Golfe du Mexique : l’énigme de la marée noire invisible

L’émission "Envoyé spécial" sur France 2 a consacré jeudi dernier, un reportage édifiant sur une interrogation très peu relayée par les médias et qui portait sur la marée noire survenue dans le golfe du Mexique en avril 2010.

Comment, malgré le déversement de près de 800 millions de litres de pétrole brut, les impacts sur les zones côtières n’ont jamais semblé aussi minimes … : peu d’oiseaux mazoutés, peu de nappes de pétrole, peu d’images ‘catastrophiques’ diffusées dans les média, etc.


Une marée noire invisible ?

Le reportage montre en réalité que le pétrole est toujours présent. Il se trouve non pas au dessus de l’eau, ni sur les côtes, mais au fond de l’eau, à une profondeur située entre 1.000 et 1.200 mètres.

Une équipe de chercheurs indépendants a procédé à des relevés directement sur les zones incriminées et ont compilé toutes leurs données, avec 2 autres équipes d’universitaires. Le résultat donne le vertige.

Golfe du Mexique : l'énigme de la marée noire invisible

Le biologiste Tracy Villareal, professeur à l’Université du Texas a révèlé aux journalistes de France 2, un graphique (voir photo ci-dessus), où "2 courbes semblent s’affoler". Il explique : "Ce sont 2 phénomènes anormaux : en violet moins d’oxygène, en vert beaucoup plus d’hydrocarbone, c’est à dire, du pétrole dilué".

Il ajoute : "Pas loin du lieu de l’accident, nous avons observé une baisse du taux d’oxygène au fond de l’eau. Pour nous, cela correspond à un nuage de pétrole qui s’étend sur environ 300 km de long, en largeur, cela fait près de 90 km. La hauteur varie : elle atteint 400 mètres vers le sud, mais reste plus fine, plus au nord…".

Golfe du Mexique : l'énigme de la marée noire invisible

Ainsi, une immense tâche sous-marine – difficilement quantifiable – est bien présente à près de 200 km des côtes !

De leur côté, les chercheurs de l’agence (officielle) Oceanique et Atmosphérique américaine (NOAA) ont bien eu connaissance de cette carte, mais ils minimisent cette découverte, du moins devant les caméras d’Envoyé Spécial. "La seule chose qu’on puisse vous dire, c’est que ce document montre des dépressions d’oxygène au fond de l’océan" tente d’argumenter Sam Walker du NOAA, un peu gêné.

L’utilisation de dispersants !

Dans les faits, c’est un dispersant qui a permis au pétrole de rester immergé sous la surface de l’eau. Au total, on apprend que 7.000.000 de litres de ce produit (le Corexit) ont été dispersés, dont "4.000.000 de litres répandus par les airs", et "3.000.000 de litres injectés sous l’eau, à 1.500 mètres de profondeur, directement au niveau de la tête du puits".

"L’utilisation des dispersants a entrainé la formation de ce nuage sous-marin. On a très peu de recul, très peu d’information sur cette diffusion de dispersants au fond de l’eau. C’est la première fois qu’on les utilisent à cette profondeur. Ils (BP) voulaient absolument éviter que ce pétrole plus léger que l’eau ne remonte à la surface et ne provoque une véritable nappe très compacte".

Une autre hypothèse vient subitement à l’esprit de Tracy Villareal : "Quand il est à la surface, le pétrole peut être photographié avec par exemple des oiseaux mazoutés, alors qu’à 1.500 mètres de fonds, c’est beaucoup plus compliqué…"

Ainsi, la majeure partie du pétrole échappée du puits MC252 n’est même pas remontée. Par cette action, l’objectif affiché par les autorités (BP, fédérales ?) était que le pétrole n’atteigne pas ou très faiblement les zones côtières.

Un risque pour la population ?

Au centre de commandement, où l’on a autorisé BP à utiliser ce produit, la réponse est sans appel : "Nous étions dans l’inconnu à la fin du mois d’avril. Je ne sais pas, si nous ne le sommes pas encore…" précise Stephen Lehmann du NOAA. "Dans ce genre de catastrophe, comme pour les tremblements de terre, les incendies, l’un des challenges consiste à innover, à prendre des décisions que vous n’avez jamais prises avant, et ce fut le cas avec les dispersants."

Une décision risquée, car il n’existe aucune études sérieuses sur ces dispersants.

Golfe du Mexique : l'énigme de la marée noire invisible

En Alabama, le professeur George Crozier, directeur du laboratoire de la mer de Dauphin Island a analysé des échantillons d’eau de mer récupérés à proximité du lieu de l’accident. Il a indiqué craindre que ces dispersants ne provoquent "des dégâts irréversibles sur tout l’écosystème des fonds sous-marins de la région".

Rétrospectivement, BP avait annoncé le 3 mai, lors d’une réunion qu’il avait utilisé des dispersants pour la 1ère fois à 1.500 mètres de profondeur. Présent à cette conférence, la question du biologiste indépendant a été la suivante : "que deviennent ensuite les composés toxiques du pétrole ?" Aucune réponse de leur part. Il attend toujours une explication à ce jour…

Pour l’anecdote, en juillet 2010, BP a tenté d’acheter l’équipe de George Crozier. Mais ce dernier a refusé "l’invitation" afin de ne pas porter atteinte à l’indépendance de son "petit" laboratoire.

Alors que le dispersant fabriqué par la firme Nalco a été approuvé par l’agence américaine de l’environnement, certains de ces composants demeurent toxiques, et peuvent à fortes doses provoquer "des irritations de la peau ou des yeux".

La commission d’enquête parlementaire à Washington créée à l’occasion de la marée noire sans précédent, ne s’y est pas trompée. Elle craint un risque de contamination envers la population suite à la dispersion à grande échelle du Corexit. En aout dernier, la commission a interrogé des fonctionnaires qui ont autorisé ce produit.

Question du Député démocrate Edward Markey : "Vous avez autorisé la consommation des poissons, même si vous n’avez pas analysé l’ensemble des composants du Corexit. C’est exact ?" Réponse d’un responsable : "C’est vrai, mais je voudrais tout de même dire que nous procédons actuellement à des analyses sur les poissons…"

A la fin de ce reportage, un sentiment de malaise prédomine. On s’aperçoit que BP a voulu maîtriser totalement "la chaîne de communication" dans cette catastrophe maritime. BP aurait ainsi tenu volontairement à éliminer ou à atténuer les aspects négatifs de cette marée noire sur son image aux yeux du public.

Y avait il là une volonté manifeste de BP d’enrayer au plus vite, une image du groupe pétrolier plus que dégradée et par voie de conséquence la chute de son cours en bourse ? BP jouait il tout simplement sa survie ? Assurément, on peut le penser.

 

Visionner le reportage d’Envoyé Spécial : >> suivre ce lien

 

[ Credit image : France 2 – Envoyé spécial ]

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falmer

Plutot que de faire des allusions douteuses, des accusations calomnieuses, et des supputations a tout va, pourquoi ne pas poser la question differemment: Votre catastrophe naturelle, vous la voulez sur un bord de mer dense en vie humaine et animale, ou au fond d’un golfe qui abrite quelques poissons?

Hotsoup

Pas si naturelle que ça la catastrophe!!! De plus, il est important de se rappeler que la pollution des océans est un problème majeur de biodiversité aujourd’hui, malheureusement totalement éclipsé dans le débat écologique. Dans le doute, il est tout de même intéressant que certains chercheurs essaient de savoir les conséquences de cette marée noire, même si la pollution pétrolière n’est pas et de loin l’industrie la plus polluante des océans. Cet article a au moins le mérite de remettre cette question à l’ordre du jour.

Microbe tao

le poison vous le voulez délicatement déposer sur les lèvres, où injecter au fin d’un organe au choix dont on ne sait pas les répercussions (le dilemme de palmade et sa tête de veau ou ses bras de 6m…) la seule question qui aurait pu être posée, c’est le forage et les moyens pour pallier les risques de ce type d’installation. Maintenant en post-catastrophe, la question des solutions compensatrices mises en place et de la communication peut être posée non ?

michel123

Le pétrole c’est voyant et sale mais le pétrole dispersé par des produits chimiques est il plus ou moins toxique que le pétrole qui flotte ? La réponse est totalement inconnue puisqu’aucun test sérieux n’ été fait grandeur nature et surtout dans la durée . le problème c’est de laisser tous ce mélange de produits pétroliers et chimiques à la disposition de poissons qui vont finir dans notre chaîne alimentaire .

Jmax

TOut n’est peut-être pas rose mais on a quand même évité largement le pire. Des années après le nettoyage de l’Amococo Cadiz, on se demandait si les poumons des hommes qui nettoyaient étaient intacts et ne parlons pas des oiseaux mazoutés. Donc, maintenant on va observer ce qui se passe mais au vu de l’ampleur de la catastrophe, on est pour l’instant très loin du désastre prévisible et constaté lors des précédents incidents.

Aurel

BP a surtout réussi à éviter la mauvaise publicité d’une marrée noire. En rendant la pollution difficilement visible, ils sont sur de ne pas être dérangés. Et peu importe si a fallut pour ça déverser plusieurs millions de litres de produit toxique. Ils ne sont plus à ça près. Ce sont des apprentis sorciers.

Jojo47

Croire que cette pollution restera au fond de l’océan est illusoire, il y a toujours des mouvements de masse d’eau dans les océans, elle remontera un jour ou l’autre ! En attendant les dégats sur la faune marine profonde doivent être gigantesque, à l’image des bénéfices des compagnies pétrolières…