Stockage propre de l’énergie : le binôme air comprimé-hydrogène pourrait s’imposer

L’ingénieur et fondateur d’Enairys, Sylvain Lemofouet, a conçu avec le professeur Alfred Rufer, directeur du Laboratoire d’électronique industriel de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et le professeur Daniel Favrat, directeur du Laboratoire d’énergétique industrielle, une batterie qui ne contient pas de métaux lourds. Explications de Sylvain Lemofouet : « L’air, comme tous les gaz, est compressible. En d’autres termes, il peut prendre le volume qu’on lui impose. En l’obligeant à occuper un plus petit espace, sa pression augmente et crée un potentiel d’énergie comparable à l’élévation de l’eau dans un barrage hydroélectrique. »

Le stockage d’énergie par air comprimé n’est en soi pas nouveau mais cette technique n’a pour ainsi dire jamais été exploitée, du fait du faible rendement des machines à air existantes. En effet, l’air s’échauffe quand on le comprime et cette chaleur, une fois évacuée, génère des pertes importantes. La quantité d’énergie récupérée à la détente de l’air est faible par rapport à celle qui a été initialement stockée. On parle d’un rendement de l’ordre de 20 à 30 %.

La machine à air comprimé d’Enairys fonctionne non pas avec un piston mécanique mais grâce à un concept de compression et de détente d’air basé sur le principe du « piston liquide ». L’eau refroidit l’air pendant la phase de compression et le réchauffe pendant la phase de détente permettant de réduire les pertes thermiques au minimum et donc d’avoir un bien meilleur rendement. Dans le système d’Enairys, l’électricité est employée pour comprimer l’air en alimentant un moteur électrique couplé à un compresseur hydropneumatique.

L’air est ensuite stocké dans des bonbonnes, reliées les unes aux autres. Lorsqu’il y a une demande en électricité, l’air comprimé est utilisé pour faire tourner la même machine hydropneumatique et entraîne la machine électrique qui fonctionne alors en alternateur pour reproduire du courant. « Le rendement énergétique de notre système est de l’ordre de 60-65 % et s’approche ainsi du rendement des batteries au plomb qui est de 70 % », souligne Sylvain Lemofouet.

Le grand avantage d’un tel système est qu’il est écologique et économique. Aujourd’hui, le stockage de l’énergie solaire ou éolienne se fait par des batteries d’accumulateurs électrochimiques. Celles-ci contiennent des métaux lourds qui sont polluants. En outre, leur durée de vie n’est que de quelques années. « Sur le long terme, notre système est moins coûteux », précise l’ingénieur. « Nous visons également le marché de la production d’air comprimé à haute pression et à plus long terme celui des voitures urbaines à air comprimé », souligne Sylvain Lemofouet.

Le groupe énergétique EnBW (numéro 3 allemand) a également développé une solution pour résoudre le principal problème posé par l’exploitation de l’énergie éolienne : son stockage. Des améliorations techniques récentes devraient permettre la mise en service d’une centrale de stockage par air comprimé, unique en son genre, d’ici 2011/2012 dans le nord de l’Allemagne. Un rendement de 70 % est attendu pour cette installation d’une nouvelle génération, soit une nette progression par rapport à la génération actuelle (rendement de 40 %). L’entreprise est aujourd’hui à la recherche d’un site approprié et bénéficie dans son action du soutien du Land de Basse-Saxe.

La grande majorité des projets éoliens allemands qui verront le jour dans les années à venir sont des projets "offshore" : les machines exploiteront le gisement éolien de la mer Baltique et de la mer du Nord, à une grande distance des centres industriels allemands fortement consommateurs d’électricité. Cette situation rend nécessaire le développement important du réseau électrique : une étude de l’agence allemande de l’énergie (dena) évalue à 800 km le besoin en nouvelles lignes électriques d’ici 2015. Selon les experts, il est peu probable que cet objectif soit réalisé dans les temps. D’où l’intérêt de projets tels que celui mené par EnBW.

Les centrales de stockage de l’énergie par air comprimé sont capables d’emmagasiner temporairement l’énergie sous forme d’air comprimé par injection, dans des réservoirs souterrains de formations géologiques diverses (sel, roche, aquifère). L’énergie est restituée lors des périodes de forte ou moyenne demande. L’innovation technique du projet de EnBW consiste à récupérer la chaleur résultant de la compression de l’air en vue d’améliorer le rendement de l’installation : "le compresseur n’est pas refroidi et la chaleur de l’air comprimé est stockée dans un accumulateur de chaleur", explique le directeur de projet Joachim Manns. Plus précisément, l’air comprimé, chaud, est conduit vers le récupérateur, où il cède sa chaleur avant d’être temporairement stocké à faible température dans une caverne souterraine. Plus tard, l’air froid stocké est réacheminé vers le récupérateur de chaleur où sa température est ramenée à celle de la turbine. Cette technique efficace de réchauffement permet d’éviter le recours à une source extérieure d’énergie comme c’est le cas aujourd’hui (chauffage au gaz naturel).

Selon Stephan Kohler, expert à la dena à Berlin, "la nouvelle centrale de stockage par air comprimé est la plus intéressante des techniques de stockage aujourd’hui envisageables". Le Nord de l’Allemagne dispose de nombreux sites adaptés à l’application de cette technologie (cavernes de sel).

En Espagne, le centre de recherche aérospatial allemand (DLR) vient de mettre en service une turbine à gaz (TAG) d’un nouveau genre : délivrant une puissance de 250kW, cette TAG est intégrée à une centrale solaire à tour (CESA-1) et fonctionne au biodiesel. Le principe de fonctionnement de cette installation hybride expérimentale est le suivant. Dans un premier temps, les rayons du soleil sont réfléchis par un champ de miroirs et dirigés vers 3 récepteurs montés sur la tour. Placés les uns derrière les autres, ces récepteurs assurent ensuite un chauffage graduel de l’air comprimé de la TAG jusqu’à une température de 800°C.

Si l’énergie solaire vient à manquer, le chauffage de l’air comprimé s’effectue par combustion de biodiesel. Ainsi, l’installation est capable de fournir de l’électricité en permanence, indépendamment de l’heure et des conditions météorologiques. Située sur la plate-forme solaire d’Almería dans le sud de l’Espagne, l’installation test a été conçue en collaboration avec 11 partenaires internationaux dans le cadre du projet européen Solhyco.

Mais l’air comprimé pourrait également devenir une énergie rentable dans les transports urbains. Avec un baril de pétrole autour de 100 dollars, la petite entreprise MDI spécialisée dans les voitures propulsées à air comprimé suscite un regain d’intérêt en France et au-delà de ses frontières. La voiture à air comprimé dispose d’un réservoir type bouteille de plongée dont l’air comprimé utilisé seulement en ville est associé à un "adjuvant énergétique" (éthanol, gazole, essence sans plomb ou n’importe quel biocarburant) pour améliorer le rendement sur route. Les bouteilles d’air comprimé se rechargent en trois minutes en station-service.

Protégée par une cinquantaine de brevets, cette voiture dont la fabrication en pré-série devrait commencer cette année, sera vendue aux alentours de 3.500 à 4.000 euros, selon les versions. La carrosserie monobloc en fibres composites, les accessoires et le moteur ne lui feront pas dépasser 330 kilos sur la balance. Sa vitesse maximum sera de 150 km/h. Le plein pourra se faire en 3 minutes pour un coût de 2€50 ! "Moins c’est lourd, moins ça consomme, moins ça pollue moins c’est cher, l’équation est simple", dit Guy Nègre. Avec une bouille qui lui donne l’air de sortir tout droit d’une bande dessinée, la OneCATS (son nom provisoire) a en tout cas déjà séduit le groupe indien Tata Motors.

Mais en matière de stockage de l’énergie, l’hydrogène devrait également venir compléter la chaine énergétique propre. Un groupe de recherche du Institue of Multidisciplinary Research for Advanced Materials de l’université de Tohoku a découvert un procédé naturel de génération d’hydrogène à partir de la cellulose du bois. L’équipe de professeur Fumio SAITO a mis en évidence qu’un broyage physico-chimique à sec de la cellulose, suivi de sa caléfaction entraîne une synthèse à haut rendement d’hydrogène d’une grande pureté.

L’échantillon utilisé était composé de cellulose et d’un hydroxyde de métal qui servirait d’agent accélérateur de la réaction. Le mélange est broyé à sec puis chauffé dans un four électrique sous atmosphère d’argon. Un mélange gazeux est alors libéré, composé en pourcentage molaire à 93,5 % d’H2, 6,4 % de CH4 ainsi que de traces de CO et CO2. L’hydrogène moléculaire produit est considéré comme d’une grande pureté car il contient moins d’1 % de CO et peut de ce fait être utilisé directement dans des piles à combustibles à acide phosphorique (PAFC). Cette méthode, relativement simple de synthèse à haut rendement d’hydrogène d’une grande pureté, à partir de biomasse telle que les débris de bois, a toutes les chances de connaître un rapide développement.

Outre Atlantique, le Pr Lanny Schmidt et son équipe de l’université du Minnesota viennent ainsi de mettre au point un procédé permettant de produire de l’hydrogène à partir d’huile ou de sucre, après avoir rendu l’opération possible à partir de l’éthanol. À terme, l’objectif est d’étendre les matières premières à tout un éventail de résidus de cultures. À la sortie de la réaction, un mélange hydrogène et monoxyde de carbone, entrant dans la fabrication d’un carburant de synthèse, et de l’ammoniac qui peut être utilisé comme fertilisant.

Les travaux du professeur Schmidt pourraient déboucher sur une diminution considérable du coût de production des biocarburants, des engrais et de l’hydrogène, tout en éliminant l’énergie fossile indispensable à leur obtention. Cette production "verte" d’hydrogène à partir de ressources renouvelables pourrait avoir un impact considérable tant sur la plan économique qu’écologique en apportant une solution élégante et rentable à la production et au stockage de l’hydrogène.

En s’inspirant de la photosynthèse, des chercheurs américains du MIT, dirigé par Daniel Nocera, ont franchi une étape décisive vers la production d’hydrogène à partir d’énergie solaire en mettant au point un catalyseur à la fois efficace et bon marché (Voir article dans notre rubrique « Energie »).

Un réacteur expérimental exploitant l’énergie solaire pour produire de l’hydrogène par l’hydrolyse de l’eau a été mis en service le 31 mars 2008 sur la plate-forme de recherche solaire d’Almeria en Espagne. Cette inauguration marque le lancement de la deuxième phase du projet "Hydrosol" mené depuis 2004 par le Centre de recherche aérospatiale allemand (DLR) en coopération avec l’organisme de recherche énergétique espagnol CIEMAT.

Baptisé "Hydrosol II", le nouveau réacteur optimisé et automatisé est dix fois plus puissant que son prédécesseur "Hydrosol I" (100kW(th) contre 10kW(th)). La réalisation de ce prototype constitue une étape importante vers la conception d’une future installation industrielle. Le projet pilote, qui se caractérise par un cycle thermochimique particulièrement efficace (jusqu’à 50 % de rendement), poserait ainsi les fondements d’une future et durable économie de l’hydrogène. En effet, contrairement à l’hydrolyse thermique directe qui nécessite des températures de plusieurs milliers de degrés, le procédé innovant du projet Hydrosol repose sur une combinaison de différentes réactions chimiques qui ont lieu à des températures inférieures à 1400 degrés.

Outre-Manche, la compagnie Wind Hydrogen Ltd, basée à Anglesey au nord de Pays de Galles, développe une technologie intégrant éolien et hydrogène pour la production d’électricité et le transport. Le principe de cette technologie est d’utiliser le surplus d’énergie éolienne pour produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau. Cet hydrogène stocké peut être soit utilisé pour produire de l’électricité en cas de vents faibles (piles à combustible ou moteur à combustion interne) ou être revendu pour le secteur du transport. D’après Declan Pritchard, le directeur de développement de Wind Hydrogen, "L’énergie éolienne couplée avec la production hydrogène permet théoriquement la pénétration du 100 % renouvelable dans le marché de l’électricité". La compagnie travaille sur différents sites au Royaume-Uni, en particulier en Ecosse, et en Australie. A Kilbirnie, à l’ouest de l’Ecosse, la compagnie travaille sur un projet de 375 MW. Dans ce projet, 10 à 15 % de l’électricité produite par les éoliennes seraient dédiés à la production d’hydrogène.

On voit donc, à la lumière de ces remarquables avancées technologiques, que la question du stockage propre et efficace, qui constitue encore un obstacle majeur à l’utilisation généralisée et rentable des énergies renouvelables (énergie éoilienne, solaire et biomasse principalement), est en train d’être surmontée grâce à ce binôme air comprimé-hydrogène qui devrait s’imposer définitivement d’ici 2020.

[ Archive ] – Cet article a été écrit par René Tregouët

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