La lumière peut-elle elle-même projeter une ombre ? Cela peut sembler une énigme philosophique, mais des chercheurs ont découvert que, dans certaines conditions, un faisceau laser peut se comporter comme un objet opaque et projeter une ombre. Cette découverte remet en question la compréhension traditionnelle des ombres et ouvre de nouvelles possibilités pour les technologies qui pourraient utiliser un faisceau laser pour contrôler un autre faisceau laser.
« On pensait jusqu’à présent qu’il était impossible de projeter une ombre à partir d’un faisceau laser, car la lumière traverse généralement d’autres lumières sans interagir », a indiqué Raphael A. Abrahao, chef de l’équipe de recherche du Brookhaven National Laboratory, qui travaillait auparavant à l’Université d’Ottawa. « Notre démonstration d’un effet optique très contre-intuitif nous invite à reconsidérer notre notion d’ombre ».
Dans Optica, la revue du Optica Publishing Group consacrée à la recherche à fort impact, les chercheurs décrivent comment ils ont utilisé un cristal de rubis et des longueurs d’onde laser spécifiques pour montrer qu’un faisceau laser pouvait bloquer la lumière et créer une ombre visible en raison d’un processus optique non linéaire. Cet effet se produit lorsque la lumière interagit avec un matériau en fonction de l’intensité et peut influencer un autre champ optique.
« Notre compréhension des ombres s’est développée parallèlement à notre compréhension de la lumière et de l’optique », a ajouté M. Abrahao. « Cette nouvelle découverte pourrait s’avérer utile dans diverses applications telles que la commutation optique, les dispositifs dans lesquels la lumière contrôle la présence d’une autre lumière, ou les technologies qui nécessitent un contrôle précis de la transmission de la lumière, comme les lasers à haute puissance. »
Un déjeuner qui fait germer l’idée
La nouvelle recherche s’inscrit dans le cadre d’une exploration plus large de la manière dont un faisceau lumineux interagit avec un autre faisceau lumineux dans des conditions particulières et des processus optiques non linéaires. L’idée a germé au cours d’un déjeuner, lorsqu’il a été souligné que certains schémas expérimentaux réalisés à l’aide de logiciels de visualisation en 3D représentaient l’ombre d’un faisceau laser parce qu’ils le traitaient comme un cylindre sans tenir compte de la physique d’un faisceau laser. Certains scientifiques se sont interrogés : Serait-il possible de faire cela en laboratoire ?
« Ce qui a commencé comme une discussion amusante au cours du déjeuner a débouché sur une conversation sur la physique des lasers et la réponse optique non linéaire des matériaux », a précisé encore M. Abrahao. « À partir de là, nous avons décidé de réaliser une expérience pour démontrer l’ombre d’un faisceau laser. »
Pour ce faire, les chercheurs ont dirigé un laser vert de forte puissance à travers un cube en cristal de rubis standard et l’ont éclairé avec un laser bleu sur le côté. Lorsque le laser vert pénètre dans le rubis, il modifie localement la réponse du matériau à la longueur d’onde bleue. Le laser vert agit comme un objet ordinaire tandis que le laser bleu agit comme une illumination.
L’interaction entre les deux sources lumineuses a créé une ombre sur un écran, visible sous la forme d’une zone sombre où le laser vert bloque la lumière bleue. Elle répondait à tous les critères d’une ombre car elle était visible à l’œil nu, suivait les contours de la surface sur laquelle elle tombait et suivait la position et la forme du faisceau laser, qui agissait comme un objet.
L’effet d’ombre du laser est une conséquence de l’absorption optique non linéaire dans le rubis. L’effet se produit parce que le laser vert augmente l’absorption optique du faisceau laser d’illumination bleu, créant une région correspondante dans la lumière d’illumination avec une intensité optique plus faible. Il en résulte une zone plus sombre qui apparaît comme une ombre du faisceau laser vert.
Mesures de l’ombre
« Cette découverte élargit notre compréhension des interactions entre la lumière et la matière et ouvre de nouvelles possibilités d’utilisation de la lumière d’une manière que nous n’avions pas envisagée auparavant », a conclu M. Abrahao.
Les chercheurs ont mesuré expérimentalement la dépendance du contraste de l’ombre par rapport à la puissance du faisceau laser. Ils ont trouvé un contraste maximal d’environ 22 %, similaire au contraste de l’ombre d’un arbre par temps ensoleillé. Ils ont également développé un modèle théorique et montré qu’il pouvait prédire avec précision le contraste de l’ombre.
Selon les chercheurs, d’un point de vue technologique, l’effet qu’ils ont démontré montre que l’intensité d’un faisceau laser transmis peut être contrôlée par l’application d’un autre laser. Ils prévoient ensuite d’étudier d’autres matériaux et d’autres longueurs d’onde laser susceptibles de produire des effets similaires.
Article : R. A. Abrahao, H. P. N. Morin, J. T. R. Pagé, A. Safari, R. W. Boyd, J. S. Lundeen, “The shadow of a laser beam,” Optica, 11, 1549-1555 (2024). DOI: 10.1364/OPTICA.534596.
Légende illustration : Des chercheurs ont montré qu’un faisceau laser peut parfois se comporter comme un objet solide et projeter une ombre visible à l’œil nu. Sur l’image, l’ombre apparaît sous la forme d’une ligne horizontale traversant le fond bleu. Crédit : Abrahao et al.
Source : Optica – traduction Enerzine.com