Imaginez que vous puissiez dessiner sur quelque chose d’aussi délicat qu’une cellule vivante, sans l’endommager. Des chercheurs de l’université du Missouri ont fait cette découverte révolutionnaire en utilisant une combinaison inattendue d’outils : de l’éthanol congelé, des faisceaux d’électrons et des microbes teintés de violet.
Grâce à une méthode appelée lithographie sur glace, l’équipe a pu graver des motifs incroyablement petits et détaillés directement sur des surfaces biologiques fragiles.
Si la lithographie traditionnelle est couramment utilisée pour fabriquer de minuscules circuits et d’autres pièces électroniques pour les téléphones et les ordinateurs, elle repose sur un processus liquide qui peut facilement endommager les matériaux délicats, notamment les nanotubes de carbone et les membranes biologiques.
C’est là que l’approche de Mizzou, basée sur la glace, se distingue. En utilisant une couche d’éthanol congelé au lieu d’un liquide, ils ont créé un moyen plus doux et plus précis de travailler avec des matériaux autrefois considérés comme trop fragiles pour être manipulés.
« Au lieu d’utiliser un processus de lithographie traditionnel, qui peut être trop dur pour les matériaux biologiques délicats, notre technique applique une fine couche de glace pour protéger la surface du matériau pendant la création du motif », commente Gavin King, professeur de physique et coauteur de l’étude. « Cette couche de glace aide à maintenir la stabilité pendant le processus et nous permet de travailler avec des matériaux biologiques délicats qui seraient normalement très endommagés. »
Mizzou est l’un des trois seuls laboratoires au monde – et le seul en Amérique du Nord – à utiliser cette méthode de lithographie sur glace. Ce qui distingue ces travaux, c’est l’utilisation de glace à l’éthanol, qui protège les matériaux biologiques délicats là où la glace à l’eau ordinaire les endommagerait.
Pour tester leur nouvelle méthode basée sur la glace à l’éthanol, les chercheurs ont utilisé Halobacterium salinarum, un minuscule micro-organisme qui produit une protéine violette capable de capter la lumière du soleil et de la transformer en énergie, un peu comme la version naturelle d’un panneau solaire. Bien connue en biologie depuis les années 1970, la capacité de ce microbe à convertir efficacement la lumière en énergie en fait un candidat prometteur pour le développement de nouveaux types de sources d’énergie.
Bien que la découverte de Mizzou soit une preuve de concept, l’équipe est enthousiaste quant à son potentiel futur, y compris la possibilité d’utiliser ces délicates membranes violettes pour créer des panneaux solaires.
Comment cela fonctionne-t-il ?
Voici comment fonctionne la méthode de lithographie sur glace.
Tout d’abord, les chercheurs placent la membrane biologique sur une surface froide à l’intérieur d’un microscope électronique à balayage. La température est abaissée à des niveaux extrêmement froids, inférieurs à -150°C. Ensuite, lorsqu’ils ajoutent de la vapeur d’éthanol, celle-ci gèle instantanément en glace d’éthanol et forme une couche mince et lisse sur la membrane.
Ensuite, un faisceau d’électrons focalisé dessine de minuscules motifs dans la couche gelée. Une fois le dessin terminé, la surface est doucement chauffée. Les parties de la glace qui n’ont pas été touchées par le faisceau sont sublimées, tandis que le motif – devenu un matériau solide – est laissé sur place.
« Les motifs que nous réalisons ont une largeur inférieure à 100 nanomètres et sont plus de 1 000 fois plus fins qu’une mèche de cheveux humains », explique Dylan Chiaro, étudiant diplômé et auteur principal de l’étude. « Il s’agit d’une étape importante pour travailler avec certains des composants les plus délicats de la biologie ».
Un effort de collaboration
Cette découverte des chercheurs du College of Arts and Science de Mizzou réunit les domaines de la biologie, de la chimie, de la physique et de la science spatiale, et pourrait transformer la manière dont les scientifiques travaillent avec les plus petits éléments constitutifs de la vie : les molécules, les protéines et les atomes.
Suchi Guha, professeur de physique et coauteur de l’étude, a contribué à l’identification de la structure du matériau obtenu. À l’aide d’un outil très sensible qui examine la façon dont la lumière interagit avec les molécules, appelé diffusion Raman améliorée par la surface, son laboratoire a découvert que le matériau solide se comportait de la même façon que la fibre de carbone.
À l’issue du processus, la membrane violette n’a pratiquement pas changé, perdant seulement moins d’un nanomètre d’épaisseur. Cela prouve que les chercheurs peuvent utiliser ce processus pour créer des motifs directement sur des matériaux biologiques fragiles sans les endommager, un défi qui laisse les scientifiques perplexes.
Bernadette Broderick, professeur adjoint de chimie et co-auteur de l’étude, a contribué à la découverte de la présence de cétène, un produit chimique à courte durée de vie qui se forme au cours du processus de faisceau d’électrons. M. King pense que cette découverte du laboratoire de Mme Broderick, spécialisé dans l’astrochimie, peut aider à expliquer comment la glace d’éthanol se transforme en un matériau solide et stable – une étape essentielle pour comprendre la chimie et la physique qui sous-tendent la méthode.
« Chaque laboratoire a apporté une pièce différente du puzzle », a conclu M. King. « C’est ce type de travail d’équipe interdisciplinaire qui a rendu cette découverte possible. »
« Precise fabrication of graphite-like material directly on a biological membrane enabled by ethanol ice resist » a été publié dans Nano Letters. Les coauteurs sont Travis Hager, Kyle Renshaw, Bailey Moore et Arash Ghobadi à Mizzou, ainsi que Rubaiyet Haque et Anpan Han à l’université technique du Danemark.
Source : U. Missouri