La biodiversité bactérienne pour une pile à combustible « verte » ?

En immobilisant 2 enzymes stables à haute température (thermostable) sur des réseaux de nanofibres de carbone, des chercheurs ont obtenu des performances qui permettent d’envisager leur utilisation pour l’alimentation électrique de petits appareils portables comme des capteurs environnementaux.

La biopile H2/O2 développée au sein du Laboratoire de bioénergétique et ingénierie des protéines (CNRS / AMU) est le fruit d’une collaboration avec des équipes de l’Institut des sciences des matériaux de Mulhouse (CNRS / UHA) et du Centre de recherche Paul Pascal(CNRS / Université de Bordeaux).

Les piles à combustible offrent une alternative aux énergies fossiles pour la production d’électricité. La nécessité d’utiliser des métaux rares et trop facilement contaminés pour accélérer les réactions de conversion de l’énergie chimique en énergie électrique reste néanmoins un frein à un développement à large échelle.

Pourquoi ne pas s’inspirer de la nature pour trouver des solutions moins couteuses et plus durables ? Regardons par exemple les processus mis en place par les bactéries pour trouver l’énergie nécessaire à leur croissance : un couplage de part et d’autre d’une membrane cellulaire de la conversion biologique d’un carburant (sucres, alcools, hydrogène…) à la conversion d’un comburant (oxygène) générant un flux de protons. Ce dispositif physiologique fonctionne à l’identique d’une pile à combustible dans laquelle les catalyseurs seraient remplacées par des enzymes. Quels avantages ? Outre leur biodisponibilité et biodégradabilité, les enzymes sont bien plus efficaces et spécifiques pour la transformation de leur substrat que les catalyseurs chimiques comme le platine. Elles autorisent en plus une simplification de la pile en s’affranchissant de la membrane chimique qui sépare les compartiments anodique et cathodique.

La biodiversité bactérienne pour une pile à combustible « verte » ?

Historiquement, les biopiles ont été développées pour l’alimentation électrique de dispositifs médicaux implantés. Elles nécessitent des enzymes spécifiques de la dégradation et transformation de substrats présents dans les fluides physiologiques, glucose et oxygène en particulier. Une nouvelle génération de biopiles a très récemment vu le jour qui utilise des hydrogénases, enzymes clés de conversion de l’hydrogène au sein de nombreux microorganismes et dans des biotopes divers. Ce dispositif est la réplique des piles à combustible chimiques basse température et bénéficie des performances de l’hydrogène comparées au glucose en terme de densité d’énergie. Il a tardé à se développer à cause de l’extrême sensibilité à l’oxygène de la plupart des hydrogénases connues jusque dans le milieu des années 2000.

L’identification de ces enzymes remarquables -leur activité de transformation de l’hydrogène étant comparable à celle du platine- dans des bactéries vivant dans des milieux oxygénés a relancé très activement la recherche. Ainsi depuis 2011, quatre hydrogénases tolérantes à l’oxygène ont été identifiées et isolées de diverses bactéries. Elles présentent toutes la propriété essentielle de résistance au monoxyde de carbone, ce qui les rend très compétitives par rapport au platine. Remplacer une particule de métal comme le platine par une enzyme n’est cependant pas trivial. La taille de l’objet biologique, la structure protéique complexe mais très organisée, les relais électroniques multiples sont autant de facteurs qui vont conditionner l’activité de l’enzyme.

Les chercheurs ont ainsi associé deux enzymes thermostables, une hydrogénase extraite d’une bactérie ancestrale proliférant à haute température pour l’oxydation de H2, et une bilirubine oxidase thermostable pour la réduction de O2. Ils ont ensuite immobilisé ces deux enzymes sur des réseaux de nanofibres de carbone de large surface spécifique pour obtenir une connexion électrique efficace des enzymes sans médiateur redox. Ils obtiennent alors des puissances délivrées supérieures au mW/cm2, soit des performances déjà équivalentes aux biopiles glucose/O2 ce qui permet d’envisager leur utilisation pour l’alimentation de petits appareils portables type capteurs environnementaux. De plus, la thermostabilité des enzymes autorise un fonctionnement de la biopile dans des conditions extrêmes pour des enzymes sur une gamme de température allant de 30 à 80 °C.

Un des principaux verrous au développement de ces bioprocédés est la stabilité sur le long terme des enzymes. Il est donc nécessaire de progresser dans la connexion électrique non dénaturante des enzymes sur les électrodes, voire de protéger les enzymes avant immobilisation en conservant une partie de leur environnement physiologique. Ces recherches, soutenues par le programme ANR, se prolongent aujourd’hui via le programme interdisciplinaire Défi Transition Energétique lancé par le CNRS.

Quelle que soit leur issue, les recherches dans ce domaine permettront de progresser dans la compréhension des métabolismes bactériens, en travaillant à la reconstitution fonctionnelle de tout ou partie de complexes enzymatiques, souvent membranaires, dont l’activité reste encore largement méconnue.

Référence : A. de Poulpiquet, A. Ciaccafava, R. Gadiou, S. Gounel, M.T. Giudici-Orticoni, N. Mano, E. Lojou
Design of a H2/O2 biofuel cell based on thermostable enzymes
Electrochemistry Communications 26 février 2014, http://dx.doi.org/10.1016/j.elecom.2014.02.012
Source : CNRS / En direct des laboratoires
Contact chercheur : E. Lojou, Laboratoire bioénergétique et ingénierie des protéines – Marseille

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