Parmi les solutions envisagées dans la transition vers une économie énergétique décarbonée , l’hydrogène apparaît comme un vecteur énergétique prometteur. La production d’hydrogène « vert » à grande échelle se heurte encore à un obstacle de taille : la rareté de l’iridium, un métal indispensable à ce processus. Une équipe de chercheurs japonais vient de franchir un pas décisif vers la levée de ce verrou technologique.
Une avancée majeure pour la production d’hydrogène vert
Dans une étude publiée dans la revue Science, l’équipe dirigée par Ryuhei Nakamura du RIKEN Center for Sustainable Resource Science (CSRS) au Japon présente une nouvelle méthode permettant de réduire de 95% la quantité d’iridium nécessaire à la production d’hydrogène, sans altérer le rendement de la réaction. Cette découverte pourrait permettre une production d’hydrogène écologiquement viable à grande échelle, un prérequis indispensable à l’avènement d’une économie de l’hydrogène neutre en carbone.
L’hydrogène, présent en abondance dans l’eau qui recouvre 70% de la surface terrestre, constitue une source d’énergie véritablement renouvelable. Toutefois, extraire l’hydrogène de l’eau à une échelle comparable à celle de la production énergétique basée sur les combustibles fossiles n’est pas encore possible. La production énergétique mondiale actuelle avoisine les 18 térawatts, ce qui signifie qu’à tout moment, environ 18 billions de watts sont produits en moyenne dans le monde. Pour que les méthodes alternatives de production d’énergie verte puissent remplacer les combustibles fossiles, elles doivent être en mesure d’atteindre les mêmes taux de production énergétique.
L’iridium, un métal précieux indispensable mais rare
La méthode «verte» pour extraire l’hydrogène de l’eau repose sur une réaction électrochimique nécessitant un catalyseur. Les meilleurs catalyseurs pour cette réaction – ceux qui offrent le rendement le plus élevé et la production d’hydrogène la plus stable – sont des métaux rares, l’iridium étant le meilleur d’entre eux. Mais la rareté de l’iridium constitue un problème majeur. «L’iridium est si rare que pour porter la production mondiale d’hydrogène à l’échelle du térawatt, il faudrait l’équivalent de 40 ans de production d’iridium», explique Shuang Kong, co-premier auteur de l’étude.
L’équipe de recherche sur les catalyseurs biofonctionnels du RIKEN CSRS s’efforce de contourner ce goulet d’étranglement lié à l’iridium et de trouver d’autres moyens de produire de l’hydrogène à des taux élevés et sur de longues périodes. À long terme, ils espèrent développer de nouveaux catalyseurs basés sur des métaux communs, ce qui sera hautement durable. En fait, l’équipe a récemment réussi à stabiliser la production d’hydrogène vert à un niveau relativement élevé en utilisant une forme d’oxyde de manganèse comme catalyseur. Cependant, atteindre un niveau de production industriel de cette manière est encore loin d’être acquis.
Combiner l’iridium et le manganèse pour une transition progressive
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Les chercheurs ont découvert qu’en dispersant des atomes individuels d’iridium sur un morceau d’oxyde de manganèse de manière à ce qu’ils ne se touchent pas et ne s’agglomèrent pas, la production d’hydrogène dans un électrolyseur à membrane échangeuse de protons (PEM) était maintenue au même niveau qu’en utilisant de l’iridium seul, mais avec 95% d’iridium en moins.
Avec ce nouveau catalyseur, une production continue d’hydrogène a été possible pendant plus de 3000 heures (environ 4 mois) avec une efficacité de 82% sans dégradation. «L’interaction inattendue entre l’oxyde de manganèse et l’iridium a été la clé de notre succès», explique Ailong Li, co-auteur de l’étude. « Cela est dû au fait que l’iridium résultant de cette interaction était dans l’état d’oxydation +6, rare et hautement actif. »
Vers un déploiement industriel rapide
Nakamura estime que le niveau de production d’hydrogène atteint avec le nouveau catalyseur présente un potentiel élevé d’utilité immédiate. «Nous nous attendons à ce que notre catalyseur soit facilement transférable à des applications réelles», affirme-t-il, «ce qui augmentera immédiatement la capacité des électrolyseurs PEM actuels.»
L’équipe a commencé à collaborer avec des partenaires industriels, qui ont déjà été en mesure d’améliorer le catalyseur initial à base d’iridium et de manganèse. Les chercheurs du RIKEN CSRS prévoient de poursuivre l’étude de l’interaction chimique spécifique entre l’iridium et l’oxyde de manganèse, dans l’espoir de réduire encore davantage la quantité d’iridium nécessaire. Parallèlement, ils continueront à collaborer avec des partenaires industriels et prévoient de déployer et de tester le nouveau catalyseur à l’échelle industrielle dans un avenir proche.
Li et al. (2024) Atomically dispersed hexavalent iridium oxide as oxygen evolution catalysts for PEM water electrolysis. Science. doi: 10.1126/science.adg5193