Dans un pays où la moindre vibration sous la Baltique est scrutée avec une attention quasi maniaque depuis les incursions de submersibles non identifiés de 2014, Saab vient de franchir une nouvelle étape. Le groupe suédois a annoncé, le 28 août, la signature d’un contrat de 60 millions de couronnes (environ 5,2 millions d’euros) avec l’Administration suédoise du matériel de défense (FMV) pour développer un Large Uncrewed Undersea Vehicle (LUUV), soit un grand drone sous-marin entièrement autonome. Les premiers essais en mer sont programmés pour l’été 2026, à un rythme que l’industriel qualifie lui-même de « très court ».
En coulisses, Stockholm redoute moins l’image classique du sous-marin lance-torpilles que les opérations grises : sabotages d’infrastructures critiques, espionnage de câbles de communication ou pose de mines discrètes.
« Il est gratifiant de pouvoir travailler rapidement et en collaboration avec la FMV et les forces armées suédoises pour développer un nouveau système avancé en peu de temps. Chez Saab, nous pouvons démontrer notre capacité à fournir des systèmes à la fois efficaces et adaptés aux défis actuels et futurs. Ce projet permet de créer des solutions innovantes qui peuvent apporter des progrès significatifs dans le domaine de la technologie sous-marine et s’inscrivent parfaitement dans le travail de développement déjà en cours chez Saab en matière d’autonomie », a insisté Mats Wicksell, directeur du secteur d’activité Kockums de Saab dans un communiqué.
Le LUUV sera donc d’abord un plateforme de capteurs : sonar multifaisceaux, suites acoustiques et systèmes de navigation inertielle devraient fournir un flux de données destiné à épauler la décision des opérateurs. Aucune arme ne sera embarquée dans cette phase initiale, souligne la FMV, qui privilégie la détection et la dissuasion à l’escalade létale.
L’« Autonomous Ocean Core », cœur pensant du LUUV
Au-delà de la coque et des propulseurs, la clef du programme réside dans le logiciel « Autonomous Ocean Core », déjà éprouvé sur les drones de surface de Saab. Au final, le LUUV devra plonger, cartographier puis remonter sans intervention humaine, voire opérer en meute avec d’autres engins.
Pour les ingénieurs, l’équation n’est pas si simple car l’autonomie énergétique, la communication sous-marine et la cybersécurité sont autant de verrous technologiques.
« Ce type de drone exige une intelligence embarquée sophistiquée mais aussi des mécanismes de contingence pour éviter les comportements erratiques », note Magnus Petersson, professeur à l’Université de la défense de Suède, qui n’est pas partie prenante du contrat mais suit de près les avancées en robotique navale.
Un marché en ébullition
La Suède n’agit pas en vase clos : le Royaume-Uni teste son projet Cetus, la France développe le programme DDO-S, et les États-Unis alignent déjà le « Orca XLUUV ». La course ne se joue pas seulement sur les capacités militaires mais également sur la cartographie précise des fonds qui devient stratégique pour les câbles énergétiques ou les parcs éoliens offshore.
Saab mise par conséquent sur une architecture modulaire. En effet, la coque du LUUV devrait pouvoir accueillir, à terme, des charges utiles variées (capteurs chimiques, modules de guerre électronique, voire armes légères si la doctrine évolue). De quoi viser le marché export, même si l’industriel se refuse pour l’heure à tout commentaire.
Et ensuite ?
Les essais prévus en 2026 seront le banc d’essai de l’autonomie en eaux froides et peu salines de la Baltique. S’ils sont concluants, une phase de pré-série pourrait démarrer dès 2027, puis une intégration opérationnelle avant la fin de la décennie. Reste à voir si le Parlement suédois, engagé dans une montée en puissance budgétaire depuis la guerre en Ukraine, maintiendra le tempo financier.
Quoi qu’il en soit, la Suède confirme son ambition de devenir un laboratoire grandeur nature pour l’autonomie navale en Europe. Une perspective qui, si elle se concrétise, pourrait rebattre les cartes de la surveillance sous-marine sur l’ensemble du Vieux Continent.
Source : SAAB / CP