Dans le but d’optimiser la gestion et la commercialisation de l’électricité en Suisse, avec les pays voisins, une plate-forme de recherche partiellement financée par l’Office fédéral de l’énergie Suisse vient de voir le jour à l’EPFL.
Elle est partout, voyage à la vitesse de la lumière, et reste insaisissable. L’électricité dont chacun peut user à sa guise ne vient pourtant pas de nulle part. Derrière la prise, c’est tout un réseau complexe de production, de distribution, d’achat, de vente et de consommation d’énergie qu’il s’agit de gérer.
Le projet de recherche ELECTRA (Electricity markets and trade in Switzerland and its neighbouring countries), lancée à l’EPFL avec le soutien financier du programme «énergie-économie-société» de l’Office fédéral de l’Energie (OFEN), a pour objectif de mettre au point des outils permettant de modéliser à long terme les besoins et les ressources du pays pour en assurer l’approvisionnement aux meilleures conditions.
Les défis, dans ce secteur, sont colossaux. La consommation de la population Suisse croît au rythme moyen de 1,3% par année. Or plusieurs contrats d’approvisionnement signés avec les pays voisins vont arriver à échéance, et le Gouvernement fédéral vient de décider d’abandonner progressivement l’atome, qui produit aujourd’hui 40% de l’électricité consommée en Suisse. En outre, la raréfaction des ressources fossiles (gaz, pétrole, charbon) utilisées dans les pays voisins engendrera une augmentation du prix de l’énergie dans les échanges internationaux.
Flux de production et modèles économiques
A quoi ressembleront les réseaux électriques européens en 2050 ? Pour le savoir, le laboratoire de Recherche en économie et management de l’environnement (REME) de l’EPFL collabore dès à présent avec le Paul Scherrer Institut et la société Econability pour fusionner dans un seul et même outil différents modèles utilisés aujourd’hui. L’un d’eux (CROSSTEM, du PSI) calcule le mélange des technologies permettant de produire l’électricité au moindre coût, à l’échelle locale ou internationale. D’autres (GENESwIS, d’Econability, et GEMINI-E3, du REME) décrivent l’évolution des marchés de l’énergie en Suisse et vis-à-vis de l’étranger. « C’est la première fois qu’un effort est fourni afin que toutes ces données soient intégrées et puissent établir un tableau complet de tout le réseau, y compris les échanges commerciaux avec les pays voisins », explique Philippe Thalmann, directeur du REME.
Pouvoir anticiper les besoins et les capacités de production sera un atout considérable dans les années à venir. La construction du modèle qui permettra de les simuler se heurte toutefois à de nombreuses difficultés, que deux doctorants qui seront engagés pour ELECTRA devront surmonter. Ainsi, il faut pouvoir déterminer à longue échéance, en fonction de divers scénarios, quelle sera la production électrique « de base » fournie par les grandes centrales dont la puissance n’est guère modulable (au fil de l’eau ou à gaz, par exemple). Mais aussi tenir compte du potentiel des barrages alpins, dont certains pourraient être surélevés d’ici quelques dizaines d’années. Les apports extrêmement variables des nouvelles sources d’électricité renouvelables (éoliennes, solaire) devront eux aussi apparaître dans les calculs.
Critères multiples
A ces données «technologiques», il convient d’ajouter toute une série de paramètres macroéconomiques. Le rythme de la croissance en Suisse et en Europe ne seront pas sans conséquence sur la consommation d’énergie ; le prix de l’électricité, que la Suisse importe et exporte sans cesse même si elle est encore autonome en moyenne annuelle, ne cesse d’évoluer, d’une minute à l’autre. En outre, les grandes décisions internationales (protocole de Kyoto, arrêt du nucléaire en Allemagne, projet Desertec, quotas d’émissions de carbone…) impacteront elles aussi fortement les marchés de l’énergie.
Connaître dans le détail et à chaque instant, voire en avance, le prix auquel nos voisins sont prêts à vendre ou à acheter du courant deviendra une information de plus en plus cruciale. D’autant plus qu’avec ses barrages, la Suisse dispose de l’un des moyen les plus efficaces de stocker indirectement de l’énergie lorsqu’elle s’échange à bas coût – la nuit, en particulier – pour pouvoir en produire davantage aux heures de forte demande.
La Suisse pourrait donc avoir un rôle central à jouer dans l’avenir énergétique de l’Europe tout entière. Le projet ELECTRA, qui durera deux ans, lui fournira les informations nécessaires pour qu’elle puisse profiter des meilleures opportunités tout en garantissant l’approvisionnement de ses citoyens.
ELECTRA pourrait n’être qu’un exercice de modélisation destiné à cerner les scénarios énergétiques futurs et à aider les décisions politiques et industrielles de ce secteur. La Suisse a déjà une bonne expérience dans le domaine de l’achat-stockage-vente de l’électricité sur la base des barrages existants et des producteurs – nucléaires! – voisins. Le concept poursuivi par ELECTRA pourrait donc aussi apparaître comme une optimisation de pratiques existantes. Mais étant données les liens qui sont faits avec des projets à long-terme, on peut imaginer des applications bien plus ambitieuses. Car si une partie d’ELECTRA pourrait commencer à se faire les dents sur l’optimisation du système actuel et sa transition dans le contexte de sortie du nucléaire annoncée, il est permis de penser que l’intégration technico-politico-économique vise autre chose. En allant au delà de la modélisation et en permettant de justifier des liens commerciaux sur des bases opérationnelles, ELECTRA pourrait aussi démontrer la capacité d’intégrer des sources intermittentes à grande échelle dans le réseau électrique européen. Ceci pourrait servir de justification à l’expansion de la capacité de stockage hydraulique ou encore donner un coup de pouce à des initiatives telles que DESERTEC tout en se positionnant de façon convaincante dans le système européen… S’il suffisait d’un modèle pour cela, d’autres s’installer aux commandes. Mais la Suisse dispose d’avantages dont la combinaison est rare, ou pas immédiatement disponible ailleurs : une topographie très favorable, des capacités techniques, industrielles et financières démontrées, une solide expérience des marchés de l’électricité… autant d’attributs qui pourraient faire d’ELECTRA un formidable atout industriel, économique et politique si le modèle parvient à prendre racine rapidement dans la réalité physique. Pour la Suisse, c’est une possibilité de remplacer la production nucléaire à moindre frais et en conservant un avantage tactique sans pour autant produire l’énergie localement. Le stockage à l’échelle internationale, c’est rafraichissant comme stratégie non? Mais au fait, puisqu’il s’agit de DESERTEC et de barrages, quel est le potentiel de stockage dans l’Atlas nord africain? Une fois le module « demande » établi par ELECTRA, les autres sites potentiels de stockage pourront comprendre leurs possibilités. Il est temps de s’intéresser à MOUNTAINTEC! Bon, reste à voir ce qu’ELECTRA deviendra réellement !
Vous avez parfaitement raison de relever tout le potentiel de ces projets informatiques ! Et leurs applications possibles en d’autres lieux ( vs. citez l’Atlas nord-africain , ici c’est plutot l’Hymalaya qui peut etre envisage ! ) Mais n’oubliez pas 2 parametres fondamentaux : 1) l’arret du nucleaire suisse est programme pour 2032 ! il n’y a pas le feu au(x) Lac(s) ; 2) les investissements en barrages , tunnels et conduites en tous genres ont ete faits en Suisse en 1 siecle environ… les autres sites n’ont encore RIEN ! Le cout theorique fait deja peur ( et qui va financer ? )+ les couts environnementaux ( qui n’avaient pas forcement ete pris en compte au siecle dernier ) + les risques sismiques effroyables ….Bon vent a tout cela qd. meme , et wait and see…
Par analogie aux Alpes suisses, l’Atlas, entre le Sahara et l’Europe, me semble se poser naturellement comme option pour un programme comme DESERTEC qui lui aussi vise un développement sur plus d’un demi siècle. Les pays dont le gisement solaire sera utilisé seront eux-mêmes intéressés de comprendre les options de stockage qu’ils pourraient mettre à profit pour lisser la production intermittente et s’impliquer davantage dans le projet. Mais ça n’était qu’une remarque finale de trois lignes. Les trois paragraphes précédents s’efforçaient de souligner l’existence de facteurs naturels, industriels et financiers déjà en place en Suisse et éprouvés à grande échelle, dont l’infrastructure hydrolélectrique est un aspect important. C’est bien cette combinaison qui donne aujourd’hui à la Suisse de la crédibilité et un réel avantage dans un tel projet et non l’outil informatique. Quant à la mise en place d’une grosse infrastructure complémentaire, il est temps d’y penser, puisque comme vous le soulignez, il faudra du temps et des moyens pour mener à bien ce genre de projet. Je vois donc dans ELECTRA un outil de prospection et d’aide à la décision, qui pourrait permettre de convaincre certains investisseurs sur la base de combinaisons EnR-stockage. A suivre, sur Enerzine!