Kirill Djebko | Lutz Ziegler
Une intelligence artificielle développée par l’université de Würzburg a contrôlé de manière autonome un satellite en orbite pour la première fois, démontrant ainsi le potentiel des systèmes spatiaux intelligents et auto-apprenants.
Une véritable étape importante sur la voie des systèmes spatiaux autonomes : une équipe de recherche de l’université Julius-Maximilians-Universität Würzburg (JMU) a testé avec succès un contrôleur d’attitude basé sur l’IA pour les satellites directement en orbite, une première mondiale ! Le test a été réalisé à bord du nanosatellite 3U InnoCube.
Lors du passage du satellite entre 11h40 et 11h49 CET le 30 octobre 2025, l’agent IA développé à la JMU a effectué une manœuvre d’attitude complète en orbite, entièrement contrôlée par l’intelligence artificielle. À l’aide de roues à réaction, l’IA a amené le satellite de son attitude initiale à une attitude cible spécifiée. L’IA a ensuite eu plusieurs autres occasions de prouver ses capacités : lors de tests ultérieurs, elle a également contrôlé avec succès et en toute sécurité le satellite pour lui faire adopter l’attitude souhaitée.
L’équipe de recherche LeLaR – composée du Dr Kirill Djebko, de Tom Baumann, d’Erik Dilger, du professeur Frank Puppe et du professeur Sergio Montenegro – a ainsi franchi une étape décisive vers l’autonomie spatiale.
Le projet LeLaR
Le projet « In-Orbit Demonstrator for Learning Attitude Control » (LeLaR ; en français : démonstrateur en orbite pour l’apprentissage du contrôle d’attitude) vise à développer la prochaine génération de systèmes autonomes de contrôle d’attitude. Il était principalement axé sur la conception, l’entraînement et les essais en orbite d’un contrôleur d’attitude basé sur l’IA à bord du nanosatellite InnoCube.
Les contrôleurs d’attitude stabilisent les satellites en orbite et les empêchent de culbuter. Ils sont également utilisés pour orienter le vaisseau spatial dans la direction souhaitée. Par exemple, pour aligner des caméras, des capteurs ou des antennes sur une cible spécifique.
Ce qui rend ce travail particulier, c’est que le contrôleur de Würzburg n’a pas été construit à l’aide d’algorithmes traditionnels fixes. Les chercheurs ont plutôt appliqué une approche d’apprentissage profond par renforcement (DRL), une branche de l’apprentissage automatique dans laquelle un réseau neuronal apprend de manière autonome la stratégie de contrôle optimale dans un environnement simulé.

Rapide et adaptatif
Le principal avantage de l’approche DRL réside dans sa rapidité et sa flexibilité par rapport au développement classique de contrôleurs. Les contrôleurs d’attitude traditionnels nécessitent souvent un long réglage manuel des paramètres par des ingénieurs, qui peut parfois prendre des mois, voire des années.
La méthode DRL automatise ce processus. De plus, elle offre la possibilité de créer des contrôleurs qui s’adaptent automatiquement aux différences entre les conditions attendues et réelles, éliminant ainsi le besoin d’un recalibrage manuel fastidieux.
Combler le fossé entre la simulation et la réalité
Avant son déploiement, le contrôleur IA a été entraîné sur Terre dans une simulation haute fidélité, puis téléchargé sur le modèle de vol du satellite en orbite. L’un des plus grands défis consistait à combler le fossé entre la simulation et la réalité, c’est-à-dire à s’assurer qu’un contrôleur formé en simulation fonctionne également sur le satellite réel dans l’espace.
« Une réussite vraiment décisive », souligne Kirill Djebko de la JMU. « Nous avons obtenu la première preuve pratique au monde qu’un contrôleur d’attitude de satellite formé à l’aide de l’apprentissage profond par renforcement peut fonctionner avec succès en orbite », ajoute-t-il.
Tom Baumann a précisé : « Ce test réussi marque une avancée majeure dans le développement des futurs systèmes de contrôle des satellites. Il montre que l’IA peut non seulement fonctionner en simulation, mais aussi exécuter des manœuvres précises et autonomes dans des conditions réelles. »
Acceptation et confiance dans l’IA pour les applications spatiales
En démontrant avec succès l’efficacité d’un contrôleur basé sur l’IA en orbite, l’équipe de Würzburg a prouvé que l’intelligence artificielle peut être appliquée de manière fiable dans des missions spatiales où la sécurité est cruciale.
Frank Puppe en est convaincu : « Cela augmentera considérablement l’acceptation des méthodes d’IA dans la recherche aéronautique et spatiale », soulignant le rôle important du modèle de simulation.
La confiance croissante dans cette technologie est une étape cruciale vers les futures missions autonomes. Par exemple, les missions interplanétaires ou dans l’espace lointain, où l’intervention humaine est impossible en raison des distances considérables ou des délais de communication. L’approche basée sur l’IA pourrait donc devenir vitale pour la survie des engins spatiaux.
Une contribution significative à l’autonomie spatiale
Avec cette expérience, l’équipe de Würzburg a atteint un objectif majeur du projet LeLaR, financé depuis juillet 2024 par le ministère fédéral de l’Économie et de l’Énergie (BMWE) à hauteur d’environ 430 000 euros. Le projet est géré par l’Agence spatiale allemande au DLR.
« Ce succès nous motive à étendre cette technologie à de nouveaux scénarios », déclare Erik Dilger. Le test a été réalisé à bord d’InnoCube, un satellite développé en coopération avec l’Université technique de Berlin (TU Berlin). InnoCube sert de plateforme pour les technologies spatiales innovantes, donnant aux chercheurs la possibilité de tester de nouveaux concepts directement en orbite.
L’une de ces innovations est le bus satellite sans fil SKITH (Skip The Harness), la plate-forme centrale du satellite. SKITH remplace les connexions câblées conventionnelles par une transmission de données sans fil. Cela permet non seulement de réduire la masse, mais aussi de minimiser les sources potentielles de défaillance.
Perspectives : la prochaine étape de l’autonomie spatiale
Le succès de ce test en orbite fait de l’université de Würzburg un pionnier dans le domaine des systèmes spatiaux basés sur l’IA. Le contrôleur IA présenté constitue un élément important, entre autres, pour l’exploration future de l’espace lointain. Les résultats du projet LeLaR pourraient permettre un développement plus rapide et plus rentable de nouveaux contrôleurs IA complexes pour une large gamme de plateformes satellitaires.
« Le prochain objectif est de tirer parti de cette longueur d’avance », déclare Kirill Djebko. « C’est une étape majeure vers l’autonomie totale dans l’espace », ajoute Sergio Montenegro. « Nous sommes à l’aube d’une nouvelle génération de systèmes de contrôle satellitaire : intelligents, adaptatifs et auto-apprenants. »
Source : Würzburg U.










