Comment profiler le magnétisme d’un atome isolé

Une étude collaborative dirigée à l’EPFL a défini pour la première fois la limite supérieure théorique d’énergie requise pour magnétiser un atome. Cette découverte cruciale va influencer considérablement l’avenir de la recherche et de la technologie magnétiques.

Les disques durs, les mémoires magnétiques à accès aléatoire (MRAM), les aimants moléculaires et les ordinateurs quantiques résultent tous de la manipulation de propriétés magnétiques. Dans un atome, ces dernières dépendent du spin et du moment orbital de ses électrons. Le fait que les propriétés magnétiques d’un atome découlent de la direction des orbites de ses électrons par rapport à la structure d’un matériau se nomme "anisotropie magnétique".

Celle-ci conditionne en sus la directivité et la stabilité de la magnétisation. Or, des chercheurs dirigés par l’EPFL ont combiné différentes méthodes expérimentales et techniques de calcul pour mesurer pour la première fois l’énergie nécessaire à la modification de l’anisotropie magnétique d’un seul atome de cobalt. Leurs découvertes, publiées dans Science, vont influencer fortement les études fondamentales du magnétisme d’un atome ou d’une molécule isolé-e, ainsi que la structure des futurs systèmes spintroniques.

Le magnétisme est abondamment utilisé en technologie, que ce soit pour réaliser les disques durs ou les appareils à résonance magnétique, et même dans la conception d’ordinateurs quantiques. En théorie, chaque atome ou molécule a le potentiel d’être magnétique. Cette capacité dépend du mouvement des électrons, qui apparaît sous deux formes distinctes: le spin, qui revient, pour simplifier, à un mouvement de toupie, et l’orbite – le déplacement des électrons autour du noyau de l’atome. Ces deux mouvements engendrent la magnétisation, comme un courant électrique qui se déplacerait dans un serpentin et produirait un champ magnétique. La direction de spin des électrons définit celle de la magnétisation d’un matériau.

Les propriétés magnétiques d’une substance ont une certaine inclination vers une direction spécifique. Ce phénomène s’appelle "anisotropie magnétique". Il est vu comme une "dépendance directionnelle" du magnétisme d’un matériau. Changer cette préférence demande une grande quantité d’énergie – une vraie contrainte lorsqu’il s’agit de miniaturiser des systèmes magnétiques tels les MRAM, les disques durs ou les ordinateurs quantiques, qui utilisent différents états de spin comme unités d’informations distinctes, ou " qubits ".

L’équipe d’Harald Brune de l’EPFL a collaboré avec des scientifiques de l’ETH Zurich, de l’Institut Paul Scherrer et du Centre de recherche IBM d’Almaden pour développer une méthode permettant de déterminer l’anisotropie magnétique maximale pour un seul atome de cobalt. Ce "métal de transition" est largement utilisé dans la fabrication d’aimants permanents et de matériaux d’enregistrement pour les systèmes de stockage de données.

Les chercheurs ont utilisé une technique appelée "spectroscopie à effet tunnel par électron inélastique" afin de tester les états de spin quantiques d’un atome de cobalt attaché à une couche de MgO. Cette technique a recours à une pointe de balayage de la taille d’un atome, qui permet le passage (effet tunnel) d’électrons à l’atome de cobalt. Lorsque les électrons se meuvent, ils transfèrent de l’énergie à l’atome de cobalt et modifient ses propriétés de spin.

Les expériences ont démontré quelle était l’énergie anisotropique maximale d’un seul atome (~60 milliélectron-volts) et la durée de vie de spin la plus longue pour l’atome d’un métal de transition. Cette forte anisotropie entraîne un moment magnétique remarquable, mesuré par synchrotron à la Source de Lumière Suisse de l’X-Treme beamline. Ces résultats cruciaux vont aider à mieux comprendre l’anisotropie et ont déjà permis de modéliser un système à un seul atome qui pourra être utilisé comme un futur "qubit".

"L’informatique quantique a recours à des états de la matière dont font partie les propriétés magnétiques," explique Harald Brune. " Celles-ci ont une durée de vie fixe, et vous pouvez utiliser les atomes individuels et absorbés de la surface pour faire des qubits. Notre système modélise cet état. Il permet d’optimiser les propriétés quantiques, et il est plus simple que ses prédécesseurs, car nous savons où l’atome de cobalt est relié à la couche de MgO. "

Ces découvertes sont nées d’une collaboration entre le Laboratoire de nanostructures superficielles de l’EPFL (LNS), le Centre de recherche IBM d’Almaden, le Département des matériaux de l’ETH Zurich, la Source de Lumière Suisse de l’Institut Paul Scherrer et le Département de physique de l’Université de Georgetown.

Source

Rau IG, Baumann S, Rusponi S, Donati F, Stepanow S, Gragnaniello L, Dreiser J, Piamonteze C, Nolting F, Gangopadhyay S, Albertini OR, Macfarlane RM, Lutz CP, Jones B, Gambardella P, Heinrich AJ, Harald Brune. Reaching the magnetic anisotropy limit of a 3d metal atom. Science 08 March 2014 DOI:10.1126/science.1252841

         

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