Les batteries lithium-ion, omniprésentes dans les appareils électroniques modernes, représentent un pilier technologique dont la sécurité et l’efficacité énergétique restent des axes d’amélioration continus. Face à une demande croissante pour des dispositifs plus performants et durables, les scientifiques explorent des alternatives qui pourraient redéfinir les standards actuels. Parmi ces solutions émergentes figurent les batteries tout-solide, dont les électrolytes solides se distinguent par leur stabilité chimique et leur capacité à minimiser les risques associés aux liquides inflammables. Une récente étude menée par une équipe du laboratoire national d’Argonne, soutenue par le département de l’énergie des États-Unis, apporte des éclairages essentiels sur ce domaine en pleine expansion.
Les électrolytes jouent un rôle fondamental dans le fonctionnement des batteries, agissant comme des membranes permettant aux ions lithium de circuler entre les électrodes positives et négatives. Dans le cas des batteries tout-solide, les électrolytes liquides sont remplacés par leurs homologues solides, qui présentent une résistance accrue face aux phénomènes de volatilité ou d’inflammabilité. Cette caractéristique leur confère une sécurité accrue, particulièrement recherchée dans des applications où la fiabilité est primordiale.
Dans leur recherche d’amélioration, les scientifiques ont concentré leurs efforts sur un matériau spécifique : le grenat de lithium lanthane zirconium (LLZO). Ce composé, reconnu pour sa robustesse et sa conductivité ionique élevée, a été soumis à des expérimentations visant à optimiser ses propriétés grâce à un procédé appelé dopage. Ce dernier consiste à introduire de faibles quantités d’éléments comme l’aluminium ou le gallium afin de modifier la structure cristalline du LLZO et améliorer son comportement électrochimique.
Le dilemme du dopage : stabilité contre réactivité
Le dopage au gallium s’est révélé particulièrement efficace pour augmenter la conductivité ionique du LLZO. Toutefois, cette amélioration s’accompagne d’un inconvénient notable : une réactivité accrue avec le lithium métallique, susceptible de réduire la durée de vie des batteries. Les chercheurs ont observé que le gallium avait tendance à migrer hors de l’électrolyte et à former des alliages avec le lithium, entraînant une perte progressive de ses propriétés structurales et conductrices.
À l’inverse, le dopage à l’aluminium a montré une stabilité remarquable, bien que sa conductivité reste inférieure à celle obtenue avec le gallium. Ces observations ont conduit les chercheurs à envisager des solutions hybrides, telles que l’introduction d’une couche interfaciale destinée à protéger les électrolytes dopés au gallium tout en préservant leur performance.
Peter Zapol, physicien à Argonne et auteur principal de l’étude souligne un aspect souvent négligé dans la conception des matériaux électrolytiques : la nécessité d’équilibrer conductivité et stabilité chimique, “il est important de savoir comment un dopant réagira avec le lithium,”
Méthodes expérimentales et collaborations internationales
Pour mieux comprendre les interactions complexes entre les dopants et le lithium métallique, les chercheurs ont combiné des approches computationnelles et expérimentales. La théorie de la fonctionnelle de la densité, une méthode informatique puissante, a permis de prédire le comportement atomique et électronique des matériaux dopés. Parallèlement, des techniques expérimentales telles que la spectroscopie photoélectronique X et la diffraction neutronique ont été utilisées pour analyser les changements structuraux et chimiques intervenant à l’interface électrolyte-électrode.
Sanja Tepavcevic, chimiste à Argonne et responsable des expérimentations, explique : “Si nous pouvons séparer la réactivité de la conductivité, ou développer un matériau qui combine ces deux qualités, c’est précisément ce que nous cherchons à démontrer avec ce travail.” Leur ambition repose sur une collaboration internationale impliquant plusieurs institutions, notamment l’Université de Californie à Santa Barbara et des centres de recherche en Allemagne et en République tchèque.
Vers une nouvelle génération de batteries
Les résultats obtenus lors de cette étude fournissent des informations précieuses pour guider la conception future des électrolytes solides. En identifiant les mécanismes sous-jacents à la réactivité des dopants, les chercheurs ont posé les bases d’une stratégie visant à maximiser la stabilité tout en maintenant une conductivité ionique élevée. Le rôle des collaborations transnationales a été mis en lumière, soulignant l’importance d’un effort collectif pour relever les défis technologiques complexes.
“Le rôle de la collaboration américano-allemande a été absolument déterminant pour ce travail,” affirme Peter Zapol. Leurs avancées, bien qu’encore en phase exploratoire, témoignent d’un engagement continu à innover dans un domaine stratégique pour l’avenir des technologies énergétiques.
Légende illustration : À l’interface du grenat de lithium-lanthanum-zirconium et du lithium métal, les positions potentielles des dopants sont représentées par des sphères roses. Les ondes colorées révèlent la réduction du gallium et la formation d’alliages après le dépôt de lithium. (Image de Matt Klenk, Sanja Tepavcevic et Peter Zapol/Argonne National Laboratory. Reproduit avec l’autorisation de ACS Materials Lett. 2024, 6, 12, 5216-5221. Crédit : American Chemical Society.)
Article : « Comparative Analysis of Reactivity of Al and Ga Doped Garnet Solid State Electrolyte at the Interface with Li Metal » – DOI: 10.1021/acsmaterialslett.4c01237