La dernière enquête d’UFC-Que Choisir, publiée en août 2025, a jeté un nouveau pavé dans la mare : près d’une tablette de chocolat sur trois dépasse les futures limites européennes de cadmium. Derrière cette alerte, un constat bien plus large se dessine : ce métal lourd s’infiltre dans nos assiettes, nos poumons et, à long terme, dans nos reins et nos os. Ce Métal discret constitue une toxicité tenace : le cadmium pose un problème de santé publique souvent sous-estimé. Décryptage d’un ennemi invisible dont les effets s’accumulent silencieusement tout au long de la vie.
Découvert au XIXᵉ siècle, le cadmium est aujourd’hui classé cancérogène avéré pour l’être humain par le Centre international de recherche sur le cancer. Absorbé en quantités infimes mais régulières, il se fixe principalement dans le cortex rénal et le tissu osseux, où il peut séjourner plus de trente ans. Or, l’organisme n’a aucun mécanisme efficace pour l’éliminer : le métal s’accumule, perturbe la fonction rénale, génère un stress oxydatif et favorise la déminéralisation osseuse.
Les études épidémiologiques l’associent à une hausse du risque de fractures, de maladies cardiovasculaires et de certains cancers (poumon, endomètre, prostate). Un effet « boomerang » en somme : l’exposition précoce rejaillit plusieurs décennies plus tard.
D’où vient-il ?
L’alimentation constitue la première porte d’entrée du cadmium dans l’organisme. Les fèves de cacao, cultivées sur des sols volcaniques naturellement chargés en métaux lourds, en concentrent des teneurs élevées ; une fois transformées en chocolat, poudre ou pâte à tartiner, elles deviennent un vecteur de contamination. De la même manière, certaines céréales — riz, blé complet, avoine ou seigle — puisent le cadmium présent dans la terre ou l’eau d’irrigation et le restituent dans l’assiette. Les légumes-racines comme la pomme de terre et la carotte, ou les feuilles vertes telles qu’épinard et laitue, en accumulent également des traces. À cette liste s’ajoutent les produits de la mer : moules, huîtres, crabes ou calamars, qui concentrent naturellement les métaux, ainsi que les abats, en particulier rognons et foies de porc ou de bovin.
La cigarette représente la première source non alimentaire chez l’adulte. Inhalé à travers la fumée, le cadmium se fixe très rapidement dans les poumons avant de passer dans la circulation sanguine ; fumer un paquet par jour double quasiment la charge corporelle par rapport à un non-fumeur.
Enfin, certaines expositions professionnelles ou environnementales peuvent alourdir la facture. Les ouvriers manipulant des batteries nickel-cadmium, des pigments industriels ou des fumées de soudage, ainsi que les riverains proches d’incinérateurs mal filtrés, respirent ou ingèrent des poussières métalliques qui finissent par contaminer le sol, l’air puis la chaîne alimentaire. À long terme, ces rejets invisibles se cumulent avec l’apport alimentaire quotidien, rendant l’exposition largement plus diffuse qu’il n’y paraît.
Les mécanismes d’action et les pathologies
Contrairement à d’autres métaux, le cadmium ne joue aucun rôle biologique utile chez l’être humain. Une fois ingéré ou inhalé, il circule dans le sang lié à l’albumine, puis se loge dans le foie avant de se fixer dans les reins où il peut demeurer plus de vingt ans. Cette demi-vie exceptionnellement longue explique que les effets apparaissent à bas bruit : tubules rénaux altérés, diminution de la filtration glomérulaire, excrétion accrue de protéines essentielles.
À long terme, cette toxico-cinétique se traduit par des insuffisances rénales progressives, souvent détectées trop tard. Le cadmium perturbe par ailleurs le métabolisme osseux : en modifiant la balance calcium–phosphate, il accroît la fragilité des os et favorise l’ostéoporose. Enfin, reconnu comme cancérogène certain pour l’homme, il est associé à des cancers du poumon, de la prostate et possiblement du rein.
Les normes actuelles
L’Autorité européenne de sécurité des aliments a fixé un apport hebdomadaire tolérable de 2,5 µg par kilo de poids corporel. Chez un enfant de 25 kg, ce seuil est atteint avec seulement deux carrés de chocolat noir fortement contaminé, un bol de riz et une portion d’épinards. Le nouveau règlement européen, attendu pour 2026, réduira la teneur maximale autorisée dans le cacao à 0,05 mg/kg, mais le défi reste avant tout agricole : la dépollution des sols saturés ou la sélection des variétés de fèves moins accumulatrices prend du temps. Les industriels, eux, s’orientent vers des assemblages d’origines moins chargées et des procédés de lavage des fèves, coûteux mais plus efficaces.
Quelles sont les populations particulièrement vulnérables ?
Les femmes enceintes, les jeunes enfants et les personnes en insuffisance rénale présentent une sensibilité accrue : l’absorption intestinale est plus élevée et la demi-vie dans l’organisme, plus longue. Les fumeurs, déjà exposés par inhalation, franchissent eux aussi plus rapidement les seuils critiques. Dans certains territoires miniers ou proches de fonderies, les niveaux de cadmium dans l’eau potable, bien que réglementés, maintiennent une pression d’exposition chronique sur les riverains.
Face à un contaminant aussi persistant, la prévention repose sur plusieurs leviers :
- Diversifier l’alimentation afin de diluer les sources les plus riches en cadmium.
- Limiter la consommation d’abats et choisir des céréales provenant de filières contrôlées.
- Encourager les producteurs de cacao à analyser systématiquement leurs lots et à pratiquer la phytoremédiation – certaines fougères hyper-accumulatrices assainissent le sol entre deux cultures.
- Réduire la consommation de tabac, vecteur direct et évitable.
- Renforcer la collecte et le recyclage des batteries Ni-Cd pour diminuer les rejets industriels.
Invisible, inodore, le cadmium rappelle à quel point la pollution chimique peut être insidieuse. L’alerte sur le chocolat n’est qu’une pièce d’un puzzle environnemental plus vaste : notre mode de production agricole et industriel laisse des traces de longue durée dans l’organisme humain. Les futures normes européennes marqueront une étape, mais pas l’arrivée. Sols dépollués, pratiques agronomiques repensées, alimentation sécurisée : le chantier est de longue haleine.