Longtemps angle mort de la logistique urbaine, le « dernier kilomètre » cristallise aujourd’hui toutes les tensions du secteur. Entre l’explosion du commerce en ligne et l’impératif de décarbonation, l’équation semble insoluble pour les transporteurs traditionnels. Et si la réponse ne résidait pas dans de nouveaux véhicules, mais dans l’optimisation de ceux qui circulent déjà ? Analyse d’un changement de paradigme : le cotransportage.
Le constat est alarmant, et il est visible à l’œil nu dans n’importe quelle artère urbaine ou route de campagne. Le transport de marchandises s’est hissé au rang des postes majeurs de consommation d’énergie et d’émissions de CO2. La tendance s’est accentuée ces dernières années par la modification de nos habitudes de consommation. En effet, l’e-commerce ne se contente plus de croître, il se fragmente.
La répercussion immédiate est une multiplication des véhicules de livraison dédiés, souvent en sous-capacité de chargement, voire effectuant des trajets de retour totalement à vide. Ce gaspillage pose une problématique lourde de conséquence. Comment assurer la fluidité logistique nécessaire à la vitalité économique sans alourdir une facture environnementale déjà critique ? Le modèle du « toujours plus de camions » a atteint ses limites physiques et sociétales.
Le Cotransportage : vers une mobilité partagée des biens
Face à cette saturation, le cotransportage propose un changement de modèle radical. Il ne s’agit plus d’ajouter des infrastructures, mais de changer de lunettes pour regarder la route. Le concept repose sur l’application des principes de l’économie collaborative au transport de marchandises. Il s’agit de permettre à des particuliers de profiter d’un trajet personnel déjà planifié et fixe pour acheminer un colis.
L’approche marque une rupture nette avec la logistique traditionnelle. Là où le modèle industriel repose sur la détention d’actifs lourds (flottes, maintenance, carburant), le cotransportage valorise la mobilité existante des citoyens. La logique est celle d’une optimisation des flux. On ne crée pas de déplacement supplémentaire, on densifie l’utilité d’un véhicule déjà en mouvement. C’est donc en quelque sorte une forme d’efficacité énergétique. La transformation d’une capacité de transport « perdue » (un coffre vide sur un trajet domicile-travail) est convertie en valeur logistique concrète.
Une réponse agile aux fractures territoriales
En réalité, c’est sur le terrain opérationnel que la différence se joue, notamment sur la question de la couverture géographique. Les transporteurs classiques peinent structurellement à rentabiliser la desserte des zones rurales ou périurbaines, où la faible densité des livraisons fait exploser les coûts kilométriques et énergétiques.
Et c’est ici que le maillage citoyen révèle toute sa puissance. Pour les acteurs de la distribution, intégrer une solution de cotransportage permet de flexibiliser leur chaîne logistique là où les modèles rigides échouent. La capillarité naturelle permet d’atteindre des zones isolées avec la même efficacité qu’un centre-ville. De plus, cette agilité offre une capacité d’absorption des pics d’activité (Black Friday, fêtes de fin d’année) sans pour autant nécessiter d’investissements lourds en infrastructures temporaires. La flotte demeure élastique, car elle est constituée du trafic quotidien des habitants eux-mêmes.
RSE : Au-delà du carbone, le lien humain
L’argumentaire écologique du dispositif est mécaniquement robuste. En s’affranchissant des trajets dédiés à la livraison pure, le cotransportage réduit drastiquement l’empreinte carbone unitaire par colis. Le paquet se greffe sur un déplacement motorisé préexistant avec un « coût marginal » de CO2 quasi nul, contribuant directement à une logistique durable.
Mais réduire l’innovation à sa seule mesure du carbone resterait une erreur d’analyse. Elle porte en elle une dimension sociétale forte, souvent absente des rapports RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises). Le cotransportage réintroduit une forme d’entraide de voisinage et de contact humain dans des échanges commerciaux. Il transforme l’acte de livraison, souvent perçu comme une nuisance, en un vecteur de lien social local.
Une brique essentielle de la ville de demain
Le cotransportage ne doit plus être analysé comme une solution alternative sympathique ou « de dépannage ». Il s’impose désormais comme une brique essentielle de la « Smart City » et de la logistique verte de demain. Par la combinaison des flux de personnes et des flux de marchandises, il offre une vision où la technologie sert à mieux organiser le réel plutôt qu’à le remplacer. Ce n’est plus une option, c’est un standard complémentaire nécessaire pour construire une mobilité durable et résiliente.











