Dans les abysses de l’océan Pacifique, à près de 1 000 mètres de profondeur, une équipe de scientifiques vient de révéler un phénomène inédit : des araignées de mer, ou Pycnogonida, exploitent des bactéries oxydant le méthane pour leur nutrition, établissant un lien symbiotique inattendu entre la faune marine et les sources d’hydrocarbures. Cette découverte, publiée dans Comptes rendus de l’Académie nationale des sciences (PNAS), est le fruit du travail mené par Bianca Dal Bó, biologiste diplômée du Occidental College, en collaboration avec sa directrice de recherche, Shana Goffredi, professeure à l’université de Californie du Sud.
La jeune chercheuse, aujourd’hui en préparation d’un doctorat en écologie après une année de recherche sur le cancer à l’université de Californie du Sud (USC), a centré son étude sur les écosystèmes singuliers des sources de méthane le long des côtes californiennes. Leur équipe a identifié trois nouvelles espèces d’araignées de mer, dont les exosquelettes abritent des communautés bactériennes méthanotrophes. Ces microbes, cultivés puis ingérés par les arthropodes, constituent une source alimentaire inédite dans ces environnements extrêmes. Plus étonnant encore : les œufs transportés par les mâles renferment ces mêmes bactéries, suggérant une transmission intergénérationnelle contrôlée.
« Il est rare qu’un étudiant soit premier auteur d’un article scientifique majeur », souligne Shana Goffredi. « Ce projet exigeait une rigueur exceptionnelle, une curiosité sans faille et la capacité de questionner ses propres hypothèses. Bianca possède ces qualités en abondance. »: notre travail pourra inspirer d’autres recherches et susciter des débats. »

Un voyage vers les profondeurs
L’itinéraire de Bianca Dal Bó illustre la synergie entre formation exigeante et opportunités offertes par les petites institutions. Arrivée à Occidental College sans vocation scientifique affirmée, elle découvre sa passion lors d’un cours de zoologie dispensé par Shana Goffredi. Rapidement intégrée dans le laboratoire Symbioxy, elle étudie les alliances symbiotiques entre animaux et microbes. Ses recherches en Costa Rica, puis son titre de Science Scholar de l’université, lui permettent de présenter ses travaux lors de congrès internationaux.
En été 2023, une opportunité décisive se présente : participer à une expédition de deux semaines à bord du navire océanographique R/V Atlantis. Equipée du sous-marin Alvin, l’équipe collecte des spécimens vivants des sources de méthane de Del Mar, situées au large de la Californie du Sud. « Voir ces créatures dans leur habitat naturel, après des années d’analyse en laboratoire, a renforcé mon attachement à cette recherche », confie-t-elle.
Le parcours de Bianca met en lumière le rôle des collèges libéraux dans la formation scientifique. Shana Goffredi insiste sur leur capacité à offrir un encadrement personnalisé, souvent absent des grandes universités. « Chez Oxy, les étudiants travaillent côte à côte avec des enseignants-chercheurs actifs dans leur domaine. Cette proximité favorise des découvertes de haut niveau. » Pour Bianca, cette dynamique fut déterminante : « Les relations construites au sein du département de biologie, et surtout le soutien inébranlable du Dr. Goffredi, ont façonné ma trajectoire. »
Implications écologiques et perspectives
Au-delà de la carrière de Bianca, cette étude ouvre des pistes pour comprendre les mécanismes d’adaptation dans les écosystèmes abyssaux. Les sources de méthane, zones riches en composés chimiques, hébergent des formes de vie encore mal connues. « Ces interactions symbiotiques montrent comment la vie s’adapte à des conditions extrêmes, et comment les flux d’énergie peuvent relier des écosystèmes apparemment isolés », explique Goffredi. La découverte de nouvelles espèces souligne également l’ampleur des connaissances à acquérir sur la biodiversité marine, particulièrement menacée par les activités humaines.
Cette recherche rappelle l’interdépendance des systèmes naturels. Comme le note Bianca, « chaque découverte, même localisée, contribue à une vision globale de la résilience de la vie. »
À l’heure où les défis environnementaux s’accumulent, les abysses révèlent des indices précieux, portés par des araignées microbivores et leurs alliés invisibles.
En associant mentorat, innovation méthodologique et rigueur scientifique, cette collaboration entre Occidental College et ses partenaires démontre que les grandes découvertes naissent parfois dans des lieux modestes. Comme le sous-marin Alvin remontant ses trésors des profondeurs, la science progresse grâce à des chercheurs capables de voir grand, même en partant de petites structures.
Article : « Methane-powered sea spiders: Diverse, epibiotic methanotrophs serve as a source of nutrition for deep-sea methane seep Sericosura » – DOI: 10.1073/pnas.2501422122
Article adapté du contenu de Laura Paisley – OXY