Dans une salle souterraine de Hangzhou, la Chine vient de mettre en route la centrifugeuse à plus grande capacité jamais construite. Capable de générer jusqu’à 300 g, l’installation ouvre un champ d’expérimentations inédites, de la simulation d’évolutions géologiques millénaires à la mise au point de nouveaux matériaux. Conçue par l’Université du Zhejiang, cette infrastructure nationale vise à attirer des chercheurs du monde entier et à accélérer des processus naturels en comprimant le temps et l’espace. La science des matériaux cherche actuellement des bancs d’essai plus ambitieux et la Chine s’offre un outil stratégique aux applications multiples.
Un outil de gravité extrême
Premier des trois dispositifs prévus, le rotor principal trône dans une chambre circulaire de 230 m², six mètres sous terre. Son bras de 6,4 m entraîne les échantillons à très haute vitesse, produisant un champ de gravité artificiel modulable entre 10 g et 300 g. Selon les ingénieurs, cette plage couvre la plupart des scénarios recherchés par les géophysiciens, les ingénieurs civils ou les spécialistes des matériaux.
Outre la centrifugeuse monumentale, le centre abrite six modules d’expérimentation et 18 dispositifs embarqués. L’ensemble constitue la pierre angulaire de l’installation d’hypergravité centrifuge et d’expérimentation interdisciplinaire, projet inscrit sur la feuille de route des grandes infrastructures scientifiques chinoises depuis 2019.
Accélérer le temps pour mieux comprendre
Le principe de « compression temps-espace » fascine les équipes. Sous 100 g, un modèle réduit d’un mètre peut représenter une structure réelle de 100 m ; un phénomène de migration de polluants durant normalement un siècle s’observe en quatre jours.
« Nous visons à établir des environnements expérimentaux pour étudier le mouvement des substances multiphases en ajustant l’accélération centrifuge et la charge. Ces environnements couvriront des échelles de temps allant de quelques instants à 10 000 ans, des échelles spatiales allant du niveau atomique à des kilomètres, et des conditions environnementales allant de la température et de la pression normales à élevées. » précise Chen Yunmin, académicien de l’Académie chinoise des sciences et professeur à l’Université du Zhejiang
En pratique, la machine permettra de reproduire, à échelle réduite et dans un laps de temps gérable, la formation d’un glissement de terrain, la propagation d’une onde sismique ou la cristallisation d’un alliage sous stress. Les gains de temps promis devraient accélérer la validation de modèles numériques et réduire le coût des essais en vraie grandeur.
Des défis techniques maîtrisés
Produire un champ hypergravitationnel stable n’allait pas de soi. « Pour garantir que l’installation offre un environnement hypergravité stable et de haute qualité qui réponde aux besoins des différentes disciplines, nous avons adopté une série de mesures, notamment des excavations profondes, des chambres à basse pression et la technologie des parois refroidies par liquide.», commente Ling Daosheng, ingénieur-chef du projet. Les parois refroidies au liquide limitent les vibrations, tandis qu’une enceinte à faible pression atténue la traînée aérodynamique sur les bras en rotation.
Selon les responsables, la campagne de tests d’acceptation a validé la précision des capteurs inertiels, la régularité du couple moteur et la sécurité des freins d’urgence. Des redondances mécaniques et logicielles doivent garantir un fonctionnement sans incident sur des périodes prolongées.
Une plateforme ouverte aux collaborations
L’équipe ambitionne désormais de faire du site un hub scientifique mondial. La liste des champs d’application annoncés est vaste, à savoir : l’exploitation de ressources sous-marines, stockage de déchets, la prévention des catastrophes naturelles ou la encore mise au point de composites haute performance. La Chine n’est pas seule à investir le créneau ; le Japon et l’Europe disposent déjà de centrifugeuses de recherche, mais aucune n’atteint actuellement cette capacité.
En plaçant la barre à 300 g, Pékin espère attirer consortiums industriels et laboratoires étrangers, à l’instar des grands synchrotrons ou des réacteurs de fusion expérimentaux. Les conditions d’accès, encore à définir, devraient s’inspirer des programmes internationaux existants, avec des créneaux alloués sur dossier scientifique.
Alors que la mise en service complète de la plateforme est prévue pour fin 2026, les premiers protocoles d’essai sont déjà dans les cartons. Qu’il s’agisse de modéliser une faille tectonique ou de tester la résistance d’un béton nouvelle génération, les chercheurs disposent, pour la première fois, d’un accélérateur de réalité à grande échelle.
Source : Xinhua