La saga E.T.M

Qu’EST-CE QUE l’ E.T. M ?
L’énergie thermique des mers (ETM), connue en anglais sous l’acononyme OTEC (Ocean Thermal Energy Conversion) est produite en exploitant la différence de température entre les eaux superficielles (chaudes) et les eaux profondes (froides) des océans. Et c’est cette différence qui produit de l’électricité. Cette technologie, dont toutes les péripéties ont minutieusement été historiographiées sur le site du Club des Argonautes, est née à la fin du 19e siècle. C’est à Jules Vernes que l’on en doit la vulgarisation au chapitre XII (Tout par l’électricité) de Vingt milles lieues sous les mers ; précisement quand il fait dire au Capitaine Némo : " J’aurais pu, en effet, en établissant un circuit entre des fils plongés à différentes profondeurs, obtenir de l’électricité par la diversité des températures qu’ils éprouvaient …" .

En écrivant cela en 1869, Jules Vernes porte à la connaissance du public les travaux sur l’effet thermoélectrique à la base de la génération d’électricité découvert en 1821 par le physicien allemand Thomas John Seebeck et annonce les travaux complémentaires de J. Arsène d’Arsonval en 1881 qui proposera d’actionner un turboalternateur grâce à la vaporisation d’un fluide. La rentabilité de l’électricité ainsi produite sera immédiatement mise en doute par les industriels, à tel point que le procédé sera relégué aux oubliettes. En 1920, un ingénieur et industriel français, Georges Claude, inventeur de la lampe à néon et co-fondateur de la compagnie AIr Liquide, décide d’en entamer l’expérimentation dans le but de prouver à la fois sa faisabilité et sa rentabilité.

En 1928, à Ougrée en France, Georges Claude valide le principe en produisant de l’électricité avec une machine thermique de 60 kW alimenté avec de l’eau chaude à 33°C puisée dans le circuit de refroidissement d‘un haut fourneau et de l’eau « froide » à 12°C pompée dans la Meuse. Ça marche ! Georges Claude décide alors de tenter l’expérience avec de l’eau de mer et dans les conditions réelles, si on peut dire. C’est à Cuba qu’il trouve les conditions idéales et qu’il réalise, à ses frais, une première usine ETM en 1930. Mais malgré les résultats toujours positifs de ses expériences, Claude ne trouvera jamais les financements nécessaires à la réalisation d’ usines ETM conséquentes. La seconde guerre mondiale puis le procès de G. Claude à la Libération pour «attitude collaborationniste» enterre tout travail sur l’ ETM pour de longues années.

L’ETM AUJOURD’ HUI
La crise pétrolière de 1973, en activant l’évidence de la vulnérabilité des approvisionnements relance la recherche sur l’ETM en France, mais aussi et surtout aux USA et au Japon. Le projet français de relance du programme ETM se concentre alors sur une centrale d’ 1MW pour Tahiti ; il est l’objet d’un partenariat entre IFREMER et un consortium ERGOCEAN constitué à cet effet, et de lourds investissements engagés entre 1982 et 1985. Mais le retour à la relative régulation du marché pétrolier de 1986 vient, une fois de plus, tout remettre en question. En 1987, la France décide brutalement d’arrêter toute participation abandonnant, de fait, le leadership de la Recherche et Développement sur l’ETM aux USA et au Japon. Michel Gauthier (Club des Argonautes) – dont les travaux dans le domaine de l’ETM font autorité – rappelle que : "Entre 1974 et 2000, ces deux pays ont réussi à maintenir un certain dynamisme dans la recherche de solutions techniques. Ils ont optimisé les caractéristiques des composants : échangeurs et turbines, conforté le degré de confiance dans la tenue des équipements marins (…), et développé le concept d’usines ETM littorales "multi-produits" jusqu’à quelques dizaines de MW ; il sont permis aussi de valoriser les autres utilisations des eaux froides profondes : pour le conditionnement d’air, la production d’eau douce et de produits aquacoles". Pendant toutes ces années, les réalisations et les performances de production des américains et des japonais à Hawaï ont permis d’asseoir dans la réalité énergétique contemporaine l’immense potentiel de l’ETM.

 Coup de théâtre : depuis peu de temps la France semble de nouveau s’intéresser à cette technologie. On en devine les raisons. Dans la réponse qu’il avait faite à l’Institut de la Mer au moment de la campagne Présidentielle le candidat Nicolas Sarkozy avait déclaré : " La mer tropicale est également une source majeure d’énergies renouvelables, malheureusement inexploitée aujourd’hui. Leur développement passe par une recherche appliquée pertinente sur l’éolien offshore, sur l’hydrolien, et surtout sur l’énergie thermique des mers, actuellement ignorée. " Christian Estrosi, actuel secrétaire d’état à l’Outremer vient de déclarer : " En Polynésie française, des recherches sont entreprises dans le domaine de l’énergie thermique des mers» après avoir parlé initialement de " création prochaine d’un pôle de compétitivité sur l’énergie thermique des mers en Polynésie française ".

Cet immense potentiel principalement exploitable dans les mers chaudes de la ceinture tropicale, 24 heures sur 24 et 365 jours par an, commence aussi à intéresser l’Europe, longtemps indifférente à cette technologie destinée à ses Régions Ultra Périphériques mais aussi aux ZEE (Zones Economiques Exclusives). Dans les dix dernières années, précisément entre 1995 et 2006, l’Union Européenne a consacré plus de 30 millions d’euros à la R&D sur les énergies marines. Ces chiffres ne constituent qu’une partie du financement de la R&D pour l’exploitation des énergies marines. D’autres financements provenant des collectivités locales et territoriales (le gouvernement de Polynésie) et des consortiums industriels jouent un rôle important dans certains pays (dont la France). Jean-Yves Perrot, Président d’Ifremer a lancé un groupe de travail qui intègre cette technologie dans ses recommandations. Le Secrétariat général à la Mer est également vigilant au regard de ces propositions.

Parviendront-ils à convaincre, à travers le très pertinent travail de réseau qu’ils mènent, les parlementaires de Bruxelles de la nécessité de ne pas exclure les industriels européens présents dans le secteur de l’énergie, d’un futur marché d’équipements que d’autres pays (USA, Japon mais aussi Inde et Australie) estiment important et prometteur ?

C’est ce que la suite de la saga ETM ne manquera pas de dire…

Par Francis Rousseau

SOURCES EN LIGNE
– Club des Argonautes : http://www.clubdesargonautes.org
– IRD Sciences au Sud / Juin-Juillet 2007 : Et l’énergie thermique des mers : http://www.ird.fr/fr/actualites/journal/40/
– Natural Energy Laboratory of Hawaii Authority : http://nelha.org
– Energies de la mer : http:// energies-mer.blogspot.com
– Histoire des énergies thermique des mers par Michel Paillard in Entretiens Science et Ethique 2007 : http://www.canalc2.tv 12’
– Site polynésien du Développement durable : documents de Bruno Garnier, ancien conseiller technique aux énergies renouvelables du gouvernement de Polynésie française et Dominique Buestel, Directeur du Centre Océanologique du Pacifique de l’Institut Français de recherche et d’Exploitation de la Mer – IFREMER : http://www.2d-attitude.org/.
– Star Bulletin n°154 du 3/06/06 : http://starbulletin.com/2006/06/03/news/story02.html
– Les Carnets de René : http://quanthomme.free.fr/energieencore/carnet13.htm

BIBLIOGRAPHIE
– GAUTHIER, MIchel : L’énergie Thermique des mers in revue trimestrielle du réseau ECRIN (n°57 de septembre 2004).
– GAUTHIER Michel & LENNARD, Don : Ocean Thermal Energy Conversion: an opportunity for the Maritime Industry with early application to Islands in Colloque énergies renouvelables organisé par l’Union Européenne, Juin 2001.
– GAUTHIER M. OTEC economics and electricity costs : a little of OTEC history . IOA Vol 11 N°4, Winter 2000
– TAKAHASHI, Patrick : The Potential and Realities of Ocean Thermal Energy Conversion (OTEC) , 2003
– AVERY W. & WU C. Renewable Energy from the Ocean A guide to OTEC . 1 Oxford University Press 1994.
– CLAUDE, Georges : Ma vie et mes inventions. Librairie Plon. Paris, 1957

Photo : préfiguration d’une unité ETM à Townsville dans le North Queensland (Australie) ©Dean Willey

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