Alexandre Massaux, Université de Toulon
Lors des échanges de frappes entre Israël et l’Iran, qui ont débuté dans la semaine du 13 juin 2025, les deux camps ont utilisé des drones : Israël en a introduit en Iran pour frapper des cibles, tandis que l’Iran en a lancé une centaine contre Israël.
Plus tôt, le 1 juin, l’Ukraine a mené l’opération « toile d’araignée » (ou Spiderweb) consistant en des attaques d’une centaine de drones déployés dans des bases aériennes à l’intérieur des terres russes. L’opération a permis à l’Ukraine de détruire plusieurs bombardiers stratégiques, le tout en transportant les drones dans des camions civils.
Ces deux exemples montrent que l’utilisation des drones armés, bien que n’étant pas une nouveauté, gagne en importance. Si les drones étaient utilisés depuis plus d’une décennie pour de la reconnaissance ou de l’élimination ciblée, ils prennent une place de plus en plus conséquente dans les conflits actuels en tant qu’unités de combat.
Je suis un chercheur travaillant dans les conflits armés (en particulier le conflit entre l’Ukraine et la Russie) et dans l’utilisation des nouvelles technologies. L’automatisation et la robotisation dans les conflits armés étant de vastes sujets, je vais me concentrer sur la manière dont les drones armés modifient la manière de combattre.
Combattre depuis de longues distances : le principal avantage du drone ?
Les drones sont traditionnellement des engins qui sont contrôlés à distance par un opérateur. Dans le cas de drones militaires, les distances peuvent être planétaire grâce à un contrôle satellite.
Cette combinaison technologique permet leurs contrôles depuis des centres d’opération éloignés des champs de bataille et des zones de combat. Ce faisant le « pilote » du drone est en sécurité, permettant de minimiser les pertes humaines dans le camp de ceux qui emploient cette technologie. Le risque principal est la perte de liaison avec le drone : dès lors qu’il ne reçoit plus d’instructions, cela peut conduire à sa destruction ou à sa capture si le signal est piraté par l’adversaire.
Deux évolutions viennent modifier cette situation classique : la prolifération de drones miniatures et l’automatisation.
La démocratisation et la commercialisation de drones de petite taille au grand public ont ouvert de nouvelles possibilités dans les conflits armés. En effet, des drones plus petits sont produits et peuvent être utilisés sur le champ de bataille. On peut citer par exemple les Switchblades utilisés en Ukraine. Ce sont des drones suicides coûtant moins de 100 000 dollars, soit moins cher qu’un javelin, un missile antichar.
Mais le conflit a poussé les forces ukrainiennes à innover avec une solution encore moins chère et plus facile à utiliser : les drones commerciaux (ou drones de courses), vendus au grand public. Ils sont modifiés pour transporter des charges explosives. Le coût par drone est en centaines de dollars.
Lorsqu’on manque de matériel, cette solution permet de mener une stratégie de guérilla et de harcèlement de l’adversaire, et ce d’autant plus que ce type de drones peuvent être déployés en grand nombre. Toutefois, ils ne sont utilisables qu’à de courtes distances : l’opérateur reste vulnérable.
L’automatisation des drones : vers une autonomie croissante
L’autre tendance est l’automatisation des drones. Les avancées en matière technologiques leur permettent de devenir plus autonomes.
Pour l’instant, on assiste au développement d’engins semi-autonomes qui voient un certain nombre de leurs fonctions automatisées (qui ne nécessite pas d’intervention humaine). Ils restent toutefois sous contrôle humain.
Une publication de la bibliothèque du parlement canadien d’Ariel Shapiro classe l’autonomie des engins en trois niveaux : le système semi-autonome, pour lequel un opérateur humain autorise le recours à la force ; le système supervisé, qui fonctionne de manière indépendante, mais qui peut être surveillé et arrêté par un opérateur humain à tout moment ; le système complètement autonome, qui une fois lancé ou activé ne communique plus avec l’opérateur humain.
Les systèmes semi-autonomes et les systèmes supervisés représentent la totalité des drones utilisés actuellement. Ce niveau d’autonomie reste toutefois avantageux et permet aux engins de nécessiter moins de supervision humaine.
Essaims de drones
La prise en importance des essaims de drones rend cette autonomisation de plus en plus utile.
Ces essaims consistent en des groupes de drones qui opèrent de manière coordonnée entre eux tout en nécessitant un faible nombre d’opérateurs (qui peuvent contrôler chacun plusieurs drones voire l’ensemble de l’essaim). Ceux-ci peuvent servir à saturer une zone sous leur nombre.
Les avancées de l’intelligence artificielle rendent toutefois réaliste le développement d’engins complètement autonomes qui n’ont plus besoin d’un opérateur humain pour fonctionner. Désignés comme étant des Systèmes d’armes létales autonomes (SALA) (ou Lethal autonomous weapon systems – LAWS), ces engins n’ont pas encore une définition unique. Toutefois le département de la défense américain définit les SALA comme étant un » Système d’arme qui, une fois activé, peut sélectionner et engager des cibles sans autre intervention d’un opérateur. »
Cette automatisation croissante présente comme avantages d’avoir des engins qui peuvent prendre des décisions plus rapidement que l’humain avec une meilleure capacité d’adaptation. Se pose toutefois la question du contrôle des systèmes autonomes par les humains : ils doivent rester d’une manière ou d’une autre sous le contrôle de ces derniers afin d’éviter qu’il aient un comportement qui seraient contraire aux objectifs voulus.
Quel équilibre des forces mondiales en la matière ?
Si du fait de la nature sensible des armements, il est difficile de connaitre les capacités de chaque pays, des tendances ressortent.
Selon le Center for a New American Security (CNAS), le marché des drones armés est initialement dirigé par les États-Unis et Israël. La dernière décennie marque l’arrivée de nouveaux pays comme la Chine, la Turquie et l’Iran. Ces données se concentrent sur la vente et l’exportation de drones.
Toutefois, en matière de capacité d’innovation et de production de masse de drones, seuls les États-Unis et la Chine semblent avoir les ressources et le tissu économique nécessaires. Et ce d’autant plus avec la combinaison avec l’intelligence artificielle. Selon un rapport du Parlement européen de 2023, 73 % des Grands Modèles de Langage (ou LLM, Large Language Model qui sont des modèles d’IA) étaient produits aux États-Unis et 15 %, en Chine.
Alexandre Massaux, Ph.D. in international relations, Université de Toulon
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.