Dans le désert du Nevada, un projet pionnier illustre une nouvelle ère de l’économie circulaire : 805 batteries de véhicules électriques, retirées après leur première utilisation, alimentent désormais un centre de données d’intelligence artificielle via un micro-réseau de 12 MW/63 MWh. L’installation marque le plus grand déploiement de batteries de seconde vie en Amérique du Nord. Elle marque également une collaboration inédite entre le géant automobile General Motors (GM) et l’entreprise spécialisée dans le recyclage et la réutilisation de batteries, Redwood Materials. Leur objectif : transformer des composants usagés en solutions d’avenir pour le stockage d’énergie renouvelable, tout en répondant à une demande électrique exponentielle.
Redwood Energy : une nouvelle filière pour les batteries en fin de vie
Redwood Materials, fondée par JB Straubel, ancien directeur technique de Tesla, a lancé en 2024 une division dédiée au stockage d’énergie, baptisée Redwood Energy. Celle-ci récupère des batteries de véhicules électriques dont la capacité résiduelle dépasse 50 % pour les intégrer à des systèmes modulaires de stockage. Ces unités, capables de fonctionner en réseau isolé ou connecté au réseau principal, offrent un coût inférieur de 30 à 40 % par rapport à des installations neuves utilisant des batteries lithium-ion.
« L’énergie stockée dans ces batteries représente une ressource inexploitable il y a quelques années », indique JB Straubel. « Aujourd’hui, nous donnons une seconde vie à des technologies qui, autrefois, auraient été recyclées prématurément. » Avec une demande électrique nord-américaine attendue en hausse de 35 à 50 % d’ici 2040, et les centres de données d’IA projetés pour consommer 12 % de l’électricité américaine d’ici 2028, ce modèle s’inscrit comme une réponse concrète aux tensions sur les infrastructures.
Redwood traite actuellement plus de 20 gigawattheures (GWh) de batteries par an—l’équivalent de 250 000 véhicules électriques—dont 90 % proviennent du recyclage en Amérique du Nord. Plus d’un GWh de batteries réutilisables est déjà en phase de déploiement, avec 5 GWh supplémentaires prévu l’année prochaine. L’entreprise conçoit par ailleurs des projets dépassant les 100 mégawatts (MW), soit dix fois la taille de son installation actuelle. À l’issue de leur seconde vie, les batteries sont recyclées via un procédé hydrométallurgique innovant, permettant de récupérer 95 % des minéraux critiques comme le nickel, le cobalt et le lithium.
Un partenariat stratégique entre GM et Redwood
La collaboration entre GM et Redwood, formalisée par un protocole d’accord, étend une relation préexistante centrée sur le recyclage des batteries. Désormais, Redwood pourra utiliser à la fois des batteries GM neuves, issues des usines Ultium aux États-Unis, et des batteries de seconde vie pour construire des systèmes intégrés de stockage. Cette alliance vise à créer une chaîne de valeur nationale, de la cellule au système complet, répondant à la montée en puissance des besoins en énergie stationnaire.
« Le marché des batteries à l’échelle du réseau devient une infrastructure incontournable », souligne Kurt Kelty, vice-président des batteries chez GM. « Avec l’explosion des centres de données, la résilience énergétique passe par des solutions rapides à déployer et économiquement viables. »
Les deux entreprises bénéficient d’un soutien financier massif du Département de l’Énergie américain. Redwood a obtenu un prêt de 2 milliards de dollars pour son site de Sparks, tandis qu’Ultium Cells, coentreprise entre GM et LG Energy Solution, a reçu 2,5 milliards pour la fabrication locale de cellules. Ces investissements visent à réduire la dépendance aux importations et à accélérer la transition énergétique.
Le micro-réseau du Nevada : un modèle d’efficacité
L’installation de Sparks, dans le Nevada, incarne l’audace de cette approche. Sur deux acres de désert, des batteries retirées de véhicules GM sont alignées sur des parpaings, recouvertes de plastique, et connectées directement au système sans reconditionnement majeur. Ce choix radical de simplicité réduit les coûts et le temps de déploiement. Elles alimentent un centre de données modulaire de 2 000 GPU, conçu par Crusoe, entreprise spécialisée dans l’infrastructure d’IA.
Le projet intègre également une centrale solaire de 20 MW en courant continu, posée à plat sur le sol. « Associer production et stockage sur un même site permet une autonomie énergétique jamais atteinte », détaille JB Straubel. « Nous fournissons une alimentation fiable là où la demande en calcul intensif émerge, sans attendre des années pour des raccordements réseau. »
Des bénéfices environnementaux mesurables
La réutilisation des batteries avant recyclage génère des gains écologiques significatifs. Comparé au traitement traditionnel, le procédé de Redwood utilise 80 % moins d’énergie, émet 70 % moins de CO₂ et consomme 80 % moins d’eau. Son usine d’hydrométallurgie, décrite comme la première « mine » de nickel à l’échelle commerciale aux États-Unis depuis une décennie, peut traiter 40 000 tonnes métriques de matériaux par an—soit 15 à 20 GWh de batteries.
Ce partenariat entre GM et Redwood illustre une mutation profonde de l’industrie automobile et énergétique. Alors que les batteries lithium-ion dominent le marché, leur gestion post-usage devient un enjeu stratégique. En prolongeant leur durée de vie dans des applications stationnaires, puis en recyclant leurs composants, ces entreprises tracent un modèle économique et écologique reproductible.
« Chaque batterie recyclée ou réutilisée réduit la pression sur les ressources minières et accélère la transition vers les énergies renouvelables », conclut JB Straubel. Face à l’urgence climatique et à la course au calcul IA, cette initiative rappelle qu’innover ne signifie pas toujours inventer, mais souvent réinventer.