La loi sur la tarification progressive de l’énergie : analyse

Les plus 🙂

Une précision essentielle a été apportée dans la nouvelle mouture du texte à savoir la définition du calcul du "volume de base", dont voici les principaux éléments :

♦ Le "volume de base" sera établit pour l’énergie principale (notée V1) de chauffage du logement (électricité, gaze ou réseaux de chaleur), et pour les énergies complémentaires (notée V2). Le chauffage est le déterminant retenu pour distinguer les différentes types d’énergies consommées dans les logements parce qu’il en représente les deux tiers[2].

♦  L’unité de calcul ne sera plus l’individu mais l’unité de consommation (noté f) qui est un concept statistique qui reflète niveau relatif de consommation d’un bien/service commun de chacun des membres qui composent un ménage. En effet, le chauffage étant un service que l’ensemble des occupants d’un foyer partagent, l’impact d’un membre supplémentaire sur le niveau de consommation est moindre puisque les pièces communes d’un logement seront déjà chauffées pour un les autres occupants. Le texte définit la première unité de consommation à 1, la seconde à 0,5 et les suivantes à 0,3, ce qui correspond à méthode de l’INSEE[3]. Cette évolution du texte constitue une avancée positive par rapport à la version initiale du texte puisqu’elle permet de refléter objectivement l’impact de consommation de chacun des membres additionnels d’un foyer.

♦  Le "volume de base" retenu sera égal à la consommation du premier quartile de la population française, c’est-à-dire à la consommation des 25% des individus les plus sobres en énergie sur le territoire national. Le niveau de consommation du quartile le plus sobre sera ensuite appliqué à chacune des unités de consommation des ménages.

Enfin, le calcul de "volume de base" intégrera un coefficient géographique (noté t) compris dans un intervalle allant de 0,8 à 1,5.

Exemple de calcul de volume de base :

♦  Hypothèse 1 : le ménage est composé de 4 personnes, soit 1 +0,5 + 0,3 + 0,3 = 2,1 unités de consommation. Soit, f = 2,1.

♦  Hypothèse 2 : le quartile le plus sobre utilise 6 000 kWh annuel de chauffage (dans ce cas au gaz) et 3 000 kWh d’usage divers (électricité). Soit, V1réf = 6 000 et V2réf = 3 000.

♦  Hypothèse 3 : le ménage réside dans la région Centre dont le coefficient géographique, t, est égal à 1,2.

Le volume de base du ménage pour le gaz sera de : V1 = 2,1 x 1,2 x 6 000 = 15 120 kWh ; et pour l’électricité, il sera de : V2 = 2,1 x 1,2 x 3 000 = 7 560 kWh.

V1 et V2 constitueront la première tranche de la structure tarifaire pour chacune des énergies consommées par les ménages.

L’évolution de la grille tarifaire constitue la seconde évolution positive du texte de loi. La structure symétrique (-0.1 €c/kWh pour la première tranche et +0.1 €c/kWh pour la dernière tranche) de la première version du texte de loi n’était pas appropriée pour atteindre un objectif de réduction de la consommation énergétique des ménages. La nouvelle structure, qui ressemble beaucoup à celle du Japon qui a utilise le système depuis presque 40 ans, est plus pertinente puisque se conception répond à trois objectifs tout à fait louables :

♦  récompenser les comportements ménages sobres par une réduction du tarif sur la première tranche,

♦  sensibiliser la grande majorité des consommateurs à la nécessité de réduire leur consommation énergétique via une légère augmentation des tarifs pour les usages courants,

♦  sanctionner les gros consommateurs de manière à leur envoyer un signal-prix pertinent qui puisse déclencher la décision d’investissement dans l’efficacité énergétique (isolation du logement et/ou équipements et appareils efficaces).

Figure 1 : grille tarifaire de la nouvelle mouture de la loi sur les tarifs progressifs pour les logements individuels (non collectifs)

La loi sur la tarification progressive de l'énergie : analyse

L’évolution du modèle tarifaire entre les deux versions du texte de loi peut être visualisée au moyen de la figure 2.

Figure 2 : Evolution du modèle tarifaire de la proposition de loi sur les tarifs progressifs de l’énergie

La loi sur la tarification progressive de l'énergie : analyse

L’évolution dissymétrique de la structure des bonus-malus dans laquelle les malus sont plus élevés que les bonus par rapport à un tarif de référence incitent plus fortement aux économies d’énergie que si les deux étaient équivalents comme c’était le cas dans la première version du texte.

Enfin, un point essentiel de cette loi réside dans le fait que pour la première fois une loi annonce à l’avance l’évolution tendancielle des tarifs de l’énergie sur une période de temps ce qui créé un cadre institutionnel favorable à l’investissement. De plus, le caractère dissymétrique de cette évolution tarifaire (malus > bonus) accroît l’incitation à investir dans l’efficacité énergétique et encourage à la réalisation de ces investissements le plus tôt possible afin d’échapper aux augmentations futures. Le message de la loi est donc clair : investissez dans l’efficacité énergétique… et vite !

L’intégration des résidences secondaires dans le système est positive. Toutefois, on aurait pu espérer que la loi exige que les contrats d’abonnement des résidences secondaire soit augmenté d’un certain montant, comme c’est le cas en Italie, de manière à refléter les surcoûts de mise en place des réseaux engendrés par ce type de logement.

Les moins 🙁

La fréquence des factures
, sur lesquelles figureront les bonus perçus ou les malus à s’acquitter, à une seule fois par an est bien trop insuffisante. L’information envoyée sera trop insuffisante pour que les usagers puissent ajuster leurs comportements, à moins que ne soient prévus des relevés périodiques des consommations. Les fournisseurs d’énergie doivent faire évoluer leur modèle de facturation, leurs systèmes d’information et/ou leurs systèmes de relève des compteurs pour réduire la périodicité des factures pour accroitre l’information donnée aux consommateurs. Sans cela, certains ménages, par mauvaise anticipation de leur facture, pourraient se priver sans raison et, inversement, d’autres ménages peu consciencieux ou contraints devront faire face à une facture bien trop élevée pour être payée en une seule fois. Dans tous les pays où la tarification progressive des énergies de réseaux est utilisée, la période de facturation la plus longue est bimensuelle. Les fournisseurs de tous les autres pays facturent leurs clients sur des intervalles de temps compris entre le jour et le mois. Dans le pire des cas, la fréquence de facturation devra être trimestrielle pour rendre compte variation saisonnière.

L’expression des bonus et malus en centimes d’euros par kWh
peut fausser le signal-prix envoyé par le système de tarification progressive. En effet, dans l’hypothèse, non complètement improbable, d’une forte évolution des tarifs, les bonus et malus pourrait devenir insignifiant et donc sans incitation réelle. C’est pourquoi, des bonus et malus exprimés en pourcentage par rapport à un tarif de référence seraient plus pertinents. De la sorte, quel que soit l’évolution des tarifs dans le futur, le signal incitatif perdurerait. Même si ces pourcentages devaient rester stables, l’augmentation des prix de l’énergie résulterait mécaniquement par un accroissement du différentiel de tarif entre les tranches du modèle.

Enfin, le fait de différencier les grilles tarifaires des logements individuels et collectifs, en structure et dans le temps, semble inapproprié puisque cela débouche sur une inégalité de traitement entre les citoyens. Si la quantification du "volume de base" peut s’avérer complexe à établir pour les logements avec un chauffage collectif, une fois qu’ils le sont, il n’y a pas de raison pour que la grille tarifaire diffère de celle appliquée aux logements individuels. Par ailleurs, le Conseil économique social et environnemental (Cese) invite les pouvoir publics à avancer sur l’individualisation des charges de chauffage dans le collectif. "L’exemple des pays nordiques montre que l’individualisation des charges dans les logements collectifs conduit à une réduction des consommations entre 15 et 20%, ce qui correspondrait à 450 millions d’euros"[4]. Au regard de cette observation, la différenciation des grilles tarifaires entre les deux types de logements semble malvenu.

L’incertitude :

La nouvelle mouture du texte de loi a donc introduit une méthode de calcul du "volume de base" qui est assise sur la quantité d’énergie consommée par le premier quartile de la population. Cette méthode de calcul soulève quelques interrogations. D’une part, le texte mentionne « un volume annuel de référence par unité de consommation, défini pour chaque énergie de réseau, représentatif du premier quartile de la consommation ». Cette formulation laisse un flou sur le volume « représentatif » du premier quartile : sera-t-il la valeur la plus haute du quartile, sa moyenne, sa médiane… ? D’autre part, le choix d’une valeur relative choisie, le quartile, pose le problème de la dispersion des consommations entre les ménages : si cette dispersion est forte, alors le système fonctionnera puisque l’écart entre le premier quartile et les autres sera suffisant pour créer des réelles incitations. Si, au contraire, la dispersion est faible, alors les incitations seront moindres, voire inexistantes. Au-delà, de la dispersion d’origine, le système à pour vocation à réduire la dispersion de modes de consommation entre les ménages qui composent la population française. Il en résulte que, mécaniquement, les incitations devraient se réduire du fait du mode de calcul du "volume de base". Une méthode de calcul du "volume de base" construite sur les exemples Californien (60% de la consommation moyenne) ou Canadienne (90% de la médiane des consommations de l’ensemble des ménages) aurait été plus pérenne car assise sur l’ensemble des consommateurs.

L’insuffisance :

Si la le texte de loi traite relativement bien de la progressivité de la consommation d’énergie transitée dans les réseaux, elle n’évoque pas un éventuel renforcement de la progressivité des tarifs d’abonnements en fonction de la puissance. Dans un objectif de réduction des coûts d’infrastructure de réseau, la proposition de loi devrait également accentuer le caractère progressif des tarifs d’abonnement car ces coûts sont déterminés par la puissance / le volume de soutirage offert aux ménages. L’expérience italienne montre que c’est grâce à cette politique tarifaire de l’abonnement que nos voisins ont réussit à maitriser l’évolution de la demande intérieur[5].

Notes :

[1] lien .pdf : ici
[2] Bâtiment – Édition 2011 – Chiffres clés, Ademe, : ici
[3] lien : ici
[4] "Energie : le Cese pointe les actions essentielles", Dorothée Laperche
[5] Chistian Dehmel, “Progressive electricity tariffs in Italiy and California – prospects and limitations on electricity savings of domestic customers”, ECEEE 2011 Summer study, 2011.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Thierry Badouard

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