L’hydrogène sera-t-il notre salut dans la course Ă la neutralitĂ© carbone ? C’est ce qu’on pourrait croire compte tenu de l’enthousiasme collectif. Et cet Ă©lan Ă la fois issu de la volontĂ© politique – dĂ©fini par une roadmap – et admis par les industriels est, Ă dire vrai, une bonne nouvelle. Car ce n’est qu’Ă la double condition d’une rencontre entre ces deux mondes que le dĂ©ploiement de l’hydrogène peut ĂŞtre espĂ©rĂ©. Toutefois, il doit ĂŞtre reconnu comme une Ă©volution du temps long, non comme un virage abrupt Ă opĂ©rer, et surtout entrepris sans prĂ©cipitation, mĂŞme si le contexte est alarmiste.
Plus que l’objectif de moyens, c’est l’objectif de rĂ©sultats qui doit ĂŞtre visĂ©. Et le cap que nous nous sommes collectivement fixĂ© est clair Ă horizon 2035. Implique-t-il nĂ©cessairement des ruptures comme elles sont souvent souhaitĂ©es avec les moteurs Ă combustion internes ? Peut-ĂŞtre pas. Il faut plutĂ´t raisonner en termes d’Ă©volutions technologiques au profit du volet RSE et ĂŞtre vigilant surtout Ă l’Ă©chelle gĂ©ologique que nous dĂ©fions chaque fois un peu plus, Ă cause de la vitesse et de l’impact de nos innovations. C’est le fameux effet papillon. Il faut ĂŞtre fin dans nos approches. Plus que la stratĂ©gie massive des Ă -coups, pourquoi ne pas faire l’Ă©loge du bon sens dans la transition Ă©nergĂ©tique ?
L’hydrogène est un vecteur de survie dans une Ă©conomie qui a Ă©tĂ© façonnĂ©e par les Ă©nergies fossiles, dont on sait qu’elles se tariront un jour. L’hydrogène est aussi un vecteur d’espoir dans un cadre rĂ©glementaire qui nous oblige aujourd’hui Ă repenser la mobilitĂ©. L’hydrogène dans les deux cas est une opportunitĂ© mais ce n’est qu’un levier parmi d’autres Ă considĂ©rer dans l’Ă©ventail Ă©nergĂ©tique pour atteindre nos objectifs de dĂ©carbonation et de souverainetĂ©. Elle n’est pas une solution miracle mais une solution Ă plĂ©bisciter dans des cas singuliers qui l’imposent.
Surtout, il est impĂ©ratif que chacune des technologies choisies pour accompagner la transition Ă©nergĂ©tique soit Ă©prouvĂ©e et challengĂ©e c’est-Ă -dire poussĂ©e jusqu’au bout de sa possibilitĂ© afin d’en Ă©prouver la limite, de manière Ă savoir oĂą l’optimisation se situe. Ce procĂ©dĂ© pourra alors ĂŞtre le point de dĂ©part d’une mobilitĂ© dĂ©carbonĂ©e. Et ce, qu’il s’agisse de batteries ou de piles Ă combustible, de mobilitĂ© douce ou lourde, ou encore pour des applications off highway (maritimes, ferroviaires…).
Aujourd’hui la technologie est presque sans limite et dĂ©montrer qu’elle est exploitable dans un environnement ou une application extrĂŞme n’est plus aussi complexe. Ce sont des critères de faisabilitĂ©, reproductibilitĂ© et durabilitĂ© qui doivent ĂŞtre interrogĂ©s en plus de la question des coĂ»ts et de l’accessibilitĂ©. Pousser le moteur d’une 2 CV Ă la puissance d’une Ferrari est bien Ă©videmment possible mais cela a-t-il du sens ?
Prenons l’exemple de la pile Ă combustible : le mode d’utilisation le plus adĂ©quat est le prolongateur d’autonomie parce que c’est un point de fonctionnement stabilisĂ© optimum pour la pile qui permet de garantir Ă la fois un bon rendement et une durĂ©e de vie satisfaisante. C’est ce qui justifie que les bus, camions et trains soient de bons candidats Ă l’hydrogène. A contrario, la voiture individuelle, comme elle subit des changements de rĂ©gime de couple frĂ©quents, met la technologie sous contrainte. Il n’est pas impossible de l’appliquer au vĂ©hicule individuel, cela a Ă©tĂ© fait (Toyota, Hyundai, Honda, Mercedes, etc.) mais Ă quel prix ?
Il est des situations aussi dans lesquelles il sera inconsĂ©quent de forcer l’utilisation de la batterie Ă©lectrique parce que les moyens de recharge ou l’infrastructure ne seront pas adĂ©quats, il faudra donc opter pour la flexibilitĂ© de l’hydrogène. Le contexte et l’environnement d’application doivent ĂŞtre la norme pour dĂ©cider de l’usage de l’hydrogène ou de la batterie Ă©lectrique. Et ne perdons pas de vue que l’un ne vaut pas l’autre, simplement parce qu’ils ne sont pas comparables. L’hydrogène n’est pas un mode ni mĂŞme une source d’Ă©nergie, contrairement Ă la batterie, mais un vecteur d’Ă©nergie. Aujourd’hui, il n’existe pas de mĂ©thodologie de calcul holistique qui permette d’attester d’un bilan global, de la production des matières premières jusqu’Ă la fin de vie du vĂ©hicule, et de quantifier l’impact des Ă©missions de COâ‚‚ en fonction du mode d’Ă©nergie choisi.
La logique du meilleur rendement, selon le principe from well to wheel, induit une baisse des transformations Ă©nergĂ©tiques intermĂ©diaires. Mais elle n’est pas dĂ©fendable Ă tout crin.
On ne peut pas Ă©quiper tous les vĂ©hicules avec des batteries Ă gogo au risque d’engrĂ©ver l’application elle-mĂŞme. En prenant l’exemple d’un camion, l’objectif est de ne pas modifier l’usage du vĂ©hicule en sacrifiant la charge utile au profit de lourdes batteries prĂ©sentes dans le tracteur.
Hydrogène ou batterie, l’utilisation doit toujours ĂŞtre au cĹ“ur des rĂ©flexions, sans cĂ©der Ă la surenchère technologique ou Ă la mise en compĂ©tition absurde d’Ă©nergies.
Aujourd’hui il faut rĂ©flĂ©chir Ă rendre l’hydrogène le plus accessible possible en unissant nos forces entre industriels pour rĂ©duire les coĂ»ts initiaux, le rendre abordable tant dans sa production que dans son usage. Et donc, il y a des grands groupes qui se sont saisi du sujet en se posant les bonnes questions pour investir durablement : comment transfĂ©rer une technologie Ă©prouvĂ©e dans l’aĂ©rospatiale et l’Ă©tendre Ă un usage quotidien sur la route ? Et finalement l’ensemble des industriels s’est mis autour de la table pour rĂ©soudre l’Ă©quation Ă deux inconnues : comment utiliser l’hydrogène s’il n’est pas produit ? Pourquoi en produire tant qu’on ne l’utilise pas ? Et plus on avance dans le temps, plus on arrive Ă faire converger tous les acteurs vers un point de rencontre.
Le dĂ©ploiement de l’hydrogène doit ĂŞtre guidĂ© par le cap environnemental et renforcĂ© par des actions collectives et inspirĂ©es Ă la fois sur la production et l’usage. Nous, Ă©quipementier automobile, avons Ă cĹ“ur de dĂ©velopper des solutions technologiques standardisĂ©es qui soutiennent cette impulsion RSE. Et c’est en convoquant des principes de bon sens que nous rĂ©flĂ©chissons en particulier Ă l’allègement des produits. Ă€ cela, nous conjuguons le mode suggestif plutĂ´t que directif pour accompagner nos interlocuteurs dans ces changements.
Avons-nous donc le temps ? Ce que nous expĂ©rimentons tient en rĂ©alitĂ© non pas du virage Ă 180° mais de l’Ă©volution technologique cohĂ©rente. Et cette fois-ci, nous nous prĂ©occupons enfin, et il Ă©tait temps !, de la planète. Veillons Ă ne pas amplifier le dĂ©règlement de la machine, par des actions conduites dans l’urgence (pour apaiser la dĂ©sagrĂ©able sensation que nous avons dĂ©jĂ overshootĂ© la trajectoire) sans rĂ©flexion globale qu’il faut prendre le temps de bien poser afin de choisir le cap optimum. Car se prĂ©cipiter sur les leviers tels que la batterie et l’hydrogène sans avoir travaillĂ© sur les causes racines de la dĂ©pense Ă©nergĂ©tique ne pourrait reprĂ©senter qu’une avancĂ©e rĂ©duite dans l’exploitation responsable de ces technologies. Le seul changement, dès Ă prĂ©sent, doit ĂŞtre celui de l’usage et de la masse Ă mettre en mouvement Ă chaque dĂ©placement.
Yohann Perrot, directeur innovation du groupe Bontaz
[ Communiqué ]
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