BIP : entretien avec Sergueï Komlev, directeur de Gazprom

En marge du 16ème Sommet international du gaz et de l’électricité, qui s’est déroulé la semaine dernière à Paris, Sergueï Komlev, directeur du département structuration des contrats et formations des prix du groupe russe Gazprom, a bien voulu accorder un entretien au BIP.  Bulle gazière, prix spot, volumes de vente, gaz de schiste, le responsable du premier gazier mondial fait le point.

BIP. Partagez-vous l’idée que la bulle gazière pourrait être résorbée dès 2012 ?

Sergueï Komlev. La théorie de l’existence d’une bulle gazière a été très populaire chez les acheteurs de gaz en 2009 et 2010. Elle avait pour but d’organiser la pression sur les exportateurs de gaz : les clients espéraient ainsi qu’ils pourraient faire introduire la prise en compte des prix spot dans leurs contrats de long terme.

Mais à partir du troisième trimestre 2010, les prix spot ont commencé à augmenter et leurs niveaux sont aujourd’hui proches de ceux des contrats de long terme. A l’heure actuelle, Gazprom pourrait fournir 40 à 50 milliards de mètres cubes par an de plus à ses clients dans le cadre de ses contrats. Cela dit, le fait que les acheteurs ne prennent pas tout le gaz que le leur permettraient leurs contrats take or pay ne signifie pas pour autant qu’il y ait une bulle gazière. Simplement, les clients ont la liberté d’optimiser leurs achats en bénéficiant des prix spot. Le marché européen est très concurrentiel. Nos clients peuvent choisir entre différents approvisionnements.

BIP. Comment imaginez-vous évoluer les prix spot ?

Sergueï Komlev.
Prix spot et prix des contrats de long terme ont tendance à converger. Début 2011, pendant quelques jours, les prix spot ont même été supérieurs aux prix des contrats à long terme du fait des goulots d’étranglement dans le transport et le stockage ! Cela dit, ces goulots d’étranglement devraient être de moins en moins nombreux au fil de l’intégration des marchés européens. Les prix spot devraient donc d’autant moins fréquemment dépasser les prix des contrats à long terme. Il se pourrait qu’à l’avenir, ils restent légèrement inférieurs à ceux des contrats de long terme. Mais les acheteurs ont néanmoins intérêt à se fournir auprès de nous du fait de la qualité du gaz russe mais aussi de la flexibilité qu’offrent nos contrats. Les contrats de long terme ne portent pas seulement sur la vente de gaz mais aussi de services, et ces services ont une valeur.

BIP. Selon la Société Générale, la consommation gazière de l’UE-27 devrait diminuer de 7,5 % cette année. Dans ce contexte, quels devraient être les volumes de vente de Gazprom Export en 2011 ?

Sergueï Komlev. Ils devraient être de l’ordre de 155 G.m3. Au cours des trois premiers trimestres de l’année, les ventes de Gazprom Export ont augmenté de 12,5% par rapport à la même période de l’an dernier. A l’inverse, les ventes à l’Europe de l’Algérie ont diminué sur la période de 4,2 % (soit un une baisse de 1,3 G.m3) et celles de la Norvège de 3,9 % (soit un recul de 3,2 G.m3). Cela montre que notre gaz a été plus concurrentiel. D’autres pays ont vu leurs ventes vers l’Europe croître : le Qatar (+ 35,7 %, soit une hausse en volume de 8,2 G.m3) et le Nigeria (+ 37,1 %, soit une augmentation de 3,6 G.m3).

BIP. L’accident nucléaire de Fukushima a-t-il eu un impact sur vos ventes ?

Sergueï Komlev. Nous avons vendu cinq cargaisons supplémentaires de GNL (gaz naturel liquéfié) au Japon. Par ailleurs, suite à cet accident, du gaz qatari a été envoyé vers l’Asie plutôt que vers l’Europe.

BIP. Vous avez indiqué, lors du 16ème Sommet international du gaz et de l’électricité, que le coût de production du gaz de schiste aux Etats-Unis était de 6 $/MBtu, soit environ 2 $/MBtu de plus que les prix du gaz outre-Atlantique, et que la situation n’était donc pas durablement soutenable pour les producteurs. Dans ces conditions, comment imaginez-vous évoluer les prix du gaz aux Etats-Unis ?

Sergueï Komlev. Effectivement, la situation des producteurs de gaz de schiste américain n’est pas durablement soutenable. Elle ne l’est pour le moment que parce qu’ils ont couvert leurs positions à une époque où les prix du gaz étaient plus élevés et qu’ils bénéficient de l’argent issu de la création de joint-ventures dans le secteur. De nombreuses transactions ont eu lieu car il n’est pas si facile de trouver de nouvelles réserves de gaz conventionnel. Dans ce contexte, nous pensons que les prix du gaz retrouveront un niveau de 6 à 7 $/MBtu aux Etats-Unis en 2012 ou 2013. Quoi qu’il en soit, l’exploitation de gaz de schiste nous semble être positive pour l’industrie car elle accroît les volumes de gaz disponible. Nous ne voyons pas ce gaz comme une concurrence pour le gaz conventionnel car sa production a un coût élevé, si bien que l’utilisation de cette énergie est destinée à rester locale. Nous ne pensons donc pas que les Etats-Unis vendront beaucoup de GNL issu du gaz de schiste. En ajoutant les coûts de transport à ceux de l’exploitation, il ne serait pas rentable pour les Etats-Unis de vendre ce GNL en Europe.

BIP. Le gaz de schiste présente-t-il selon vous des risques particuliers sur le plan environnemental ?

Sergueï Komlev. Non, son exploitation n’entraîne aucun dommage majeur sur le plan environnemental si elle est faite correctement. Cela dit, si la productivité des puits d’extraction est la même en Pologne que sur le gisement américain de Marcellus (ce qui, à ce jour, n’est pas certain), le pays devra mobiliser, pour produire les 11 milliards de mètres cubes correspondant à sa consommation, chaque année une surface de forage de 30 km² et 80 milliards de litres d’eau, qu’il faudra ensuite traiter. Le coût de production de ce gaz devrait être de l’ordre de 12 $/MBtu, soit le prix auquel nous vendons notre gaz à la Pologne.

BIP. Gazprom est-il intéressé par des développements dans le gaz de schiste ?

Sergueï Komlev. Nous n’avons aucun projet dans ce domaine. Nous prévoyons en revanche de produire du gaz de houille en Russie d’ici quelques années.

BIP. Souhaitez-vous ajouter quelque chose pour conclure ?

Sergueï Komlev. Le marché gazier européen est un marché mature, sur lequel les acheteurs peuvent effectuer des arbitrages. Si nos clients veulent garantir la sécurité de leurs approvisionnements, nous sommes de notre côté intéressés par la sécurité de la demande. L’Union européenne ne doit pas prendre ses décisions unilatéralement sans consulter ses fournisseurs. Cela ne mène nulle part.

         

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