Le conflit qui oppose depuis septembre deux géants de la technologie sportive menace l’équilibre d’un écosystème numérique dont dépendent des millions de coureurs et de cyclistes à travers le monde. Strava, l’application phare de suivi d’activités sportives, a intenté un procès contre Garmin, le fabricant de montres connectées, pour violation de brevets portant sur les segments et les cartes de chaleur. Mais derrière cette bataille juridique se cache un enjeu bien plus large. Il s’agirait en fait d’un différend autour de l’attribution des données qui pourrait, au pire, rompre la connexion entre les appareils Garmin et la plateforme Strava dès le 1er novembre. Pour les athlètes qui enregistrent leurs performances sur Garmin et les partagent sur Strava, une éventuelle rupture représenterait un réel bouleversement dans leurs habitudes.
Les racines d’un contentieux vieux de dix ans
Le procès déposé par Strava devant le tribunal fédéral du district du Colorado fin septembre s’articule autour de deux accusations principales. Premier grief, Garmin aurait violé un brevet concernant la technologie des segments, ces portions de parcours où les utilisateurs peuvent se mesurer les uns aux autres. Strava affirme que Garmin a copié cette fonctionnalité après avoir eu accès aux secrets techniques de l’entreprise dans le cadre d’un accord de coopération signé en 2015. À cette époque, les deux sociétés avaient scellé un partenariat pour intégrer les Strava Live Segments directement sur les montres Garmin, une fonctionnalité réservée aux abonnés premium.
Le second point de friction concerne les cartes de chaleur, ces visualisations qui agrègent les données d’itinéraires de millions d’utilisateurs pour identifier les routes populaires. Strava revendique la propriété intellectuelle de la technologie via un brevet déposé en décembre 2013, et reproche à Garmin d’avoir développé des fonctions similaires. Pourtant, Garmin avait déjà intégré des cartes de chaleur dans Garmin Connect dès 2013, plus d’un an avant le dépôt du brevet de Strava.
Une guerre d’API qui enflamme les réseaux sociaux
Si le procès officiel porte sur des questions de propriété intellectuelle, la véritable étincelle qui a embrasé la communauté des coureurs provient d’un autre front avec les nouvelles directives API de Garmin. En juillet, Garmin a annoncé de nouvelles règles exigeant que toute application utilisant les données de ses appareils affiche une attribution claire, sous forme de logo ou de mention textuelle. Strava dispose jusqu’au 1er novembre pour se conformer, faute de quoi Garmin menace de couper l’accès à son API, ce qui empêcherait les activités enregistrées sur les montres Garmin de se synchroniser automatiquement avec Strava.
La position de Strava sur cette question a provoqué une vague de critiques sans précédent au sein de sa propre communauté. L’entreprise dénonce ce qu’elle considère comme une forme de publicité excessive et défend le principe selon lequel les données appartiennent aux utilisateurs, qui devraient pouvoir les transférer librement sans obligation d’affichage de logos.
Une reculade qui enterre les prétentions de Strava
Le 10 octobre, dans un revirement, Strava a envoyé un courriel aux développeurs annonçant qu’elle se conformerait finalement aux exigences d’attribution de Garmin. Les applications qui extraient des données d’appareils Garmin via l’API Strava devront désormais respecter les nouvelles règles de marque de Garmin à partir du 1er novembre, y compris les plateformes qui ne se connectent pas directement à Garmin mais reçoivent des données dérivées. Temporairement du moins, la situation est sauvée en faveur des utilisateurs de Strava.
Pour la communauté des coureurs et des cyclistes, la querelle entre les deux titans arrive au pire moment. Plusieurs utilisateurs ont exprimé leur frustration sur les réseaux sociaux à l’approche de grands événements comme les marathons de Chicago et New York, des courses majeures dont beaucoup d’athlètes espéraient immortaliser les performances sur Strava.
Un pari risqué pour l’avenir de Strava
L’issue juridique du procès demeure incertaine, mais les observateurs de l’industrie prévoient que Garmin contestera vigoureusement la validité des brevets de Strava. Les experts font remarquer que des fonctionnalités similaires aux segments et aux cartes de chaleur existaient bien avant les dépôts de brevets de Strava, ce qui pourrait conduire à leur invalidation. Garmin possède par ailleurs un portefeuille de brevets bien plus étendu que les vingt-six brevets détenus par Strava, ce qui ouvre la porte à d’éventuelles contre-poursuites.
Alors que Strava prépare une éventuelle introduction en bourse, le conflit soulève des interrogations sur la stratégie de sa direction. Plutôt que de renforcer sa position sur le marché, l’entreprise risque de révéler une dépendance critique envers Garmin. La résolution rapide de ce conflit apparaît désormais comme une nécessité stratégique pour les deux entreprises, sous peine de voir leurs utilisateurs communs chercher des alternatives moins tumultueuses.
Sources : dcrainmaker | Strava | Garmin