radiations et à l’humidité est nécessaire. Par ailleurs, la présence de plomb dans la pérovskite FAPbI3 pose des défis environnementaux et sanitaires, incitant à explorer des alternatives sans plomb. Enfin, la synthèse des isotopes radioactifs et des pérovskites haute performance doit être optimisée pour réduire les coûts de production et permettre une adoption généralisée.
Possibilité d’une autonomie énergétique inédite ?
Publiée dans Chemical Communications, cette étude ouvre des perspectives majeures pour l’énergie nucléaire miniature. En alliant robustesse et efficacité, les cellules bétavoltaïques pourraient devenir des composants essentiels de la transition énergétique, alimentant des dispositifs critiques là où aucune autre source ne saurait fonctionner. Cependant, leur déploiement soulève des questions éthiques et réglementaires, notamment en termes de gestion des déchets radioactifs et de sécurité des utilisateurs.
Alors que la recherche progresse, une interrogation demeure : assisterons-nous à l’émergence d’une énergie nucléaire discrète, intégrée aux objets du quotidien, ou ces innovations resteront-elles cantonnées à des niches spécialisées ? La réponse dépendra autant des avancées scientifiques que des choix sociétaux qui encadreront cette technologie.
Comparatif des performances des cellules bétavoltaïques
Caractéristique | Sans additifs | Avec MACl | Avec MACl/CsCl |
---|---|---|---|
Densité de courant (Jsc) | Non spécifié | Non spécifié | 15,01 nA/cm² |
Tension (Voc) | Non spécifié | Non spécifié | 2,75 mV |
Efficacité de conversion (ECE) | Inférieure | Supérieure | 1,83 % |
Stabilité | Faible | Améliorée | Stable (9 heures) |
Lexique
- Bétavoltaïque : Technologie convertissant l’énergie des particules bêta (électrons) issues de la désintégration radioactive en électricité.
- Pérovskite : Matériau semi-conducteur cristallin (FAPbI3) utilisé pour sa capacité à optimiser la conversion énergétique, mais sensible aux agressions externes.
- Chlorure de méthylammonium (MACl) : Additif chimique stabilisant la structure cristalline de la pérovskite pour améliorer ses performances.
- Cellules bétavoltaïques : Dispositifs miniatures produisant de l’électricité via un isotope radioactif, destinés à des environnements inaccessibles.
- Stabilité cristalline : Capacité d’un matériau à maintenir sa structure atomique optimale malgré des conditions environnementales défavorables.
- Densité énergétique : Quantité d’énergie stockée ou produite par unité de volume, cruciale pour les applications à haute autonomie.
- Toxicité du plomb : Problématique liée à la présence de plomb dans la pérovskite FAPbI3, nécessitant des alternatives sans métaux lourds.
- Conversion d’énergie : Processus de transformation de l’énergie radioactive en électricité via un semi-conducteur.
- Recombinaison des charges : Phénomène physique réduisant l’efficacité des cellules en limitant le flux d’électrons.
- Isotopes radioactifs : Éléments comme le nickel-63 ou le tritium, utilisés comme source d’électrons dans les cellules bétavoltaïques.
Source : Étude publiée dans Chemical Communications (DOI : 10.1039/D4CC05935B). Auteurs : Kim, Chol Hyun and Naseem, Muhammad Bilal and Lee, Junho and Kim, Hong Soo and Lee, Sanghun and In, Su-Il. Department of Energy Science & Engineering, Daegu Gyeongbuk Institute of Science & Technology (DGIST),