Solaire photovoltaïque : crise du présent et technologies du futur

Les technologies en présence

Aujourd’hui, l’énergie solaire photovoltaïque est produite principalement grâce aux cellules de première génération, en silicium. Mais de nouvelles générations sont en cours de développement. Pouvez-vous nous présenter rapidement les technologies en présence et leurs enjeux ?

Didier Roux. Les cellules en silicium restent la principale technologie utilisée aujourd’hui, et elle n’a pas dit son dernier mot. Rappelons le principe de la cellule photovoltaïque. Il est simple et on le connaît depuis le XIXe siècle, même s’il a fallu Einstein pour comprendre la physique de la lumière.

La lumière est constituée de photons, qu’on pourrait définir comme des « paquets d’énergie élémentaire », dotés d’une masse. Quand ils rentrent en contact avec de la matière, leur masse se transforme en énergie, sous la forme de chaleur par exemple. Dans certains cas, et notamment celui des semi-conducteurs dont fait partie le silicium, cette énergie permet d’arracher des électrons. C’est ce que l’on appelle l’effet photoélectrique. Les cellules de première génération sont des composants électroniques qui captent et canalisent ces électrons pour produire du courant continu.

Pourquoi utilise-t-on du silicium ? Tout simplement parce qu’il est abondant sous une forme purifiée (grâce à l’industrie de l’électronique) et qu’il a les propriétés requises. On peut ensuite distinguer différentes configurations : les modules solaires monocristallins coûtent plus cher mais ils ont un bon rendement au m². Les modules polycristallins sont un peu moins performants, mais ils sont sensiblement moins chers. Enfin, il faudrait évoquer les modules à base de silicium amorphe, dont la structure n’est pas cristalline. Leur rendement est plus faible. Les cellules de silicium amorphe constituent un exemple de cellules de deuxième génération : les cellules dites « couches minces ».

Cette technologie des couches minces semble aujourd’hui au cœur des attentions. En quoi consiste-t-elle ?

Vous avez raison, le vrai enjeu aujourd’hui ce sont les couches minces. Plusieurs acteurs industriels, dont l’américain First Solar et le français Saint-Gobain, ont investi dans cette technologie, qui présente de réels avantages.

De quoi s’agit-il ? Fondamentalement, l’idée est de déposer des couches très fines, de l’ordre de quelques microns, sur un substrat (verre, métal, plastique). Pour les cellules industrielles aujourd’hui, les matériaux utilisés sont principalement de deux types : du tellurure de cadmium (CdTe) ou des couches composées de quatre constituants (le cuivre, l’indium, le gallium et le sélénium).

Vous évoquiez leurs avantages : on sait par exemple qu’avec cette méthode on peut fabriquer des modules d’une surface bien plus importante, et surtout les découper facilement…

L’avantage principal est que, du fait de la quantité de matériel utilisé et des méthodes de dépôt, en phase industrielle ces technologies reviendront moins cher. Elles ne sont pas complètement matures industriellement, mais, compte tenu des installations en cours, les progrès sont rapides. La technologie CdTe est déjà moins coûteuse que celle au silicium polycrystallin.

Avant de se pencher sur l’état du marché et les conditions du développement de cette deuxième génération, pouvez-vous nous dire un mot sur les troisième et quatrième générations, qui en sont encore au stade de la R&D ?

Vous avez raison de le préciser, on parle là de technologies qui n’existent encore qu’en laboratoire. Sous ce terme commun de « troisième génération » on regroupe des technologies assez différentes. Dans certains cas elles utilisent des molécules organiques ou/et des nanoparticules minérales. Ces systèmes sont capables d’absorber de la lumière et de transporter les électrons. Ce sont des systèmes complexes qui ont une certaine fragilité intrinsèque au rayonnement. Ces technologies sont intéressantes parce qu’elles ont le potentiel d’être très peu chères et peuvent donner des rendements de l’ordre de 10% (par exemple dans le cas des cellules de Graetzel). Mais elles présentent encore un inconvénient, pour l’instant non résolu, qui est la dégradation de la partie organique des systèmes. Cela donne des durées de vie très sensiblement plus courtes que les 20 à 30 ans des cellules classiques.

Les cellules multi-jonctions à concentration sont ce que j’appelle la quatrième génération : elles sont constituées d’un empilement de couches qui récupèrent de l’énergie sur les différentes portions du spectre de la lumière solaire. Leur principal inconvénient aujourd’hui, c’est leur prix, très élevé. Pour autant il n’y a pas d’obstacle majeur à ce que cette quatrième génération soit rentable un jour. Le tout est simplement d’améliorer les coûts sur tous les maillons de la chaîne.

Mais j’attire votre attention sur un point : cette technologie sera moins en concurrence avec celles que nous avons évoquées aujourd’hui qu’avec le solaire thermique à concentration – parfois abrégé en CSP, pour concentrated solar power.

Pourquoi ?

Parce que ces technologies requièrent beaucoup de soleil et des systèmes de tracking, qui permettent aux modules de « suivre » le soleil. On est dans une configuration très différente avec les couches minces, qui restent performantes pour un rayonnement indirect ou diffus. Les cellules multi-jonctions, tout comme le solaire concentré, ne sont vraiment efficaces qu’avec un rayonnement très intense. Elles sont bien adaptées aux régions désertiques. Les deux technologies seront donc en concurrence.

Précisément, s’il y a quelques années sont apparus de grands projets de solaire concentré, cette technologie semble aujourd’hui quelque peu délaissée.

C’est vrai, et ce n’est pas très difficile à comprendre : si aujourd’hui le CSP n’a pas le vent en poupe, c’est tout simplement que le photovoltaïque classique est devenu plus rentable. Siemens, par exemple, s’est retiré du projet Desertec. Mais je ne parlerais pas d’un abandon. Comme le four solaire de Font-Romeu, ce sont des systèmes pilotes, sur lesquels il faut encore faire beaucoup de progrès. Le solaire concentré a beau être connu depuis plusieurs dizaines d’années, sur le plan technologique il n’a pas le degré de maturité industrielle du photovoltaïque. En production mondiale, il doit représenter à peine 1% des capacités installées en photovoltaïque : il y a encore des marges de progression.

On entend parfois que l’implantation de ces systèmes dans des zones désertiques, loin des lieux de consommation, implique un investissement important en termes de distribution, et donc un surcoût…

C’est vrai, l’idée de produire dans des endroits désertiques pour ensuite alimenter les pays occidentaux a comme inconvénient de rajouter les pertes en transports. Cela dit, les pays proches de ces endroits désertiques ont de plus en plus besoin d’électricité et leur population augmente rapidement. Le solaire concentré, ou demain les cellules multi-jonctions, peuvent représenter une solution pertinente pour les alimenter. Les chercheurs travaillent : les problématiques de transport lointain font l’objet de nombreux travaux en ce moment et des améliorations existent.

Le développement possible du solaire

Le caractère intermittent de la production est souvent présenté comme un des grands obstacles au développement du photovoltaïque…

C’est exact. Une croissance de la production d’électricité d’origine solaire demandera un développement des capacités de stockage de l’électricité, c’est un des grands défis pour l’énergie en général. Il y a des pistes de solution – stockage chimique, via l’hydrogène par exemple, stockage mécanique… – mais pour le moment, ces solutions ne sont pas encore industrielles. Notons bien qu’il n’y a pas de manque d’imagination ou de créativité à ce sujet. La question est plutôt de trouver le procédé rentable sur le marché. Il faut s’attaquer à ce problème et il ne fait aucun doute que des solutions industrielles se développeront.

Il y a aussi la problématique de la distribution, avec les fameux réseaux intelligents (smart grids) ?

Les deux sont liés. Des réseaux intelligents, c’est-à-dire sophistiqués et pilotés, sont nécessaires pour accepter des formes de technologies qui sont de moins en moins souples et plus dispersées sur le réseau. C’est un élément du progrès. Mais des questions se posent aussi : a-t-on réellement besoin de faire de grands réseaux partout ? Est-ce qu’il ne serait pas plus judicieux de développer des systèmes plus indépendants et du stockage ? Dans un village indien qui n’a pas l’électricité, si vous avez une méthode de stockage efficace, vous pouvez raisonnablement vous poser la question : ai-je intérêt à me relier au réseau, ou à produire mon électricité, la stocker et être autonome ? C’est la même problématique que celle de l’équipement en téléphone filaire par rapport au téléphone portable. Il y a des pays qui sont en train de faire l’impasse sur le téléphone filaire. On verra peut-être demain des pays qui n’ont pas encore investi dans de gros réseaux préférer développer de petits réseaux autonomes plutôt que de grands réseaux connectés. Les smart grids, pour eux, c’est peut-être cela. Aujourd’hui si on savait stocker à un coût raisonnable, il y a beaucoup d’endroits dans le monde où nous n’aurions pas intérêt à faire des réseaux.

Les opposants à l’énergie solaire soulignent qu’elle reste très chère. Quand sera-t-elle rentable sans subventions ?

Je voudrais commencer par écarter une idée reçue, qui veut qu’un module photovoltaïque consomme plus d’énergie à fabriquer qu’il n’en produit au cours de son existence (une dizaine d’années). C’était vrai dans les années 1960, mais aujourd’hui ce qu’on appelle le « retour énergétique » est de un à trois ans selon la région et la technologie.

Envisageons à présent la compétitivité du solaire par rapport à d’autres formes de production d’électricité. Il faut le savoir, quand on parle d’électricité, il ne faut pas raisonner de la même façon selon qu’on évoque un champ de capteurs construit et opéré par un industriel ou le toit d’un particulier. Pour un industriel, ce qui compte c’est le coût de production de l’électricité par rapport à une autre technologie. En revanche, pour un particulier, c’est le prix auquel il achète son électricité qui entre en jeu.

Partons des particuliers. On parle de parité réseau quand le coût de production est égal au prix du marché. Cela signifie que la pertinence de l’énergie solaire n’est pas la même selon les pays. En France, par exemple, la prépondérance du nucléaire permet aujourd’hui aux particuliers de bénéficier d’une électricité plutôt bon marché. Mais la baisse récente des coûts du photovoltaïque, sur laquelle nous reviendrons, a contribué à changer la donne. Le coût de production pour un particulier, en lissant les investissements sur 20 ans, représente à peu près 0,2 euros le kWh alors que le prix de l’électricité en France est de 0,1 euros le kWh. On n’est donc pas encore à la parité réseau. C’est le cas, en revanche, en Italie, à la fois parce que l’électricité y est plus chère et parce qu’il y a plus de soleil. Les Allemands qui paient environ 0,3 € le kWh sont eux aussi à la parité réseau, comme certaines régions américaines, en Californie ou dans l’Utah – mais pas encore sur la côte Est.

La baisse spectaculaire du coût des panneaux a contribué à rendre le solaire plus compétitif, mais il ne faut pas surestimer les effets de cette baisse. En France, le prix du panneau ne représente que 20% des investissements pour un toit, 50% pour une centrale de production. C’est donc surtout aussi sur le reste que des économies sont attendues : l’installation, le matériel connexe… L’installation de panneaux photovoltaïques sur un toit en Allemagne coûte environ la moitié de ce qu’elle coûte en France.

Considérons à présent la question du point de vue des producteurs d’électricité. Là, on compare fondamentalement des coûts de production, même si des considérations sur l’environnement ou l’indépendance énergétique peuvent entrer en ligne de compte. Et puisqu’il s’agit d’investir, il semble plus juste de comparer l’électricité d’origine solaire avec celle des futures centrales nucléaires, et non avec celles qui fonctionnent actuellement et ont été lancées il y a quarante ans. Prenons la France, à nouveau : pour une centrale solaire au sud du pays, le coût de production est de 0,1 euros par KWh, à comparer aux 0,08 euros attendus des centrales nucléaires de troisième génération de type EPR. La différence existe encore mais elle n’est plus aussi significative qu’il y a trois ans où elle allait de 1 à 4.

Les dynamiques du marché

Vous l’avez dit, une partie de cette baisse des coûts provient de l’effondrement du prix des panneaux. Les années 2011-2012 ont été très difficiles pour l’industrie photovoltaïque, avec la faillite de nombreux producteurs de modules en Europe et aux États-Unis… Où en est le secteur aujourd’hui ?

On est dans une situation paradoxale. C’est la crise pour les fabricants de modules : tous perdent de l’argent, y compris les producteurs chinois. Mais les producteurs d’électricité, eux, achètent des modules très bon marché. De nombreux projets de champs photovoltaïques sont lancés aujourd’hui en Californie ou en Italie, dans des zones où il y a beaucoup de soleil, parce que c’est rentable.

Aujourd’hui, l’Asie représente environ 70% de la production mondiale de panneaux. Et les usines chinoises fonctionnent à moins de 50% de leur capacité, parce qu’il n’y a pas assez d’acheteurs. Il y a clairement, au niveau mondial, un problème de surcapacité.

Dans une situation comme celle-ci, si vous jouez la vérité des prix, une partie de ces sociétés devrait faire faillite. Mais les autorités chinoises, qui en sont conscientes, font deux choses. Premièrement, elles ne demandent pas le remboursement des investissements. C’est une forme de subvention. D’autre part, elles ont lancé un grand plan d’équipement en photovoltaïque qui, à terme, permettra d’absorber une partie de la surcapacité.

Comment caractériseriez-vous la stratégie chinoise : s’agit-il d’une guerre commerciale destinée à ruiner la concurrence ?

Ce n’est pas mon avis. Je pense qu’ils se sont laissés entraîner dans leurs investissements sans anticiper le risque de surcapacité. Mais c’est la réaction des autorités qui me semble intéressante : si les Chinois décident de ne pas fermer des usines, on va donc continuer à produire énormément de panneaux solaire en Chine, et cela aura probablement comme conséquence de tuer tous les autres producteurs, sauf quelques acteurs qui vont survivre parce qu’ils font de la haute qualité comme Sun Power. Il est probable qu’en 2020 les fabricants chinois seront à peu près seuls sur le marché. Et d’ici là, comme la demande aura rattrapé l’offre, la production de panneaux devrait redevenir rentable. Si, au contraire, il y a en Chine une consolidation des acteurs et des fermetures massives de capacités, les prix des modules remonteront et les acteurs internationaux redeviendront rentables.

Certaines entreprises peuvent espérer survivre, car elles ont accepté de changer complètement de business model. C’est le cas de la société américaine First Solar, spécialisée dans la technologie à couche mince de tellurure de cadmium. Elle fabriquait les modules les moins chers, mais avec la chute des prix elle a été fragilisée. Ses dirigeants ont donc opté pour un virage stratégique : l’entreprise s’est mise à produire de l’électricité. Elle produit et installe ses modules (y compris en Chine !), elle produit et vend de l’électricité.

Mais First Solar est un cas isolé et la baisse rapide des prix de la première génération a fait beaucoup de mal à un secteur qui n’était pas encore mûr technologiquement. Des capacités d’innovation ont été détruites, et l’apprentissage industriel n’a pas encore eu le temps de se faire. À part quelques exceptions, le secteur est actuellement trop en retard pour rattraper par la baisse des coûts le faible prix de vente des fabricants chinois de panneaux en silicium industriels.

Potentiellement, la technologie des couches minces en a les moyens. Mais sauf à changer de business model pour traverser la crise, il faut accepter de perdre de l’argent quelques années avant d’être rentable. C’est l’équation à résoudre. Cela ne peut se faire qu’avec l’appui d’investisseurs, et notamment des États. Ce n’est pas d’effort de recherche que nous parlons ici, mais bel et bien d’un effort industriel. L’enjeu est de construire des usines de plus en plus grandes, qui coûtent de plus en plus cher, pour fabriquer des objets que vous vendez pendant un certain temps à perte. Ce n’est pas facile à accepter. Mais certains investisseurs s’y risquent, et non des moindres : Warren Buffet vient ainsi d’investir dans des usines de production d’électricité par photovoltaïque avec SunPower en Californie.

Les fabricants de panneaux chinois s’intéressent-ils aussi à la deuxième génération ?

Cela vient. Tous les fabricants chinois sont aujourd’hui sur le silicium, mais ils ont compris que la future génération, ce sont les couches minces. First Solar a lancé cette année un projet de 30 MW avec un partenaire chinois. La Chine investit. Ses fabricants vont apprendre, et ils vont racheter les technologies possédées par les concurrents qui souffrent.

Pour l’industrie européenne, quel est le bilan aujourd’hui ?

Je ne crois pas que les fabricants de panneaux français ou allemands puissent survivre si rien ne se passe. Mais nous parlons ici d’un jeu complexe, où les gagnants ne sont pas forcément évidents. Les fabricants chinois perdent aujourd’hui de l’argent. Ceux qui leur achètent les modules, ce sont des particuliers et des industriels européens et américains. Cela revient à dire que l’État chinois subventionne la production d’électricité en Europe et aux Etats-Unis.

Des doutes ont été émis sur la stratégie de subvention par les tarifs de rachat en Europe. On peut discuter du bien-fondé des subventions d’État pour aider à l’émergence d’une filière industrielle en Europe, et force est de constater qu’un risque pèse sur la filière allemande (la seule qui est été réellement mise en place). Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Car les industriels allemands ont développé une industrie de machines-outils qui servent à fabriquer les panneaux, et leurs principaux clients sont les Chinois. Une des grandes raisons pour lesquelles les Allemands n’ont pas insisté beaucoup pour mettre des barrières à l’entrée des panneaux photovoltaïques chinois, c’est parce qu’eux-mêmes vendent aux Chinois des machines pour fabriquer des panneaux. Au total, les subventions publiques ont bien aidé à développer et renforcer un secteur industriel stratégique.

Didier Roux / Membre de l’Académie des sciences, directeur de la recherche et de l’innovation, Saint-Gobain /

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Paristech

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