Une équipe de chercheurs suédois vient de lever le voile sur les mécanismes intimes qui maintiennent l’intégrité des pâtes alimentaires lors de la cuisson. Leur découverte pourrait transformer la conception des alternatives sans gluten et éclairer d’un jour nouveau l’éternelle question du sel dans l’eau de cuisson. L’étude, menée à l’Université de Lund révèle que le gluten joue un rôle insoupçonné de « filet de sécurité » moléculaire. Au-delà des simples considérations gastronomiques, ces travaux ouvrent des perspectives pour améliorer la qualité nutritionnelle et la résistance structurelle des produits céréaliers.
Un filet de protection moléculaire
Au cœur de chaque spaghetti se cache une architecture microscopique d’une complexité fascinante. Andrea Scotti, maître de conférences en chimie physique à l’Université de Lund, et son équipe ont plongé dans l’intimité de pâtes ordinaires et de leurs équivalents sans gluten grâce à des techniques de pointe : diffusion des neutrons aux petits angles et rayons X. Ces méthodes permettent d’explorer la matière à l’échelle du milliardième de mètre, révélant des structures invisibles à l’œil nu mais déterminantes pour la texture finale du produit.
Les résultats dévoilent une différence fondamentale entre les deux types de pâtes. « Nous avons pu montrer que le gluten dans les spaghettis ordinaires agit comme un filet de sécurité qui préserve l’amidon. Les pâtes sans gluten, qui contiennent une matrice artificielle, ne fonctionnent de manière optimale que dans des conditions de cuisson exactement appropriées – sinon la structure se désintègre facilement », explique Andrea Scotti. Dans les pâtes classiques, le gluten forme un réseau tridimensionnel qui emprisonne les granules d’amidon, les protégeant de la désintégration pendant l’ébullition. À l’inverse, les pâtes sans gluten s’appuient sur une matrice artificielle beaucoup plus fragile, qui ne remplit correctement sa fonction que dans des conditions de cuisson parfaitement maîtrisées.

Le sel, bien plus qu’une question de goût
L’étude bouleverse également notre compréhension du rôle du sel dans la préparation des pâtes. Loin de se limiter à une simple affaire de palais, le chlorure de sodium influence directement la microstructure du produit. Les pâtes traditionnelles, souligne l’équipe suédoise, manifestent une remarquable tolérance aux écarts de cuisson : temps excessif, eau trop salée, elles résistent mieux que leurs homologues sans gluten à ces agressions culinaires.
« Nos résultats montrent que les pâtes ordinaires ont une tolérance plus élevée, ou une meilleure résistance structurelle, aux conditions de cuisson moins optimales comme une cuisson trop longue ou trop de sel ajouté à l’eau. Ainsi, cuire les pâtes avec la bonne quantité de sel n’est pas seulement une question de goût – cela affecte également la microstructure des pâtes et donc toute l’expérience culinaire », souligne Andrea Scotti. Une révélation qui pourrait réconcilier les tenants de l’eau salée et ceux qui y renoncent, en basculant le débat du terrain subjectif de la saveur vers celui, plus objectif, de la chimie structurelle.
Des perspectives pour l’alimentation sans gluten
Fort de ces découvertes, le groupe de recherche projette d’étendre ses investigations à d’autres variétés de pâtes et procédés de fabrication. L’ambition dépasse le simple cadre de la casserole car les scientifiques entendent reproduire ce qui arrive aux pâtes une fois dans l’estomac pour comprendre l’effet de la digestion sur leur structure chimique. Une démarche qui pourrait éclairer les liens entre architecture des aliments et réponse glycémique.
« Avec la demande croissante d’alternatives sans gluten, nous espérons que nos méthodes pourront aider à développer des produits plus durables et nutritifs qui répondent aux exigences imposées tant par le processus de cuisson que par les consommateurs », confie Andrea Scotti. Les industriels alimentaires pourraient s’emparer de ces travaux pour concevoir des matrices de substitution plus performantes, capables de rivaliser avec la robustesse naturelle du gluten. Une avancée qui réjouira les millions de personnes contraintes à un régime sans gluten, souvent déçues par la texture décevante des produits disponibles.
Une collaboration européenne d’envergure
Ces résultats sont le fruit d’une collaboration internationale menée avec Judith Houston, scientifique principale de l’instrument LoKI à la Source européenne de spallation (ESS) de Lund en Suède, ainsi que des chercheurs de l’Institut Laue-Langevin en France, du Diamond Light Source et de l’ISIS Neutron and Muon Source au Royaume-Uni. Un exemple emblématique de science collaborative, où les grandes infrastructures de recherche européennes mettent leurs moyens exceptionnels au service d’une question en apparence triviale, mais aux ramifications scientifiques et sociétales considérables.
Ces connaissances fondamentales trouveront peut-être le chemin de nos assiettes, transformant une découverte de laboratoire en progrès tangible pour les millions d’amateurs de pâtes à travers le monde.
Article : « A small-angle scattering structural characterization of regular versus gluten-free spaghetti » – DOI : 10.1016/j.foodhyd.2025.111855
Source : Lund U.











