La cogénération nucléaire : “une formidable économie d’énergie”

Une économie d’énergie colossale
Seule une partie de l’énergie thermique produite par la réaction de fission est transformée en électricité, le reste est rejeté sous forme de chaleur dans l’environnement (mer, rivière, tour de réfrigération). La cogénération nucléaire permettrait d’optimiser ces pertes en utilisant cette chaleur résiduelle qui peut être exploitée au sein d’un réseau de chaleur urbain ou pour de la chaleur de process à destination de l’industrie.

On peut prendre l’exemple de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine pour illustrer l’intérêt de la cogénération nucléaire. Le site de Nogent-sur-Seine est implanté à 120 km de Paris, et la chaleur pourrait être transportée jusqu’à Paris, moyennant des pertes faibles (6% de l’énergie totale). Si cette centrale était convertie en centrale à cogénération nucléaire, on pourrait produire jusqu’à 9 TWh thermiques par an [1], soit une fois et demie la chaleur annuellement injectée sur le réseau parisien, en récupérant la chaleur perdue. Cela correspondrait à une économie de 1,4 million de tonnes de CO2 par an, pour la seule centrale de Nogent-sur-Seine. L’adaptation de la centrale diminuerait certes sa production annuelle d’électricité de 2 TWh (une baisse d’environ 10%), mais cette perte serait largement compensée par les gains. L’énergie récupérée correspondrait à une véritable économie d’énergie, dans la mesure où elle se substituerait à la production de chaleur par du gaz par exemple.

Une des façons de valoriser la récupération de cette chaleur est de l’acheminer jusqu’à un réseau urbain. Le chauffage urbain desservait 2,1 million d’équivalents-logements en 2009 en France, avec un objectif de triplement d’ici à 2020. De plus, le chauffage urbain ne constitue pas l’unique utilisation possible pour la cogénération nucléaire puisque l’industrie a également de forts besoins en chaleur de process. En effet, la chaleur constitue 72% de la consommation d’énergie de l’industrie (30 Mtep en 2010 [2]), soit 21,6 Mtep. La cogénération nucléaire permettrait de fournir de la chaleur, ce qui éviterait d’avoir recours au gaz ou au pétrole.

Comment mettre en œuvre la cogénération nucléaire à court terme ?

La cogénération nucléaire est déjà utilisée dans de nombreux pays comme en République Tchèque (centrale de Temelin), en Russie, en Chine. La Finlande l’étudie actuellement (projet de Lovisa III) et elle a failli voir le jour en France avec le projet Thermos à Grenoble. Elle pourrait être relativement facilement implantée en France, car elle ne nécessiterait pas de changements techniques majeurs : modification des turbines haute et basse pression, installation de tuyaux caloporteurs pour conduire la chaleur jusqu’au réseau urbain ou jusqu’à l’industrie concernée. Un rapport de l’AIEA écrivait dès 1997 qu’il n’ « y avait aucun obstacle technique à la cogénération nucléaire ».

Nous pouvons décomposer les investissements à réaliser en trois catégories :

l’investissement sur place au niveau de la centrale (installation de soutirage de la chaleur) : Il faut prévoir une pompe et un local de contrôle à côté de la centrale d’une part et dans la ville à chauffer d’autre part, ce qui n’est ni très complexe techniquement ni très cher (estimation à 10-20 millions d’euros, négligeable vu l’ampleur du projet.)

l’investissement dans la conduite de transport de chaleur du site de production vers les lieux à chauffer : ce coût correspond à la pose des tuyaux, il est plus ou moins proportionnel à la distance entre la centrale et le lieu d’utilisation de la chaleur, avec éventuellement des ouvrages spéciaux si nécessaires pour le franchissement de routes, montagnes ou rivières. Créer un réseau de 150 km entre Nogent et Paris coûterait environ 10 millions d’euros par kilomètre, soit environ 1,5 milliard d’euros.

l’investissement dans le réseau de chaleur: Le rapport de M. Henri Prévot [3] estime le coût de la pose des tuyaux à 1000€/mètre en ville et à 300€/m en zone rurale. Accroître le réseau parisien coûterait donc environ 500 millions d’euros.

Ainsi, pour fournir 8,1 TWh (9 TWh – 10% de pertes de transport, ce qui correspond à une fourchette de pertes haute), le coût serait de 2 milliards d’euros (ces coûts sont cohérents avec ceux observés à Lovisa III, en Finlande). La chaleur est actuellement vendue à 60€/MWh sur le réseau parisien, soit 486 millions pour 8,1 TWh. La perte de 2 TWh électrique (à 50€/MWh) reviendrait à perdre 100 millions par an, soit un gain de 386 millions pour la totalité du projet par an. Le retour sur investissement se ferait donc sur sept ans et demi (taux d’actualisation conservateur à 10%). Les bénéfices se partageraient entre distributeurs de la chaleur (la CPCU notamment) et les consommateurs qui verraient leur facture baisser. Au bout de sept ans, dix tout au plus, les habitants de Paris auraient du chauffage quasi gratuitement.

Conclusion

La récupération des chaleurs dites fatales, au premier rang desquelles celle des réacteurs nucléaires, permettrait de récupérer 30 Mtep/an, soit 25% de la consommation énergétique de la France. La cogénération nucléaire pourrait être mise en œuvre à l’horizon 2020, soit à relativement court terme. Il n’existe ni obstacles financiers ni techniques sérieux, mais il faut que les pouvoirs publics soient capables de mobiliser la population autour de ce projet ambitieux qui nécessiterait des investissements importants et un changement de mode de consommation (installation de réseaux de chaleur urbain notamment).

Sources

– Cogeneration with District Heating and Cooling de H. Safa (CEA), December 2011
– Article « Applications de l’énergie nucléaire : chauffage domestique et production industrielle », bulletin de l’AIEA 2/1997
– La chaudière des réacteurs à eau sous pressions de Pierre Coppolani, Collection Genie Atomique
– Site de l’AEPN de M. Bruno Comby


[1] Etude réalisée par M. Henri Safa, chercheur au CEA dans le cadre d’un congrès de l’AIEA en décembre 2011
[2] Chiffres INSEE, 2010
[3] Rapport sur « les réseaux de chaleur » pour le ministère de l’industrie, mars 2006 de MM. Henri Prévot et Jean Orselli

[ Archive ] – Cet article a été écrit par Alexandra Dutheillet

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