Six questions au rapporteur de la Commission « Energies 2050 »

Suite à la catastrophe de Fukushima et au débat qu’il a suscité en France sur le nucléaire, le ministre de l’Industrie et de l’Energie a confié au Centre d’Analyse Stratégique (CAS) la conduite d’une réflexion prospective sur différents scénarios d’évolution de la politique énergétique française.

Lancée en juillet 2011, la Commission « Energies 2050 », créée par le CAS et présidé par le professeur d’université en économie, Jacques Percebois, a rendu son rapport ce lundi 13 février. Le directeur de l’institut de technico-économie des systèmes énergétiques (I-tésé) du CEA, l’un des rapporteurs de la Commission, répond à nos questions.

SUR QUELS SCÉNARIOS A TRAVAILLÉ LA COMMISSION ET QUELLE A ÉTÉ LA CONTRIBUTION DU CEA ?

Le ministre de l’Energie a demandé au CAS d’explorer 4 grands scénarios : l’accélération du renouvellement du parc avec le passage aussi rapide que possible à la troisième génération de réacteurs nucléaires ; la prolongation de la durée de vie du parc actuel ; la réduction progressive de la part du nucléaire dans le mix énergétique et la sortie pure et simple du nucléaire.

Le CEA, à la demande de la Commission, s’est très fortement mobilisé, notamment pour collecter et produire les données relatives à différents scénarios (maintien ou sortie du nucléaire avec différentes hypothèses sur les modalités de remplacement ; accélération du scénario de construction de réacteurs nucléaires de 4ème génération), participer à des auditions dans le cadre de l’examen des diverses technologies de production et transformation d’énergie : nucléaire, biocarburants, solaire.

QUELLES GRANDES CONCLUSIONS TIRE LA COMMISSION DE CET EXERCICE ?

D’abord, le renchérissement des coûts de production de l’énergie, en particulier l’électricité, apparaît inéluctable, et ce quel que soit le scénario envisagé. Mais des écarts significatifs se font jour, selon le bouquet énergétique retenu à l’horizon 2030. La Commission a clairement mis en exergue l’optimum économique que représenterait la prolongation des centrales actuelles – sous réserve de l’autorisation de poursuite d’exploitation donnée par l’ASN, garante de la sûreté du nucléaire.

Huit propositions ont été émises, dont la première consiste à faire de la sobriété et de l’efficacité énergétique une grande cause nationale. Un autre point majeur est que la recherche doit être mise à contribution pour réussir à décarboner durablement l’économie, en augmentant la part des énergies renouvelables dans le mix électrique et en explorant la piste des réacteurs de quatrième génération, et pour réduire la consommation dans les secteurs du bâtiment et des transports notamment. Cependant, il est indispensable de mieux modéliser le coût et l’efficacité des politiques d’incitation dans ce domaine. Par exemple, des sujets tels que les impacts des politiques sur l’emploi donnent des résultats très différents selon les approches. Il faut progresser dans les méthodes, les outils, le partage des hypothèses et la compréhension des résultats. C’est important pour la qualité du débat et pour la robustesse des choix futurs.

POURQUOI LES SCÉNARIOS ONT-ILS ÉTÉ CONSTRUITS À L’HORIZON DE 2030 ET NON DE 2050 ?

Le cahier des charges du groupe de travail était d’étudier des scénarios de mix à l’horizon 2050. De fait, les scénarios produits par les divers organismes qui s’intéressent à ces questions visent rarement un objectif aussi lointain. De surcroît, l’horizon 2030 représente une période importante en termes d’investissement énergétique puisque le parc nucléaire pourrait alors être massivement renouvelé ou remplacé par d’autres moyens de production. Cela dépendra des décisions de l’ASN et d’EDF d’investir ou non pour prolonger la durée d’exploitation des réacteurs actuels, selon un processus probablement progressif. Quel que soit le mix énergétique envisagé pour la suite, 2030 constitue donc un point de passage de l’étude incontournable.

Au-delà, la prospective devient de plus en plus difficile tant les variables sont nombreuses. Comment prédire aussi longtemps à l’avance le coût des énergies fossiles ? Quel sera le niveau exact de la demande mondiale ? Mais c’est aussi à partir de 2030 que, grâce aux développements de plusieurs technologies innovantes, devrait se jouer pour la fin du siècle la structure même du mix national et notamment de l’électricité, avec des énergies renouvelables (EnR) dont le coût de production aura encore très significativement baissé, notamment le solaire et les carburants de substitution. La quatrième génération de réacteurs nucléaires sera sur le point de déboucher industriellement. Les techniques associant nucléaire et EnR auront aussi beaucoup progressé, en particulier via le vecteur hydrogène. Cette période sera donc très ouverte. Le CEA se veut un des acteurs majeurs qui prépare les technologies avec une vision au moins européenne.

LE POTENTIEL DES ÉNERGIES RENOUVELABLES A-T-IL ÉTÉ SÉRIEUSEMENT ANALYSÉ ?

Oui et les chercheurs du CEA, notamment de l’Ines (Institut national de l’énergie solaire), ont fourni des informations très utiles lors d’une audition par la Commission. Celle-ci recommande fortement à l’Etat d’investir dans la recherche et le développement en faveur des énergies renouvelables et du stockage de l’énergie. Une démarche sélective dans le choix des technologies à soutenir est conseillée pour favoriser les domaines les plus porteurs non seulement en France mais aussi à l’international (solaire photovoltaïque, solaire à concentration). Cette analyse est essentielle pour favoriser l’essor d’une industrie compétitive.

LE NUCLÉAIRE DE QUATRIÈME GÉNÉRATION EST-IL ÉVOQUÉ DANS LE RAPPORT ENERGIES 2050 ?

L’intérêt de cette nouvelle filière, sur laquelle travaillent plusieurs autres grands pays à travers le monde, a également été analysé. Les réacteurs rapides pourraient fonctionner durablement à partir des stocks de combustibles usés et de l’uranium appauvri présents sur notre territoire. Disposer, avec cette technologie, de plusieurs milliers d’années de réelle autonomie énergétique représenterait un intérêt économique majeur pour notre pays. Le coût d’un passage graduel aux réacteurs de 4ème génération n’apparaît pas hors de portée, d’autant plus que disposer de ce type de réacteurs dans le parc relève aussi d’une stratégie de sécurisation des approvisionnements et permettrait une gestion judicieuse du plutonium et des déchets. La Commission encourage donc la poursuite des recherches dans ce domaine.

QUELLES CONCLUSIONS TIREZ-VOUS PERSONNELLEMENT DE CETTE INITIATIVE ?

D’abord que prolonger l’exploitation des réacteurs actuels apparaît clairement comme une solution optimale du point de vue économique. Les temps du domaine de l’énergie sont longs comparés à d’autres activités industrielles. Changer trop rapidement les structures de production peut coûter beaucoup plus cher. Des marges de manœuvre significatives demeurent dans les 20 prochaines années. Au-delà, l’avenir est très ouvert. C’est aussi à nos travaux de R&D d’ouvrir les choix et de permettre d’enrayer une hausse des coûts de l’énergie qui s’annonce forte.

Ces scénarios devraient, selon moi, être régulièrement complétés et réactualisés en fonction des évolutions de l’environnement technologique et économique. Il serait aussi utile de s’impliquer plus fortement dans la production de scénarios plus innovants : la plupart de ceux que nous avons étudiés pêche nettement sous cet angle.

Pour conclure, ce rapport me semble particulièrement utile pour nourrir le débat qui s’est ouvert sur notre mix énergétique. Ce rapport vient en effet compléter les évaluations de sûreté réalisées par l’ASN et le rapport de la Cour des Comptes sur les coûts du nucléaire. Ces trois éléments permettent ainsi de disposer de la vision la plus complète du paysage énergétique qui ait peut-être jamais existé dans notre pays.

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an391

A propos d’énergie, il reste assez incroyable aujourd’hui qu’un article à ce sujet ne mentionne pas l’évènement majeur dont on parle assez peu (euphémisme), qui est le fait que nous sommes aujourd’hui au/après le pic mondial(maximum barils/jour “produits” et consommés) de production de pétrole. “évènement” pourtant raison fondamentale (avec limites ressources naturelles en général) de la crise dite “financière” actuelle qui ne fait que commencer, sans parler des guerres associées… Voir par exemple à ce sujet l’article paru dans Nature le 26 janvier dernier en lien ci-dessous : Si l’on était sérieux, nous devrions prendre actuellement des mesures drastiques, du genre limitation à 70 même sur autoroutes dans un rayon 20 ou 30km des villes, pour permettre de remplacer un grand nombre de véhicules par des “voiturettes” genre kei cars au Japon. En finir avec toute extension de zones commerciales en périphéries, augmentation de la TIPP, des choses comme ça. Mais l’on n’est pas sérieux, le contraire se saurait, et le crash est déjà bien en route…

gp

ce que l’on sait surtout, c’est qu’il est de plus en plus difficile de faire de la porspection dans un monde où tout s’accélère! Surtout dans le secteur de l’énergie. Entre le pic pétrolier qui approche à grand pas (personnellement, j’ai toujours affirmé sans aucune capacité de le démontrer que la prod. journalière mondiale n’irait jamais au dela de 92 Mb/j…), la révolution tant attendu en matière d’énergie solaire (PV notamment) ou encore le risque de’accident nucléaire majeur qu’on ne pourra hélas jamais écarté, l’avenir n’a jamais été aussi incertain! La seule chose que l’on peut d’ores et déjà affirmer en revanche, C que l’investissement massif dans la sobriété et l’efficacité est de toute évidence la meilleure chose à faire! Mais avant, il va falloir revoir en profondeur notre modèle de société (= consommation de masse) , intrinséquement gaspilleur…

Devoirdereserve

Je vous signale le “débat” qui a eu lieu entre Mme Papallardo, de la Cour des Comptes, et le Pr. Percebois de la Commission Energies 2050, à l’initiative de l’IHEST. C’est passionnant !

Catalan

Accident nucléaire en France, quelles conséquences cela aurait il ? Ce scénario n’a pas été envisagé ? et il est amusant de croire que nos centrales vont aller jusqu’à 60 ans de durée de vie ! seul un igniare pourrait le croire ! Quand on sait que d’autre part la France est incompétente en matière de réacteurs nucléaires, la seule technologie qui marche aujourd’hui est de Westinghouse et la france paye les droits à schneider ! Quand on sait que la france achète ses centrifugeuses à la hollande ! les seuls réacteurs de type UNGG vraiment français sont tous arrétés et pas encore demantelés ! l’EPR ne marche toujours pas que je sache ! et l’ATMEA sera une technologie mitsubishi, encore une fois la france ne sait rien faire seule ! Sur notre parc actuel, 37 reacteurs auront plus de 30 ans en 2015 et fessenheim 38 ans ! moi j’aurai peur que ça me pête à la gueule ! surtout quand on voit la qulification des sous-traitant ! Pour comparer avec nos amis Allemands qui ont arrété 9 reacteurs, ils ont une capacité de production de 120GW et ne consomment que 80GW en pointe de froid! avec 82 millions d’habitants alors que la france consomme 100GW avec 65 millions d’habitants . c’est pas du gachis Français ? la France si fière de son parc nucléaire, est bien heureuse d’importer de l’électricité Allemande à tarif très fort ! quand elle en a besoin ! dejà que l’EPR ne marche pas, alors imaginez les reacteurs de 4ème génération, c’est pour le moment l’arlésienne ! a moins qu’on achète la licence aux marsiens !

Dan1

Ce type d’aboiement ne mérite même pas de réponse !

rouget

Intéressante conférence, on y apprend de la rapporteure du rapport de la Cour des Comptes que l’institution va réaliser un rapport sur les énergies renouvelables mais cette fois avec “plus de temps”. Les ordres de mission ne sont pas disponibles sur le site de la CdC mais si ça confirme c’est une bonne nouvelle. A priori on aura accès aux coûts complets passés et futurs comme pour la filière nucléaire.