“Les énergies fossiles doivent être entièrement remplacés”

Les énergies fossiles doivent être entièrement remplacés

Interview de Peter Richner, expert en énergie et directeur adjoint de l’Empa, sur notre avenir énergétique – et la difficulté des “prévisions”.

La pénurie d’énergie a été l’un des thèmes dominants de ces derniers mois – et elle devrait continuer à nous préoccuper, comme le montre par exemple la poursuite de nombreuses mesures d’économie au-delà de la période de chauffage. Comment l’Empa a-t-elle passé l’hiver ?

Grâce à une combinaison de temps chaud et de mesures d’économie sélectives, nous avons pu réduire nos besoins en énergie de 14% au total entre octobre 2022 et mars 2023 par rapport à la même période de l’année précédente. Et ce qui est particulièrement important pour nous, c’est que nous avons réalisé cette économie sans avoir à subir de restrictions opérationnelles.

Comment y êtes-vous parvenus exactement, quelles mesures avez-vous prises ?

Nous avons réduit la température des pièces et l’éclairage, renoncé à l’eau chaude sanitaire et éliminé systématiquement les pertes du mode veille.

Allez-vous poursuivre ces mesures ? Ou même faire d’autres pas en direction d’un approvisionnement énergétique durable ?

Nous allons certainement pérenniser la majorité des mesures. En outre, nous continuons d’investir dans une commande optimisée des températures ambiantes et nous allons mettre en service cette année encore un nouveau type d’accumulateur de chaleur saisonnier sur notre campus de Dübendorf, ce qui nous permettra de réaliser encore une fois des économies significatives en matière d’énergie de chauffage.

Le tournant énergétique vers un approvisionnement énergétique durable est actuellement sur toutes les lèvres, notamment en raison du vote imminent de la loi sur le climat et l’innovation. Chaque personne impliquée semble faire circuler des chiffres différents qui semblent étayer l’un ou l’autre point de vue. Pourquoi règne-t-il une telle “cacophonie” de chiffres – certains ne savent-ils tout simplement pas calculer ?

En effet, les nombreuses études publiées par l’Empa et bien d’autres au cours des derniers mois et années semblent à première vue contradictoires. Il faut toutefois garder à l’esprit qu’il ne s’agit toujours que d’étudier les résultats ou les conséquences de certaines décisions et actions, dans le sens d’un “SI-ALORS”. Il s’agit donc de scénarios possibles – et non de prévisions qui prétendraient décrire exactement la situation en 2040 ou 2050.

Les hypothèses sur lesquelles se fonde une étude sont donc tout à fait déterminantes pour les résultats. Ceux-ci sont logiquement différents si une étude part du principe que le potentiel d’énergie renouvelable de la Suisse – c’est-à-dire le soleil, le vent, l’eau et la géothermie – est entièrement exploité et si une autre étude n’active que partiellement ce potentiel.

Un bon exemple est le travail d’Andreas Züttel et de ses collègues, dans lequel ils ont examiné ce que cela signifierait si la Suisse voulait couvrir à tout moment 100% de ses besoins énergétiques par la production nationale – en d’autres termes, si elle était complètement autosuffisante sur le plan énergétique. Il s’agit d’une situation qui n’a plus été observée depuis au moins l’industrialisation qui a débuté dans la seconde moitié du 19e siècle. L’analyse montre que l’autosuffisance énergétique totale ne pourrait être atteinte qu’à des coûts exorbitants, combinés à des interventions massives dans notre environnement. En ce sens, l’étude confirme le bien-fondé de la stratégie actuelle de la Suisse, qui vise un mélange d’efficacité énergétique, de développement des énergies renouvelables en Suisse, d’intégration au réseau électrique européen et de commerce mondial d’énergies renouvelables.

Cela signifie donc que les différents coûts dépendent simplement de tout ce que l’on inclut dans la “facture globale” de la transition énergétique ?

Outre la faisabilité technique, les coûts jouent bien sûr un rôle essentiel dans toutes les études sur la transformation du système énergétique. Là encore, il faut être très attentif à chaque travail, car il n’existe pas de définition du “système énergétique” acceptée par tous. Il faut en outre distinguer ce qui constitue des coûts supplémentaires effectifs et ce qui doit être supporté dans tous les cas sous forme d’entretien et d’investissements de remplacement – autrement dit : même sans transformation de notre système énergétique. Ainsi, l’étude de Swiss Banking, souvent citée actuellement, fait état de coûts totaux de 387 milliards de CHF, dont 58%, soit 225 milliards de CHF, sont des investissements de remplacement. La première acquisition de véhicules électriques par des particuliers représente à elle seule 35% des coûts totaux. Il ne s’agit toutefois pas de coûts supplémentaires, car d’ici 2050, l’ensemble du parc automobile sera de toute façon renouvelé au moins une fois et les coûts des véhicules électriques et des véhicules à combustion se rapprochent de plus en plus.

Malgré toutes les différences entre les diverses études et modèles, quels sont les points d’accord et les éléments qui sont actuellement considérés comme sûrs ?

Tout le monde s’accorde à dire qu’il est nécessaire de remplacer complètement les énergies fossiles. Et cela doit se faire le plus rapidement possible afin de maintenir les dommages causés par le réchauffement climatique dans des limites acceptables. Par ailleurs, la sécurité de l’approvisionnement est insuffisante en raison de la grande dépendance actuelle vis-à-vis des importations en provenance de régions parfois critiques.

Le passage aux énergies renouvelables s’accompagne d’une forte électrification des systèmes de chauffage des bâtiments et de la mobilité, ce qui entraîne en même temps un grand gain d’efficacité énergétique : Tant une pompe à chaleur qu’un moteur électrique sont environ trois fois plus efficaces qu’une chaudière ou un moteur à combustion. Cela entraîne une réduction des besoins en énergie primaire, mais en même temps une plus grande demande en électricité.

Répondre à cette demande, surtout en hiver, est sans doute le plus grand défi à relever. Pour cela, il n’existe pas LA bonne solution, mais une multitude de variantes. Si l’on analyse les différentes voies de transformation, on constate qu’elles ne se distinguent guère en ce qui concerne les mesures à prendre au cours des prochaines années : Nous devons améliorer considérablement l’efficacité énergétique dans tous les domaines (bâtiments, mobilité, processus industriels) et développer massivement les capacités d’énergies renouvelables dans le pays. Ce n’est que dans la deuxième phase, à partir de 2030/2035, qu’il y a une différenciation entre les divers scénarios, qui se distinguent en premier lieu par le degré d’autosuffisance et le mix des technologies utilisées.

Compte tenu de l’urgence et de l’ampleur du défi, il serait donc indiqué de mettre davantage l’accent sur la mise en œuvre cohérente des premières étapes que nous devons franchir au cours des deux à cinq prochaines années. Nous avons mal utilisé les quinze dernières années et avons préféré focaliser les discussions sur une description aussi précise que possible de la situation en 2050. Cela est certes tout à fait important, mais ne doit pas nous empêcher de faire ce qui est nécessaire MAINTENANT – et sur lequel il y a d’ailleurs un large consensus.

Que voulez-vous dire par “les 15 dernières années ont été mal utilisées” ? Qu’avons-nous manqué en Suisse pendant cette période ?

Un bon exemple est la construction d’installations photovoltaïques. Les prix des modules PV baissent de manière exponentielle depuis de nombreuses années, d’un facteur 10 environ entre 2010 et 2020 ! Parallèlement, la quantité de puissance photovoltaïque installée augmente globalement dans des proportions similaires. En revanche, si l’on observe la situation en Suisse, on constate que l’installation a stagné, voire diminué à partir de 2013 et n’a recommencé à croître qu’à partir de 2019. Si, au lieu de cela, le marché photovoltaïque suisse s’était développé parallèlement au marché mondial, la puissance installée en Suisse serait aujourd’hui déjà plusieurs fois supérieure. La production nationale d’électricité aurait donc été proportionnellement plus élevée, et l’industrie de transformation se serait également développée en conséquence durant cette période et disposerait aujourd’hui de capacités d’installation nettement plus importantes. Nous serions donc aujourd’hui dans une bien meilleure situation en ce qui concerne la sécurité de l’approvisionnement en électricité.

Comment en est-on arrivé à cette stagnation dans le domaine du photovoltaïque ?

En fait, après Fukushima et le fait que la Suisse se soit détournée du nucléaire, on aurait pu s’attendre à ce qu’une grande priorité soit accordée au développement des technologies alternatives en Suisse. Ce n’est manifestement pas le cas. On a trop longtemps misé sur une stratégie d’importation d’électricité, alors qu’il est vite apparu que nos pays voisins étaient confrontés à des défis similaires, notamment en hiver, et que la conclusion d’un accord sur l’électricité avec l’UE s’avérait très difficile.

Encore une question sur la sécurité de l’approvisionnement – qui est très en vogue, et pas seulement depuis la guerre en Ukraine. Pour l’atteindre, devons-nous “produire” toute l’énergie en Suisse, c’est-à-dire devenir autosuffisants ?

Encore une fois, une autarcie complète n’a aucun sens, ni économique, ni écologique, le prix serait tout simplement trop élevé. Elle ne fait pas non plus partie de la stratégie énergétique de la Suisse. Depuis l’industrialisation, la Suisse n’est plus autosuffisante sur le plan énergétique ; il en va de même pour de nombreux autres aspects comme la nourriture, les médicaments, etc. Il est bien plus important de mettre en place un système d’approvisionnement résilient, basé sur une forte production nationale avec l’hydraulique, le photovoltaïque et éventuellement l’éolien et de la géothermie, avec des possibilités de stockage adéquates. Ce système est complété par l’importation d’énergie renouvelable, éventuellement sous forme de vecteurs énergétiques synthétiques comme l’hydrogène et le méthane, qui peuvent tout à fait être produits dans des régions éloignées de la Suisse, où l’énergie renouvelable y est abondante. Deux aspects sont toutefois importants : les sources d’approvisionnement doivent être diversifiées afin de ne pas tomber dans une dépendance critique vis-à-vis de certains pays ou régions du monde. Et il faut une bonne intégration de la Suisse dans le réseau énergétique européen. A l’avenir, celui-ci ne comprendra pas seulement de l’électricité, mais probablement aussi de l’hydrogène et du méthane synthétique. Si nous n’y avons pas accès, ou seulement de manière limitée, notre sécurité d’approvisionnement sera remise en question.

Auteur : Michel Hagmann

Züttel, N Gallandat, PJ Dyson, L Schlapbach, PW Gilgen, SI Orimo; Future Swiss Energy Economy: The Challenge of Storing Renewable Energy; Front Energy Res (2022); doi: 10.3389/fenrg.2021.785908

Investitions- und Finanzierungsbedarf für eine klimaneutrale Schweiz bis 2050; Studie der Schweizerischen Bankiervereinigung (SBVg) in Zusammenarbeit mit der Boston Consulting Group, August 2021

[ Communiqué ]
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