Découvert à la fin de années 90, le redox anionique repose sur un phénomène électrochimique complémentaire aux réactions d’oxydation-réduction classiques des batteries à ions lithium.
Maîtrisé, ce processus pourrait presque doubler la capacité d’énergie stockée dans la batterie et donc son autonomie. Il ouvrirait également la voie vers une composition plus « verte » des batteries, en réduisant aussi la quantité de matériaux aux enjeux économiques et géopolitiques importants. Créateur du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie du CNRS (RS2E) qui est co-auteur d’un état des lieux du redox anionique publié dans la revue Nature Energy, Jean-Marie Tarascon nous en dit plus sur cette technologie et ses voies de développement.
Quel serait l’avantage du redox anionique pour les batteries ?
Jean-Marie Tarascon : Les chercheurs du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie du CNRS (RS2E)1 travaillent depuis 2012 sur le redox anionique, un phénomène d’oxydation-réduction supplémentaire au redox cationique qui régit depuis 20 ans le fonctionnement des cathodes et anodes dans les batteries à ions lithium. Ce phénomène anionique, proposé en 1999 pour les oxydes lamellaires, a été ignoré pendant plus de 10 ans par la communauté scientifique avant les découvertes convaincantes de notre groupe en étudiant des matériaux « Li-rich » modèles1, à la composition enrichie en lithium. Ces découverts suscitent de nouveau l’intérêt de la communauté scientifique. En effet, une meilleure maîtrise de ce phénomène permettrait théoriquement d’augmenter l’autonomie des batteries de 20 %, en doublant la capacité de charge stockée dans l’électrode positive. De plus, contrairement aux batteries actuelles, ces matériaux contiennent peu de cobalt, un matériau rare, coûteux et toxique dont la production est source d’enjeux géopolitiques et écologiques importants. Le redox anionique donnerait donc naissance à des batteries plus « vertes ».
Mais le redox anionique reste difficile à maîtriser…
J.-M.T. : La communauté scientifique a déjà publié plusieurs dizaines voire centaine articles sur la compréhension des mécanismes et des performances remarquables associées à ce phénomène. Mais le redox anionique présente encore de nombreuses limitations : chute de potentiel lors du cyclage2, durée de vie limitée, lenteur de charge et faible efficacité énergétique. Autant de freins à la commercialisation de cette technologie, pourtant prometteuse. Dans notre dernier article publié dans Nature Energy, nous proposons un cheminement pédagogique montrant comment, à partir de bases fondamentales connues, il est possible de rendre compte de la complexité du phénomène et d’en mesurer la richesse mais aussi les limitations. Il faut prendre conscience de ces barrières, afin de les lever et d’optimiser ces matériaux pour les batteries de futur.
Vous proposez également d’améliorer la caractérisation du processus de redox anionique ?
J.-M.T. : Dans notre article, nous soulignons l’importance de la mise en place d’un paradigme dans les méthodes de caractérisation du redox anionique. Cette réaction est en effet complexe à étudier et nécessite de modifier les protocoles de tests électrochimiques normalement utilisés. En outre, il nécessite l’adoption de nouvelles techniques de caractérisation des matériaux ainsi que le développement de techniques in situ faisant appel aux grands instruments (synchrotron Soleil). Chaque méthode possède dans ce cadre ses propres apports et toutes sont complémentaires. Il est donc important d’utiliser chaque méthode de la bonne manière et à bon escient pour tirer le maximum d’informations : une meilleure compréhension de cette technologie nous permettra de mieux l’optimiser.
Existe-t-il des concurrents sérieux pour les batteries, face au redox anionique ?
J.-M.T. : Nous avons comparé les performances des matériaux Li-rich à d’autres types de matériaux, notamment les « NMC », un mélange de nickel (Ni), de manganèse (Mn) et de cobalt (Co) utilisé dans les batteries actuelles. Aujourd’hui, les formulations de NMC les plus courantes dans l’industrie sont le NMC 111, composé de 33 % de chaque élément, et le NMC 622, composé de 60 % de Ni, 20 % de Mn et 20 % de Co. Dans la course vers la diminution du Co dans les batteries, les chercheurs travaillent actuellement sur la composition 811 (80 % de Ni pour seulement de 10 % de Mn et 10 % de Co) dont l’intégration dans des batteries commerciales est planifiée pour 2021. La technologie des NMC aura alors rattrapé les matériaux Li-rich en termes de réduction de la part de Co employé. Mise à part leur capacité exacerbée, les composés Li-rich d’aujourd’hui sont défavorisés par rapport aux prochaines générations de composés NMC (811) en termes d’efficacité énergétique, de puissance et de durée de vie. Pour rendre les Li-rich commercialement compétitifs, il convient donc de travailler sur ces caractéristiques, dans le temps limité imposé par la concurrence des NMC. Cette course entre les deux va stimuler les développements fondamentaux et nous sommes optimistes : chacun va trouver sa propre place parmi les diverses applications des batteries dans le futur.
©Olivia Beaujot/RS2E
Illustration principale : ©Frédérique PLAS/UMR8620/CNRS Photothèque
1 M. Sathiya et al. Nature Materials, volume 12, pages 827–835 (2013) 2 Une batterie est conçue pour un certain nombre de cycles de charge/décharge sans diminution significative de sa capacité en ampère-heure.
Références G. Assat et J-M. Tarascon Fundamental understanding and practical challenges of anionic redox activity in Li-ion batteries Nature Energy – Avril 2018 DOI : 10.1038/s41560-018-0097-0