Depuis l’installation en 2017 du parc pilote de MeyGen en Écosse, premier projet de grande envergure dédié à l’énergie marémotrice, une certitude s’impose : la fiabilité technique est le maillon décisif pour transformer cette source d’énergie renouvelable en un acteur majeur du mix électrique. Les défis sont abyssaux, tant sur le plan mécanique qu’économique. Mais les progrès récents, portés par des collaborations inédites entre industriels et ingénieurs, tracent un chemin vers une exploitation industrielle crédible.
Le succès du projet MeyGen, toujours en activité depuis 2018, repose sur une stratégie audacieuse : celle d’une maintenance conditionnelle, où chaque composant est surveillé en temps réel pour optimiser sa durée de vie. Une approche qui suppose des turbines capables de fonctionner sans interruption pendant plus de six ans entre chaque révision majeure.
« Dans l’environnement sous-marin, un seul échec peut paralyser tout un système », souligne Drew Blaxland, directeur général de Proteus Marine Renewables, l’un des pionniers du secteur. « C’est pourquoi des partenaires comme SKF ne se contentent pas de livrer des pièces : ils contribuent à une ingénierie systémique, anticipant les risques et renforçant la robustesse globale. »

Les turbines de la série AR, développées par Proteus, montre ce concept. Fixées directement sur le fond marin à une profondeur minimale de 30 mètres, ces machines à axe horizontal exploitent les courants de marée montante et descendante grâce à un rotor à trois pales. Contrairement aux éoliennes terrestres ou flottantes, leur intégration totale sous l’eau élimine tout impact visuel, tout en capitalisant sur la densité élevée de l’eau — plus de 800 fois supérieure à celle de l’air. « Cela permet des dimensions réduites, comparables à celles d’un bus, contre des dizaines de mètres pour l’éolien », précise Drew Blaxland.
Derrière cette simplicité apparente se cache une complexité technique aiguë. Depuis vingt ans, Proteus a bâti son expertise sur des innovations clés, notamment des fondations modulaires permettant un déploiement ou un retrait en quelques minutes. Une prouesse illustrée par le premier relocalisation d’une turbine entre deux sites, un exploit réalisé en 2022. « Chaque intervention sous-marine coûte cher, donc notre priorité est de minimiser les opérations tout en maximisant la durée de vie des équipements », explique le dirigeant.

La prévisibilité des marées, calculée avec une précision astronomique, constitue un atout stratégique. À l’inverse des énergies éoliennes ou solaires, intermittentes, la production marémotrice peut être programmée avec une exactitude horaire. Selon les estimations validées par l’industrie, les courants côtiers accessibles recèlent un potentiel de 100 gigawatts mondiaux, dont 15 gigawatts en Europe. Couplée à des solutions de stockage court terme, cette énergie pourrait fournir une base stable de production électrique, réduisant la dépendance aux centrales thermiques.
Mais les ambitions de Proteus ne s’arrêtent pas aux eaux peu profondes. Blaxland anticipe un déploiement en haute mer, là où les courants océaniques profonds offrent une capacité théorique dix fois supérieure à celle des zones côtières. « Pour des îles isolées, ces courants pourraient devenir une alternative viable aux carburants fossiles », imagine-t-il. À long terme, le gisement global pourrait atteindre un térawatt, équivalant à la capacité éolienne mondiale actuelle.
Ces perspectives reposent néanmoins sur des défis persistants. La corrosion, les contraintes mécaniques liées aux courants turbulents, ou encore les coûts de connexion au réseau électrique restent des obstacles à surmonter. Pourtant, les avancées du projet MeyGen démontrent qu’un modèle industriel est en germination. La combinaison d’une ingénierie rigoureuse, d’une maintenance prédictive et d’une vision stratégique à long terme semble enfin aligner les paramètres techniques et économiques nécessaires.

En filigrane, une question demeure : comment intégrer cette énergie niche dans un marché dominé par l’éolien et le solaire ? La réponse réside peut-être dans sa complémentarité. Là où le vent et le soleil fluctuent, la marée impose son rythme immuable. Un allié précieux pour un système énergétique en transition, où la stabilité n’a jamais été aussi recherchée.
Source : SKF