Jenny Holmstrand | Ulrika Ernström
Points forts |
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Une étude de l’Université Chalmers propose d’utiliser les déchets agricoles (paille de blé, enveloppes d’avoine) pour produire des fibres textiles cellulaires, réduisant la dépendance au coton et au bois. La méthode de « pulping soda » nécessite moins de produits chimiques et est plus simple que l’extraction de cellulose forestière. Transforme des sous-produits agricoles (résidus de culture) en matière première économique et écologique. Remplacer le coton par cette cellulose pourrait atténuer l’empreinte carbone et la surconsommation d’eau. Le projet associe Chalmers, Tree To Textile et IVL Swedish Environmental Research Institute, avec un potentiel d’industrialisation rapide via les industries existantes (papeterie). |
Les matériaux textiles à base de cellulose peuvent rendre le secteur de l’habillement plus durable. Actuellement, les textiles à base de cellulose sont principalement fabriqués à partir de bois, mais une étude dirigée par des chercheurs de l’université de technologie de Chalmers montre qu’il est possible d’utiliser des déchets agricoles provenant du blé et de l’avoine. Cette méthode est plus facile et nécessite moins de produits chimiques que la fabrication de cellulose d’origine forestière, et elle peut accroître la valeur des déchets agricoles.
La fabrication de vêtements à partir de coton, qui consomme beaucoup d’eau, a un impact majeur sur le climat. C’est pourquoi la cellulose issue d’autres matières premières a été mise en avant ces dernières années comme une méthode de production textile plus respectueuse des ressources. Jusqu’à présent, les efforts se sont concentrés sur la cellulose à base de bois. Mais dans une étude publiée récemment, des chercheurs ont étudié une autre voie pour la fabrication de fibres de cellulose, en utilisant des déchets de l’agriculture, dont la Suède dispose en abondance.
Les chercheurs ont testé des balles d’avoine, de la paille de blé, de la pulpe de pomme de terre et de la pulpe de betterave sucrière. Les balles d’avoine et la paille de blé se sont avérées les plus efficaces pour développer une pulpe, appelée pulpe dissolvante, qui est utilisée pour fabriquer des vêtements.
« Avec cette méthode, que nous avons développée dans cette étude, nous montrons qu’il est possible de fabriquer de la pâte textile à partir de certains déchets agricoles », indique Diana Bernin, professeur adjoint au département de chimie et d’ingénierie chimique de Chalmers et chercheur principal de l’étude. « Il s’agit d’une étape importante vers la création de textiles à partir de déchets au lieu d’utiliser du coton, qui n’est pas respectueux du climat, ou du bois, un matériau que nous voulons utiliser pour de nombreuses choses tout en devant le préserver pour le bien du climat. »

Une fabrication plus durable grâce à la soude
L’équipe a utilisé la pulpe de soude comme une partie du processus. Cela signifie que la matière première est bouillie dans de la soude, ce qui rend la fabrication plus durable.
« La soude ne contient pas de toxines ni de substances ayant un impact sur la nature », explique-t-elle. « La fabrication de pâte à base de soude ne fonctionne pas pour les fibres de bois. La fabrication de pâte textile à partir de paille de blé et de balle d’avoine nécessite donc moins de produits chimiques que la fabrication de cellulose d’origine forestière. Il s’agit également d’une procédure plus simple, notamment parce qu’elle ne nécessite pas de traitement tel que le déchiquetage et l’écorçage. En outre, elle augmente la valeur économique de l’avoine et du blé, car les restes de leur production peuvent être utilisés comme matières premières pour l’extraction de la cellulose ».
Selon Diana Bernin, il est probable que plusieurs autres déchets agricoles puissent être utilisés pour la fabrication de textiles en utilisant la méthode mise au point par son équipe. Elle participe actuellement à un projet international qui a permis de découvrir, en utilisant la méthode de cette étude, que le pressage de l’herbe des champs fonctionne très bien pour créer de la pâte dissolvante.
Dans des études complémentaires qui n’ont pas encore été publiées, les chercheurs ont également fait un pas de plus vers l’application pratique des pâtes dissolvantes, en créant des fibres textiles à partir de la pulpe de blé et du tourteau de pressage de l’herbe.
L’espoir d’utiliser les industries existantes
À long terme, Diana Bernin estime qu’il est possible d’utiliser l’industrie de la pâte et du papier, qui dispose déjà de technologies et de processus, pour fabriquer de la pâte à dissoudre à partir de déchets agricoles.
« Si nous pouvons utiliser notre industrie existante et adapter ses processus au lieu de construire de nouvelles installations de production, nous aurons déjà parcouru un long chemin », déclare-t-elle.
L’auteur principal de l’étude est Joanna Wojtasz, ancienne post-doctorante à Chalmers et aujourd’hui chercheuse à la société d’innovation Tree To Textile, qui est l’un des partenaires du projet.
« L’étude montre que les déchets agricoles recèlent un potentiel considérable », explique Joanna Wojtasz. « Nous ne devrions pas négliger la possibilité d’utiliser ce type de flux de cellulose pour nos futurs vêtements. »
En synthèse
Cette recherche ouvre des perspectives intéressantes pour une mode plus durable, en transformant des déchets agricoles en textiles cellulaires. Bien que la méthode soit encore en phase expérimentale, elle propose un modèle économiquement viable et écologiquement bénéfique, évitant la surexploitation des forêts et des ressources hydriques. Des défis persistent encore, comme l’industrialisation du procédé et l’adaptation des infrastructures actuelles. L’étude souligne aussi l’importance de collaborations interdisciplinaires pour concrétiser ces innovations. À long terme, ce concept pourrait redéfinir l’économie circulaire du secteur textile, en intégrant des matières premières renouvelables et abondantes.
Pour une meilleure compréhension
Pourquoi utiliser des déchets agricoles pour les textiles ?
Les déchets agricoles (paille, enveloppes) sont peu valorisés et abondants. Les utiliser réduit les gaspillages et offre une alternative durable aux matières premières classiques comme le coton ou le bois.
Quels avantages par rapport au coton ou à la cellulose forestière ?
Le coton est très gourmand en eau et en pesticides, tandis que la cellulose forestière concurrence les besoins en bois pour la construction ou la préservation des écosystèmes. Les déchets agricoles, eux, sont des ressources sous-utilisées.
Qu’est-ce que le « pulping soda » ?
C’est une méthode de fabrication de pâte à papier utilisant de la soude caustique (lye) pour dissoudre les composants non cellulaires des plantes. Elle est non toxique et adaptée aux fibres agricoles.
Quels déchets agricoles sont testés dans l’étude ?
Les chercheurs ont testé la paille de blé, les enveloppes d’avoine, la pulpe de pomme de terre et la cosse de betterave sucrière. Les deux premiers se sont révélés les plus efficaces.
Quels sont les défis techniques à surmonter ?
Adapter les procédés industriels existants à ces nouvelles matières premières, garantir la qualité des fibres textiles et optimiser la rentabilité à grande échelle.
Y a-t-il d’autres applications possibles pour cette cellulose ?
Oui, elle pourrait être utilisée dans des emballages biodégradables, des produits médicaux ou même des batteries à base de cellulose.
Quels sont les partenaires impliqués dans ce projet ?
L’Université Chalmers, l’entreprise innovante Tree To Textile et l’IVL Swedish Environmental Research Institute, soutenus par Bioinnovation
Lexique
- Cellulose : Polymère naturel présent dans les parois des plantes, utilisé pour produire des fibres textiles (ex. viscose).
- Pâte désintégrante (dissolving pulp) : Cellulose hautement purifiée, soluble dans des solvants chimiques, destinée à la fabrication de textiles ou de plastiques biosourcés.
- Pulping soda : Procédé chimique utilisant de la soude pour extraire la cellulose à partir de matières végétales.
- Déchets agricoles : Résidus issus de la culture ou de la transformation des plantes (ex. paille, enveloppes, cosse).
- Fibres textiles : Matériaux filamenteux servant à tisser des tissus (naturels, synthétiques ou semi-synthétiques).
- Soutenabilité (sustainability) : Capacité à répondre aux besoins actuels sans compromettre les ressources futures, en équilibrant environnement, économie et société.
- Soude caustique (lye) : Produit chimique fort (hydroxyde de sodium ou potassium) utilisé pour dissoudre les lignines dans le procédé de pulping.
- Press-cake : Résidu solide après extraction de jus ou d’huiles, testé ici comme matière première alternative.
- Bioinnovation : Approche technologique visant à développer des solutions durables basées sur des ressources biologiques.
- Économie circulaire : Modèle économique visant à réduire les déchets en réutilisant ou recyclant les matières premières.
L’étude « Producing dissolving pulp from agricultural waste » a été récemment publiée dans la revue scientifique RSC Sustainability. L’étude a été financée par Bioinnovation et a été réalisée en collaboration avec l’université de technologie de Chalmers, la société d’innovation Tree To Textile et l’Institut suédois de recherche environnementale IVL, dans le cadre de l’école supérieure industrielle Resource-Smart Processes de Bioinnovation. DOI : 10.1039/D4SU00534A
Comment cela pourrait-il bénéficier aux agriculteurs ?
Les résidus agricoles pourraient être vendus comme matière première, augmentant les revenus des agriculteurs tout en réduisant les coûts de gestion des déchets.