Vous ne l’observerez pas à l’œil nu, mais une nouvelle diode électroluminescente organique (DELO, ou OLED en anglais) pourrait déclencher le développement d’applications innovantes basées sur la lumière infrarouge dans des dispositifs comme des écrans de téléphones intelligents ou de téléviseurs. Créée par le travail conjoint d’ingénieurs de Polytechnique Montréal et de chimistes de l’Université de Montréal, elle s’avère au moins 300% plus efficace que les autres DELO de sa catégorie. L’équipe a récemment publié les détails de sa création dans le journal Advanced Functional Materials.
Au contraire de leurs cousines les diodes électroluminescentes (DELs) qui émettent des photons grâce à des cristaux semi-conducteurs parfaitement assemblés, les DELOs, elles, génèrent de la lumière par l’intermédiaire de molécules organiques à base de carbone, d’azote et d’oxygène. Celles-ci ont progressivement pris leur place dans nos vies, illuminant entre autres les écrans de téléviseurs et de téléphones intelligents. Malgré cette adoption par l’industrie, d’importants défis restent toutefois à franchir pour mettre cette technologie de l’avant.
Les DELOs bleues, par exemple, font face à des problèmes de stabilité qui entraînent leur dégradation prématurée comparativement à leurs semblables vertes et rouges. De l’autre côté du spectre, les DELOs infrarouges tendent à être inefficaces. Au lieu d’émettre des photons, les molécules excitées qui les composent dissipent leur énergie par vibration.
« Au fur et à mesure qu’on se rapproche des longueurs d’onde de l’infrarouge, il devient plus difficile de développer des émetteurs efficaces, explique Sébastien Kéna-Cohen, professeur au département de génie physique à Polytechnique Montréal. Très peu de matières organiques émettent efficacement dans cette région du spectre. »
L’équipe du Pr Kéna-Cohen a tout de même trouvé une façon de réduire le gaspillage d’énergie de DELOs infrarouges composées exclusivement de molécules organiques. Son collaborateur Wiliam G. Skene, professeur de chimie à l’Université de Montréal, a synthétisé deux nouveaux composés organiques expressément pour concevoir une nouvelle DELO infrarouge. L’une de ces molécules, l’émetteur infrarouge, est inspirée d’une classe de molécules utilisées antérieurement en imagerie biomédicale. Elle permet maintenant de concevoir une DELO infrarouge entièrement organique aux propriétés inégalées.
La lumière des triplets « sombres »
Lorsqu’une molécule organique est excitée par un courant électrique, elle se retrouve dans l’un de deux états quantiques : singulet ou triplet. Dans la plupart des cas, seuls les états singulets lui permettront d’émettre des photons. Certains états triplets y parviennent aussi, mais requièrent la présence d’un ou de plusieurs métaux lourds à l’intérieur même de la structure de la molécule pour y arriver, augmentant le coût de production des DELOs basées sur ces molécules.
L’équipe de Pr Kéna-Cohen et de Pr Skene a trouvé une façon d’exploiter l’énergie de ces triplets sans avoir recours aux métaux lourds. Pour y parvenir, ils ont conçu une molécule organique possédant un état singulet et un état triplet de niveaux énergétiques très similaires. Cette approche fait en sorte que certains triplets se convertissent en singulets et émettent ensuite des photons, un processus connu sous le nom de Thermally activated delayed fluorescence (TDAF) en anglais.
Avec son sommet d’émission à une longueur d’onde de 840 nm, la DELO conçue par le groupe a démontré une efficacité quantique de 3,8%. Ce pourcentage correspond à la proportion d’électrons circulant à travers le dispositif qui sont convertis en lumière. Il constitue un record pour une DELO toute organique émettant à une longueur d’ondes supérieure à 800 nm, dépassant l’efficacité des meilleures DELOs fluorescentes par plus de 300% et atteignant des valeurs comparables à celles des DELOs contenant de la platine.
Du biomédical à la reconnaissance faciale
Grâce à sa grande efficacité, cette nouvelle DELO permet d’envisager l’intégration de DELOs infrarouges dans les écrans d’une variété de dispositifs technologiques, notamment dans les téléphones intelligents.
« L’une des particularités des DELOs, c’est de permettre la fabrication de dispositifs directement sur du verre ou du plastique, et ce, sur de grandes surfaces, ce qui est impossible avec les DELs conventionnelles. », explique Pr Kéna-Cohen. Cela permet d’envisager des applications jusque-là impossibles à imaginer avec des DELs.
« L’un des plus grands avantages des DELOs est leur faible coût de fabrication, ajoute Pr Kéna-Cohen. Par contre, la plupart contiennent toujours des métaux lourds comme le platine et l’iridium qui sont problématiques à la fois en termes de coût et de pérennité. Notre dispositif utilise uniquement des molécules organiques. »
Selon lui, l’absence d’émission de lumière visible par cette DELO infrarouge permet son utilisation en communication à haut-débit Li-Fi. Pr Kéna-Cohen souligne également l’utilisation potentielle de cette innovation dans des applications biomédicales, en reconnaissance faciale ou en photographie de nuit.
« Les iPhone utilisent déjà des lasers infrarouges pour certaines fonctions de reconnaissance faciale et d’autofocus, souligne Pr Kéna-Cohen. C’est dans ce genre d’applications que nos DELOs pourraient être utiles. »