Total : + 30% de potentiel de découvertes en 2 ans

« Pour des raisons diverses et variées, le nombre d’enjeux de grande taille que nous avons forés en exploration a eu tendance à diminuer au fil des années, de même que notre participation à de nouveaux concepts. J’ai souhaité réagir, prendre un peu plus de risques sur les nouveaux thèmes, les nouveaux bassins et en forant sur des prospects plus importants », déclare Yves-Louis Darricarrère, le directeur général Exploration & Production de Total dans un entretien au Bulletin de l’Industrie Pétrolière.

Après le redéploiement opéré à la suite de ce constat, « notre domaine d’exploration a aujourd’hui un potentiel supérieur d’un tiers à celui d’il y a deux ans ».

Le budget 2011, fixé à 2,1 milliards de dollars, contre 1,75 G$ en 2010, « doit être assez bien équilibré, avec environ un gros tiers en Afrique, 25 % en Asie/Moyen-Orient, 20 % en Europe du Nord et continental et 20 % en Amérique ».

Dans cet entretien, Yves-Louis Darricarrère rappelle aussi que la production du groupe en Libye (2,3 % de sa production mondiale) est totalement à l’arrêt, dit suivre la situation au Yémen « avec beaucoup d’attention » et commente les derniers développements sur le gaz de schiste en France.


Entretien réalisé le 16 mars.

BIP. Avant d’évoquer la nouvelle stratégie de Total en matière d’exploration-production, revenons sur les événements actuels, et notamment la tragédie japonaise. Outre le drame humain, y a-t-il, selon vous, des enseignements à en tirer pour la scène énergétique mondiale ?

Yves-Louis Darricarrère. C’est un peu tôt. Notre préoccupation, aujourd’hui, est d’assurer la sécurité de nos personnels, qu’ils soient japonais ou expatriés. Nous avons suivi les consignes de l’ambassade de France et déplacé nos salariés dans le Sud du pays, en offrant la même alternative à notre personnel japonais.

L’émotion est telle que tout le monde se sent proche de ce peuple. Quant aux conséquences énergétiques, il va y avoir, un temps, une réduction de la demande. Puis viendra la reconstruction et l’on peut imaginer que la part d’appel aux hydrocarbures ne va pas diminuer.

Par ailleurs, le développement de l’énergie nucléaire, qui commençait à redémarrer, peut-être plus dans les idées que dans les faits d’ailleurs, va susciter des interrogations. A ce stade, il est difficile de prédire comment tout cela va se rééquilibrer.

BIP. Depuis plusieurs semaines, d’autre part, certains pays producteurs de pétrole et de gaz connaissent des troubles politiques forts, voire des insurrections. Qu’en est-il à ce jour de la situation en Libye ?


Yves-Louis Darricarrère.
Les chiffres sont bien connus. La Libye produit en temps normal quelque 1,6 à 1,7 million de barils par jour, dont elle raffine sur place 300 à 400 000 b/j. Elle exporte donc, sous forme de brut ou de produits, 1,2 à 1,3Mb/j. Aujourd’hui (au 16 mars – ndlr), sa production est tombée à moins de 300 000 b/j, elle continue à raffiner, il reste donc très peu pour les exportations. Les autres pays producteurs peuvent combler ce manque.

Pour les raffineurs, la principale contrainte tient à la qualité des bruts. Celui extrait en Libye s’apparente à ceux produits en Algérie, en Azerbaïdjan, au Nigeria et en Mer du Nord, et pas aux bruts classiques de l’OPEP qui sont plus lourds. La production de Total en Libye était de 55 000 barils par jour en 2010, soit environ 2,3 % de notre production mondiale. Elle est aujourd’hui totalement à l’arrêt, aussi bien à terre sur le champ de Mabruk qu’en mer sur celui d’Al Jurf, de même que sur les blocs où nous sommes associés à Repsol. Nous avons rapatrié tout notre personnel et les familles. Mais nous restons en contact étroit avec nos salariés libyens. "Mabruk Oil Operations", la co-entreprise qui opère Mabruk et Al Jurf, reste en contact technique avec la NOC.

BIP. Au Yémen, où votre présence est plus importante, la situation semble aussi extrêmement tendue…

Yves-Louis Darricarrère. Nous avons effectivement une implantation forte au Yémen, où Total est actif sur deux bassins pétroliers et participe au projet Yemen LNG, qui, après la mise en production du deuxième train au printemps 2010, est pleinement opérationnel.

Jusqu’au 15 mars, il n’y avait aucun problème de production dans le pays. Mais à la suite d’un acte de sabotage sur un oléoduc, qui nous est d’ailleurs totalement extérieur, le fonctionnement de l’usine de Yemen LNG pourrait être ralenti par contrecoup. Quoi qu’il en soit, nous suivons la situation avec beaucoup d’attention car c’est un pays important pour nous, où nous avons beaucoup investi et où la présence de Total est emblématique.

BIP. Comment sera réparti votre budget d’exploration cette année ?

Yves-Louis Darricarrère. Il doit être assez bien équilibré, avec environ un gros tiers en Afrique, 25 % en Asie/Moyen-Orient, 20 % en Europe du Nord et continentale et 20 % en Amérique.

BIP. Parmi ces projets, figure le forage qui vient de démarrer en Guyane française…

Yves-Louis Darricarrère. Oui et qui est d’ailleurs illustratif de l’infléchissement de notre stratégie. C’est le concept pièges stratigraphiques en marges abruptes que nous allons sonder là.

BIP. Dans la conjoncture actuelle avec un pétrole qui s’envole et un prix bas du gaz, l’intérêt d’un groupe n’est-il pas de privilégier le développement de projets pétroliers plutôt que gaziers ?

Yves-Louis Darricarrère. Nous ne sommes pas inquiets sur l’avenir du gaz malgré la bulle gazière actuelle : nous voyons cette bulle se résorber, hors Etats-Unis, dans les trois à quatre ans à venir en raison de la montée des besoins, en Asie notamment. Les réserves de gaz sont à peu près équivalentes à celles de pétrole, leur durée de vie étant supérieure compte tenu de la production mondiale du gaz qui est inférieure à celle du pétrole ; c’est une énergie qui présente des avantages indiscutables, par exemple en termes de bilan carbone. Le gaz a de l’avenir, l’ancien directeur de la branche Gaz et Electricité de Total (de 2003 à 2007 – ndlr) que je suis en est convaincu.

BIP. Quelles sont vos perspectives dans ce domaine ?

Yves-Louis Darricarrère. Dans nos créneaux de croissance, il y a du pétrole et du gaz. D’un côté l’offshore profond, qui donne plutôt lieu à des découvertes d’huile, et les huiles lourdes ; de l’autre, le GNL et les gaz non conventionnels. Il est vrai que, récemment, nous avons augmenté la part du gaz dans notre production globale, à 44 %. Une proportion qui est la même dans nos réserves 1 P (réserves prouvées avec plus de 90 % de chances de les produire – ndlr) ; elle est de 40 % pour les réserves 2P (réserves probables – ndlr), inférieure dans le total de nos ressources. Nous ne cherchons pas à privilégier l’un ou l’autre mais à déterminer quels sont les hydrocarbures à exploiter de façon sûre, rentable et acceptable sur le plan de l’environnement.

BIP. Concernant ce dernier point, votre déploiement dans les sables bitumineux au Canada ne risque-t-il pas à terme d’être un souci face à la montée des pressions environnementales ?

Yves-Louis Darricarrère. Nous continuons à penser que ces ressources seront nécessaires dans le bilan énergétique de demain. Il est clair que leur exploitation pose des défis environnementaux qui sont de trois ordres : les ressources en eaux ; les émissions de CO2 ; et l’utilisation des terrains. Notre centre de recherches à Calgary travaille sur tous ces points.

Nous nous sommes d’autre part associés à deux initiatives réunissant plusieurs acteurs – l’OSLI (Oil Sands Leadership Initiative) et l’OSTC (Oil Sands Tailing Consortium) – qui visent à mettre en commun nos moyens de façon à minimiser les besoins en eaux et l’emprise sur les terrains.

BIP. Autre point en suspension en ce moment, l’éventuelle exploitation de gaz de schiste en France. Total a obtenu l’an dernier le permis de Montélimar. De récentes informations laissaient entendre que les réserves en place seraient suffisantes pour couvrir plus de 20 ans de la consommation française. Quelle est votre position à ce sujet, notamment après votre retour d’expérience avec Chesapeake aux Etats-Unis ?

Yves-Louis Darricarrère. J’ai visité nos installations dans les shale gas aux Etats-Unis, je n’y ai pas vu de bouleversement du paysage. Il est évident qu’il faudra être vigilant sur tout risque de pollution mais nous avons l’habitude de travailler avec de hauts standards de protection de l’environnement.

Par ailleurs, aux Etats-Unis, la production de gaz de schiste, qui n’existait pas il y a cinq ans, leur a permis de devenir auto-suffisants et représente aujourd’hui 20 % de la production totale de gaz du pays. En 2020, cette part pourrait monter à 40 %.

Le chiffre avancé pour le permis de Montélimar est loin d’être confirmé. Mais même si l’ampleur des ressources était dix fois plus faible, cela vaudrait quand même le coup de déterminer le potentiel. De toutes façons, pour qu’il y ait une exploitation, il faudrait que trois conditions soient réunies : qu’il y ait un potentiel géologique ; qu’il soit exploitable techniquement et économiquement ; et que cette exploitation soit acceptable sur le plan environnemental et sociétal. Pour l’instant, tous les travaux sont arrêtés sur le permis de Montélimar, comme nous en avons pris l’engagement vis-à-vis des autorités, mais il n’y avait pas de forage prévu cette année.

BIP.
La décision d’investissement concernant l’énorme projet de Shtokman devait être prise en ce mois de mars : qu’en est-il ?

Yves-Louis Darricarrère. Le conseil d’administration de la société commune Shtokman Development AG doit se réunir prochainement. Il devrait adopter une position positive en vue d’une décision qui sera annoncée avant la fin de l’année, en principe.

BIP. Qu’est-ce qui pourrait l’en empêcher ?

Yves-Louis Darricarrère. Shtokman étant, par sa complexité technologique, un projet très capitalistique, il devra bénéficier d’un cadre fiscal approprié. Mais je pense que l’entente forte qui règne entre Total et les autorités russes, et qui s’est encore manifestée avec la signature toute récente de notre accord avec Novatek, s’appliquera aussi au projet Shtokman.

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Flo

Mets tes lunettes mon vieux.

Flo

Oups, le titre s’est coupé : “J’ai visité nos installations dans les shale gas aux Etats-Unis, je n’y ai pas vu de bouleversement du paysage.” Vraiment ça me dégoute ce genre de propos.

Nonaugds

Quand on te mettra un bon coup de boule ,nous non plus on ne verra pas la transformation de ton visage!!gaz-toi pauv’c.n!