Le Mont Säntis, terrain d’expérimentation pour un paratonnerre laser

Le Mont Säntis, terrain d'expérimentation pour un paratonnerre laser

Un consortium européen dirigé par l’UNIGE, l’École Polytechnique de Paris, l’EPFL, hes-so et TRUMPF a réussi à maîtriser la foudre grâce à un laser de haute puissance installé au sommet du Mont Säntis, en Suisse.

Les incendies de forêt, les coupures d’électricité et les infrastructures endommagées sont autant de conséquences dévastatrices de la foudre, qui tue environ 24 000 personnes chaque année dans le monde et cause d’importants dégâts matériels. Bien que le paratonnerre inventé par Benjamin Franklin soit toujours la meilleure protection contre la foudre, il n’est pas toujours optimal pour protéger les sites sensibles. Face à ce défi, un consortium européen comprenant l’Université de Genève (UNIGE), l’École Polytechnique de Paris, l’EPFL, l’hes-so et TRUMPF scientific lasers (Munich) a élaboré une solution innovante : le paratonnerre laser, également connu sous le nom de LLR (Laser Lightning Rod).

Après des essais concluants menés sur le sommet du Mont Säntis en Suisse, les chercheurs ont désormais la preuve de la faisabilité de cette technologie révolutionnaire. Le paratonnerre laser est capable de dévier la foudre sur plusieurs dizaines de mètres, même en cas de mauvaises conditions météorologiques. Les résultats de cette recherche prometteuse sont publiés dans la revue scientifique Nature Photonics.

La foudre est l’un des phénomènes naturels les plus extrêmes. Brutale décharge électrostatique de millions de volts et de centaines de milliers d’ampères, la foudre peut être observée dans un seul nuage, entre plusieurs nuages, entre un nuage et le sol et vice-versa. Aussi fascinante que destructrice, la foudre est responsable de près de 24 000 décès par an. Des coupures d’électricité aux incendies de forêt en passant par les dommages causés aux infrastructures, elle est également à l’origine de dégâts considérables qui se chiffrent à plusieurs milliards de dollars.

Les dispositifs de protection contre la foudre ont peu évolué depuis 1752, date à laquelle Benjamin Franklin a inventé le paratonnerre, un mât métallique pointu et conducteur relié au sol. Le paratonnerre traditionnel reste encore aujourd’hui la forme de protection externe la plus efficace : il protège une surface dont le rayon est plus ou moins égal à sa hauteur. Ainsi, une canne de 10 m de haut sécurisera une zone de 10 m de rayon.

Toutefois, la hauteur des mâts n’étant pas extensible à l’infini, il ne s’agit pas d’un système optimal pour protéger des sites sensibles sur une large zone, tels qu’un aéroport, un parc éolien ou une centrale nucléaire.

Grâce à un laser haute puissance installé au sommet du Säntis (CH), un consortium européen dirigé par l’Université de Genève, l’École polytechnique (Paris), l’EPFL et TRUMPF est parvenu à guider la foudre ⚡. Cette première ouvre la voie au développement de paratonnerres plus performants.

Rendre l’air conducteur

Un consortium européen mené par l’UNIGE et l’École polytechnique (Paris) a cherché à résoudre ce problème en partenariat étroit avec l’EPFL (EMC Lab, Prof. Farhad Rachidi), TRUMPF scientific lasers, ArianeGroup, AMC (Prof. A. Mysyrowicz) et la School of Engineering and Management (hes-so, Prof. Marcos Rubinstein). Elle a travaillé sur un dispositif connu sous le nom de paratonnerre laser (LLR). En générant des canaux d’air ionisé, le LLR a été utilisé pour guider la foudre le long de son faisceau. S’étendant vers le haut à partir d’un paratonnerre traditionnel, il pourrait augmenter sa hauteur virtuellement ainsi que la surface de la zone qu’il protège.

Lorsque des impulsions laser de très haute puissance sont émises dans l’atmosphère, des filaments de lumière très intense se forment à l’intérieur du faisceau”, explique Jean-Pierre Wolf, professeur ordinaire au Département de physique appliquée de la Section de physique de la Faculté des sciences de l’UNIGE et dernier auteur de l’étude. Ces filaments ionisent les molécules d’azote et d’oxygène de l’air, qui libèrent alors des électrons libres de se déplacer”, poursuit le professeur Wolf. Cet air ionisé, appelé “plasma”, devient un conducteur électrique.

Le laser “LLR” a été installé au sommet du Säntis (2500m) et activé de juin à septembre 2021. Il a été focalisé au-dessus d’une tour-émettrice de 124m appartenant à l’opérateur Swisscom, munie d’un paratonnerre traditionnel. © TRUMPF / Martin Stollberg

Tests à 2 500 m d’altitude

Le projet LLR nécessitait la mise au point d’un nouveau laser d’une puissance moyenne d’un kilowatt, d’un Joule par impulsion et d’une durée par impulsion d’une picoseconde. Le barreau de 1,5 m de large, 8 m de long et pesant plus de 3 tonnes a été conçu par TRUMPF scientific lasers. Ce laser térawatt a été testé sur le sommet du Säntis (en Appenzell, à 2’502 m d’altitude) déjà instrumenté par l’EPFL et la HEIG-VD / HES-SO pour l’observation de la foudre. Elle s’est concentrée au-dessus d’une tour émettrice de 124 m appartenant à l’opérateur de télécommunications Swisscom, qui était équipée d’un paratonnerre traditionnel. Il s’agit de l’une des structures les plus touchées par la foudre en Europe.

La principale difficulté résidait dans le fait qu’il s’agissait d’une campagne grandeur nature. Nous avons dû préparer un environnement dans lequel nous pouvions installer et protéger le laser“, explique Pierre Walch, doctorant au Laboratoire d’Optique Appliquée (LOA), une unité mixte de recherche CNRS, École Polytechnique, ENSTA Paris, Institut Polytechnique de Paris, Palaiseau, France.

Le laser a été activé chaque fois qu’une tempête était prévue entre juin et septembre 2021. La zone a dû être fermée au trafic aérien au préalable. “L’objectif était de voir s’il y avait une différence avec ou sans le laser”, explique Aurélien Houard, chercheur au Laboratoire d’Optique Appliquée (LOA) et coordinateur du projet. “Nous avons comparé les données recueillies lorsque le filament laser était produit au-dessus de la tour et lorsque la tour était frappée naturellement par la foudre“.

Efficace même dans les nuages

Il a fallu près d’un an pour analyser la quantité colossale de données recueillies. Cette analyse montre maintenant que le laser LLR peut guider efficacement la foudre. Le professeur Wolf explique plus en détail : “Dès le premier éclair utilisant le laser, nous avons constaté que la décharge pouvait suivre le faisceau sur près de 60 mètres avant d’atteindre la tour, ce qui signifie que le rayon de la surface de protection est passé de 120 m à 180 m“.

L’analyse des données démontre également que le LLR, contrairement à d’autres lasers, fonctionne même dans des conditions météorologiques difficiles – comme le brouillard (souvent présent au sommet du Säntis), qui peut arrêter le faisceau – puisqu’il perce littéralement les nuages. Ce résultat n’avait jusqu’à présent été observé qu’en laboratoire. La prochaine étape pour le consortium sera d’augmenter encore la hauteur d’action du laser. L’objectif à long terme est d’utiliser le LLR pour prolonger de 500 m un paratonnerre de 10 m.

Légende illustration : Lors de tests effectués au sommet du Säntis, les scientifiques ont constaté que la décharge pouvait suivre le faisceau laser sur plusieurs dizaines de mètres avant d’atteindre la tour de l’opérateur Swisscom. Xavier Ravinet – UNIGE

This research is published in Nature Photonics
DOI: 10.1038/s41566-022-01139-z

[ Communiqué ]

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