Dans les laboratoires de recherche fondamentale, la quête d’un semiconducteur supraconducteur relevait jusqu’ici du Graal technologique. Une équipe internationale vient de franchir une étape décisive en transformant le germanium, matériau omniprésent dans nos puces électroniques, en un supraconducteur capable de conduire l’électricité sans aucune résistance.
Publiés le 30 octobre dans la revue Nature Nanotechnology, ces travaux menés par des chercheurs de l’Université de New York, de l’Université du Queensland, de l’ETH Zurich et de l’Ohio State University ouvrent des perspectives pour l’informatique quantique et l’électronique cryogénique de nouvelle génération.
L’exploit d’une structure cristalline sous contrôle
Le défi scientifique était de taille. En effet, comment conférer des propriétés supraconductrices à un élément du groupe IV comme le germanium, alors que sa structure atomique diamantine résiste naturellement à ce type de comportement électronique ? Les chercheurs ont misé sur une technique éprouvée mais poussée à ses limites. Il s’agit du dopage massif au gallium. Traditionnellement, une trop forte concentration de gallium déstabilise le cristal et provoque son effondrement structurel. Mais l’équipe a trouvé la parade.
En recourant à l’épitaxie par jets moléculaires plutôt qu’à l’implantation ionique conventionnelle, ils ont réussi à forcer les atomes de gallium à remplacer les atomes de germanium au sein même du réseau cristallin, à des niveaux de concentration inédits. Julian Steele, physicien à l’Université du Queensland et co-auteur de l’étude, explique : « L’utilisation de l’épitaxie – la croissance de couches cristallines minces – nous permet enfin d’atteindre la précision structurelle nécessaire pour comprendre et contrôler comment la supraconductivité émerge dans ces matériaux ». Le cristal se déforme légèrement sous l’effet de ce remplacement atomique, mais conserve une architecture stable qui devient supraconductrice à 3,5 Kelvin, soit environ -453 degrés Fahrenheit.

Des appariements d’électrons rendus possibles
La supraconductivité repose sur un phénomène quantique subtil. Les électrons, habituellement individualistes dans leur comportement, s’apparient pour circuler sans rencontrer la moindre résistance. Les éléments du groupe IV, dont fait partie le germanium, ne manifestent pas naturellement ce comportement dans des conditions normales.
Javad Shabani, directeur du Centre de physique de l’information quantique de l’Université de New York et du tout nouvel Institut quantique de l’établissement, observe : « Les éléments du groupe IV ne deviennent pas naturellement supraconducteurs dans des conditions normales, mais modifier leur structure cristalline permet la formation d’appariements d’électrons qui autorisent la supraconductivité ».
La manipulation de cette structure à l’échelle atomique constituait justement l’obstacle majeur que les scientifiques viennent de surmonter.
Une révolution industrielle en puissance
Les implications pratiques dépassent largement le cadre du laboratoire. Le germanium équipe déjà massivement les puces informatiques et les fibres optiques de nos infrastructures numériques. Javad Shabani souligne l’importance de la découverte : « Établir la supraconductivité dans le germanium, qui est déjà largement utilisé dans les puces informatiques et la fibre optique, peut potentiellement révolutionner des dizaines de produits de consommation et de technologies industrielles ».
Peter Jacobson, physicien à l’Université du Queensland, va plus loin et détaille les applications concrètes : « Ces matériaux pourraient sous-tendre les futurs circuits quantiques, capteurs et électronique cryogénique à faible consommation, qui nécessitent tous des interfaces propres entre régions supraconductrices et semiconductrices. Le germanium est déjà un matériau de référence pour les technologies semiconductrices avancées, donc en démontrant qu’il peut aussi devenir supraconducteur dans des conditions de croissance contrôlées, il existe désormais un potentiel pour des dispositifs quantiques évolutifs, prêts pour la production industrielle ».
Article : « Superconductivity in substitutional Ga-hyperdoped Ge epitaxial thin films » – DOI : 10.1038/s41565-025-02042-8
Source : New York U.











