Transformer le monde, quelques nanomètres à la fois

Est-ce qu’un chercheur peut espérer, dans une même carrière, inventer des lunettes qui ne s’embuent jamais, développer des pales d’éoliennes antigivre, créer un laser à base de silicium qui révolutionnerait l’informatique, et fabriquer des panneaux solaires 2 à 3 fois plus performants que ceux qui existent aujourd’hui ?

Guy Ross, professeur au Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l’INRS, n’a pas peut-être pas accompli tous ces exploits — il serait riche, ou déjà nobélisé ! —, mais il a apporté des contributions significatives à tous ces défis techniques et scientifiques.

Son secret ? L’implantation ionique. L’expression ne fait peut-être pas partie du langage courant, mais elle cache une idée simple : de la même façon qu’on peut ajouter de la peinture antirouille à du fer pour empêcher l’humidité et l’air de le corroder, on peut modifier les propriétés de nombreux matériaux en leur ajoutant des revêtements spéciaux.

Oubliez toutefois les pots de peinture. Le professeur Guy Ross travaille à l’échelle nanométrique : il bombarde la matière avec des ions, c’est-à-dire des atomes qui ont une charge électrique positive ou négative, pour en modifier la surface sur quelques milliardièmes de mètres d’épaisseur seulement.

Être superficiel pour aller au fond des choses

Pourquoi s’arrêter à ces premiers nanomètres? C’est qu’ils peuvent modifier radicalement les interactions entre les matières. Prenons l’exemple de l’eau : qu’est-ce qui fait qu’elle mouille votre chemise, mais ne pénètre pas votre imperméable ? Ce n’est pas qu’une différence de tissage : principalement, c’est à cause de la façon dont la goutte réagit lorsqu’elle entre en contact avec le vêtement. Et cette réaction est justement déterminée par les propriétés chimiques de la surface.

Guy Ross s’est penché sur ces « propriétés de mouillage ». L’un de ses objectifs était de créer la surface la plus… mouillante possible ! De manière surprenante, c’est la clé pour pour obtenir un verre antibuée : « La buée, explique Guy Ross, ce sont d’innombrables gouttes d’eau qui s’accrochent au verre et font dévier les rayons lumineux. J’ai imaginé un revêtement qui force l’eau à s’étendre le plus possible sur le verre, et donc à former une pellicule uniforme qui laisse passer la lumière, comme une lentille. »

Guy Ross a aussi fait exactement le contraire, soit développer un revêtement qui ne mouille pas du tout, qui est totalement hydrophobe. Dans ce cas, le but était de fabriquer des pales d’éoliennes qui résistent au givre : « L’idée était que si on peut rendre un matériau superhydrophobe, la glace ne pourra pas s’y former non plus. »

Il a bel et bien réussi à développer un revêtement qui ne prend pas l’eau : dans son laboratoire, il dépose une petite goutte d’eau sur une plaque spécialement traitée à cet effet. La goutelette se met à rouler très rapidement, comme si elle avait été une bille de métal!

Transformer le monde, quelques nanomètres à la fois

[ nanoparticules de silice recouvertes d’un mélange de silicone et d’acrylique ]

Toutefois, étonnamment, ses tests ont montré que la glace peut toujours se former sur une surface hydrophobe. Guy Ross croit savoir pourquoi, son équipe ayant déjà réduit l’adhérence de la glace de plus de 70 %, mais il laisse le soin à d’autres chercheurs de poursuivre dans cette voie. Car il se concentre maintenant sur la compréhension des propriétés des nanocristaux de silicium.

Que la lumière soit !

L’industrie électronique fait aujourd’hui face à un défi de taille : à force de miniaturiser les circuits intégrés, les microprocesseurs ont tendance à surchauffer et l’information circule moins rapidement. « Pour éviter ces problèmes, l’idéal serait de faire circuler de la lumière plutôt que de l’électricité dans les circuits intégrés », indique le spécialiste. Utiliser des lasers (qui sont des sources de lumière) serait une possibilité. Il en existe déjà plusieurs types, mais Guy Ross souhaite en développer un à base de silicium. L’intérêt ? « Le silicium est le matériau de base de toute l’industrie électronique, qui utilise en plus le même procédé que moi, l’implantation ionique, pour en modifier la surface ».

Le seul hic, c’est que le silicium n’émet pas de lumière… Du moins c’est ce qu’on croyait jusqu’à ce qu’on réalise, il y a une vingtaine d’années, que c’était possible à condition de l’utiliser sous forme de nanocristaux. Guy Ross et son équipe croient être sur la bonne voie pour arriver à fabriquer un laser en bonne et due forme, de moins d’un millimètre de long, même si le parcours est semé d’embûches.

Peu importe le résultat, ces travaux ont des avantages multiples : « Une des raisons pour lesquelles on s’est donné ce défi est que le fait de mieux comprendre les propriétés fondamentales des nanocristaux de silicium pourrait conduire aussi à des percées dans le domaine photovoltaïque », soutient-il. En effet, c’est aussi du silicium qu’on retrouve dans la plupart des panneaux solaires actuels. Mais leur efficacité est malheureusement limitée : ils convertissent moins de 25 % de la lumière reçue en énergie. Avec ses expériences, il croit qu’en utilisant la génération d’électrons multiples, il sera possible d’atteindre 50 % ou 60 %, voire 70 % dans un avenir pas si lointain, ce qui constituerait une révolution énergétique.

Transformer le monde, quelques nanomètres à la fois

[ jauge à vide pour la chambre d’analyse de l’accélérateur ]


Aller au-delà des pigeons voyageurs

Les travaux de Guy Ross sur les propriétés de surface et l’implantation ionique sont souvent de nature fondamentale même si, comme on l’a vu, les applications potentielles sont nombreuses. Pour lui, ce genre de travail est essentiel : « Si, au XIXe siècle, on avait voulu faire de la recherche appliquée sur les télécommunications, on aurait investi dans les pigeons voyageurs, lance-t-il en riant. Ce sont les percées fondamentales sur la compréhension des phénomènes électromagnétiques qui nous ont donné le monde d’aujourd’hui. »

Avec l’expérience, il constate à quel point la persévérance est essentielle au succès de la recherche fondamentale. Et la générosité, pourrait-on ajouter : « Je n’ai jamais cherché à m’enrichir, avoue-t-il. Lorsque je découvre quelque chose d’intéressant, je le publie pour que toute la communauté scientifique en profite. La science avance plus vite comme ça. Il faut se méfier du climat ambiant d’individualisme, qui affecte aussi la science. Parce que les deux grands buts de la recherche, ce sont de comprendre notre monde et de contribuer au bien-être de l’humanité, non? ». ?

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