Ulrik Egede, Monash University
Le rêve de transformer le plomb en or devient réalité – mais, pour les physiciens du LHC qui ont récemment observé ce phénomène, c’est plutôt un problème.
Les alchimistes médiévaux rêvaient de transformer le plomb en or. Aujourd’hui, nous savons que le plomb et l’or sont des éléments chimiques différents et que la chimie ne peut pas, et ne pourra jamais, transformer l’un en l’autre.
Mais nous connaissons désormais la différence fondamentale entre un atome de plomb et un atome d’or : l’atome de plomb contient exactement trois protons de plus. Alors, peut-on donc créer un atome d’or en retirant simplement trois protons à un atome de plomb ?
Il s’avère que oui. Mais ce n’est pas facile.
Alors qu’ils écrasaient des atomes de plomb les uns contre les autres à des vitesses extrêmement élevées, afin de reproduire l’état de l’Univers juste après le Big Bang, les physiciens de l’expérience Alice (pour A Large Ion Collider Experiment) au LHC (le Grand Collisionneur de hadrons du Cern) ont accidentellement produit de petites quantités d’or. Des quantités extrêmement faibles, en fait : un total de quelque 29 billionièmes de gramme.
Comment voler un proton
Les protons se trouvent dans le noyau des atomes. Comment les en arracher ?
Les protons ont une charge électrique, ce qui signifie qu’un champ électrique peut les tirer ou les pousser – placer un noyau atomique dans un champ électrique pourrait finir par arracher un proton au noyau.
Cependant, les noyaux sont maintenus ensemble par une force très forte, et de très courte portée, appelée par des physiciens pleins d’imagination « force nucléaire forte ». Cela signifie qu’un champ électrique extrêmement puissant est nécessaire pour arracher les protons : il faut un champ environ un million de fois plus puissant que les champs électriques qui créent les éclairs dans l’atmosphère.
Récemment, les scientifiques de l’expérience Alice ont réussi à créer un tel champ électrique en lançant des faisceaux de noyaux de plomb les uns contre les autres à des vitesses incroyablement élevées, presque la vitesse de la lumière.
La magie d’une collision évitée de justesse
Lorsque les noyaux de plomb entrent en collision frontale, la force nucléaire forte entre en jeu et ils sont complètement détruits. Mais le plus souvent, les noyaux s’approchent de très près, sans entrer en collision, et ne s’influencent que par le biais de la force électromagnétique.
L’intensité d’un champ électrique diminue très rapidement à mesure que l’on s’éloigne d’un objet doté d’une charge électrique (tel qu’un proton). Mais à très courte distance, même une charge minuscule peut créer un champ très puissant.
Ainsi, lorsqu’un noyau de plomb en frôle un autre, le champ électrique entre eux est énorme. Le champ qui varie rapidement entre les noyaux les fait vibrer et, de temps en temps, cracher quelques protons. Si un noyau de plomb crache exactement trois protons, il devient un noyau d’or.
Compter les protons
Mais comment savoir si un atome de plomb s’est transformé en or ? Dans l’expérience Alice, les physiciens ne peuvent pas observer les noyaux d’or eux-mêmes et n’en ont donc qu’une connaissance indirecte.
Ils utilisent des détecteurs spéciaux du LHC, appelés « calorimètres à zéro degré » (un calorimètre mesure les échanges de chaleur), qui permettent de compter les protons arrachés aux noyaux de plomb.
C’est ainsi que les scientifiques d’Alice ont calculé que, lorsqu’ils font entrer en collision des faisceaux de noyaux de plomb, ils produisent environ 89 000 noyaux d’or par seconde. Ils ont également observé la production d’autres éléments : le thallium, obtenu en prélevant un proton sur le plomb, ainsi que le mercure, obtenu en arrachant deux protons.
Des désagréments de l’alchimie
Une fois qu’un noyau de plomb s’est transformé en perdant des protons, il n’est plus sur l’orbite parfaite qui le maintenait à l’intérieur du tuyau sous vide du Grand Collisionneur de hadrons. En quelques microsecondes, il entre en collision avec les parois.
Cet effet rend le faisceau d’atomes de plomb moins intense au fil du temps. Pour cette raison, la production d’or sur l’expérience Alice du LHC est plus un problème qu’une bénédiction.
Cependant, il est essentiel de comprendre cette alchimie accidentelle pour comprendre les phénomènes qui ont lieu lors des expériences – et pour concevoir les futures expériences, encore plus grandes.
Ulrik Egede, Professor of Physics, Monash University
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.