Dans les régions arides du sud-ouest américain, un monde invisible se trouve sous nos pieds. Les bio-croûtes, ou croûtes biologiques du sol, sont des communautés d’organismes vivants. Ces microbes industrieux comprennent des cyanobactéries, des algues vertes, des champignons, des lichens et des mousses, qui forment une fine couche à la surface des sols dans les écosystèmes arides et semi-arides.
Les bio-croûtes jouent un rôle crucial dans le maintien de la santé des sols et de la durabilité des écosystèmes, mais elles sont actuellement menacées. Les activités humaines, notamment l’agriculture, l’urbanisation et l’utilisation de véhicules tout-terrain, peuvent entraîner la dégradation des bio-croûtes, ce qui a des conséquences à long terme pour ces environnements fragiles. Le changement climatique exerce également une pression sur les bio-croûtes, qui luttent pour s’adapter à la lumière du soleil et à la chaleur torride dans les paysages arides comme le désert de Sonoran.
Ferran Garcia-Pichel de l’université d’État de l’Arizona proposent une approche innovante pour restaurer des bio-croûtes saines. L’idée est d’utiliser les fermes d’énergie solaire nouvelles et existantes comme pépinières pour générer de nouvelles bio-croûtes.
Protégées du soleil par des panneaux solaires, comme des baigneurs sous un parasol, les croûtes biologiques sont à l’abri de la chaleur excessive et peuvent s’épanouir et se développer. En fin de compte, les bio-croûtes nouvellement générées peuvent ensuite être utilisées pour reconstituer les terres arides où de tels sols ont été endommagés ou détruits.
℞ pour les sols désertiques
Dans le cadre d’une étude de validation du concept, les chercheurs de l’ASU ont adapté une ferme solaire suburbaine située dans la partie inférieure du désert de Sonoran pour en faire un terrain de reproduction expérimental pour les bio-croûtes. Au cours des trois années de l’étude, les panneaux photovoltaïques ont favorisé leur formation, doublant ce type de biomasse et triplant la couverture des croûtes biologiques par rapport à des zones ouvertes présentant des caractéristiques de sol similaires.
Lorsque les bio-croûtes ont été récoltées, la régénération naturelle a été modérée, prenant environ 6 à 8 ans pour se rétablir complètement sans intervention. Toutefois, lorsque les zones récoltées ont été réinoculées, la régénération a été beaucoup plus rapide, la couverture de croûtes biologiques atteignant des niveaux proches des niveaux d’origine en l’espace d’un an.
Les chercheurs soulignent que l’utilisation de fermes solaires similaires, mais plus grandes, pourrait constituer une méthode peu coûteuse, à faible impact et de grande capacité pour régénérer les bio-croûtes et étendre les approches de restauration des sols à l’échelle régionale. Ils ont baptisé leur approche pionnière « crustivoltaïque* ».
L’étude estime que l’utilisation des trois plus grandes fermes solaires du comté de Maricopa, en Arizona, comme pépinières de croûtes biologiques pourrait permettre à une petite entreprise de rajeunir toutes les terres agricoles en friche du comté, soit plus de 70 000 hectares, en moins de cinq ans. Parmi les nombreux avantages pour l’environnement, cet effort de restauration a le potentiel de réduire de manière significative la poussière en suspension dans l’air qui affecte actuellement la région métropolitaine de Phoenix.
« Cette technologie peut changer la donne en matière de restauration des sols arides« , déclare Mme Garcia-Pichel. « Pour la première fois, des échelles régionales sont à notre portée, et nous ne pourrions pas être plus enthousiastes. De plus, la « crustivoltaïque » représente une approche gagnant-gagnant pour la conservation des terres arides et pour l’industrie de l’énergie ».
Mme Garcia-Pichel est professeur titulaire à l’École des sciences de la vie et directrice fondatrice du Biodesign Center for Fundamental & Applied Microbiomics (Centre de biodesign pour la microbiomique fondamentale et appliquée). Ce centre regroupe des chercheurs qui étudient les assemblages de microbes (ou microbiomes) agissant à l’unisson dans divers environnements, des humains aux animaux et aux plantes, en passant par les océans et les déserts. Le laboratoire de Mme Garcia-Pichel s’est spécialisé dans l’étude et les applications des microbiomes des sols désertiques.
Les conclusions du groupe figurent dans le numéro actuel de la revue Nature Sustainability, dans une publication codirigée par l’étudiante diplômée Ana « Meches » Heredia-Velásquez et l’ancienne étudiante diplômée Ana Giraldo-Silva, aujourd’hui professeur à l’université publique de Navarre, en Espagne. Cette contribution fait l’objet d’une présentation séparée dans la revue Nature.
Matrice vivante
Les croûtes biologiques sont des écosystèmes complexes que les chercheurs commencent à peine à explorer. Parmi leurs nombreuses fonctions ménagères, elles stabilisent le sol en liant les particules de sol entre elles, minimisant ainsi la perte de terre arable causée par le vent et l’eau. Elles contribuent au cycle des nutriments en fixant l’azote atmosphérique, un processus au cours duquel l’azote gazeux est converti en ammoniac, ce qui le rend disponible pour les plantes. Les cyanobactéries, présentes dans les biocroûtes, sont les principaux organismes responsables de ce processus.
Les activités photosynthétiques au sein des biocroûtes jouent un rôle dans le stockage du carbone en fixant le dioxyde de carbone atmosphérique. Ce processus peut contribuer à atténuer certains effets du changement climatique en éliminant le dioxyde de carbone de l’atmosphère. Les croûtes biologiques augmentent également la capacité de rétention d’eau du sol, ce qui permet à une plus grande quantité d’eau de s’infiltrer dans le sol et de réduire le ruissellement. Cela contribue à améliorer la disponibilité de l’eau pour les plantes et les autres organismes dans les écosystèmes arides.
Enfin, les croûtes biologiques abritent une communauté diversifiée de micro-organismes qui contribuent à la biodiversité et à la résilience de l’ensemble de l’écosystème.
Les zones arides, qui représentent environ 41 % de la surface continentale de la Terre, subissent une grave dégradation due aux activités humaines et au changement climatique. Les communautés de micro-organismes présentes à la surface des sols sont vitales pour protéger et fertiliser ces sols et sont essentielles à la durabilité des zones arides. Toutefois, les méthodes actuelles de restauration de la biocroûte impliquent des efforts importants et une faible capacité, ce qui limite leur application à de petites zones. Les méthodes existantes ont eu du mal à reconstituer plus de quelques centaines de mètres carrés de terre.
Solutions solaires
La recherche suggère que les fermes solaires servent de points chauds pour la biocroûte, car les panneaux photovoltaïques surélevés créent un microclimat semblable à celui d’une serre qui favorise le développement de la biocroûte. Bien que le photovoltaïque soit une méthode plus lente et dépendante des conditions météorologiques que les pépinières de biocroûtes de la taille d’une serre, elle présente de nombreux avantages. Cette technique nécessite moins de ressources, une gestion minimale et aucun investissement initial. En effet, l’utilisation de la « crustivoltaïque » est 10 000 fois plus rentable que les méthodes actuelles, selon les résultats de la recherche.
Les prochaines étapes consisteront à mettre en œuvre la technologie « crustivoltaïque » à l’échelle régionale grâce à la coopération des scientifiques, des agences de collaboration, des utilisateurs et des gestionnaires des terres. L’utilisation de cette technique peut inciter les exploitants de fermes solaires à réduire la formation de poussière sur les panneaux solaires et à augmenter leurs revenus grâce aux crédits de carbone.
L’approche « crustivoltaïque » a le potentiel d’offrir une solution à double usage pour la production d’énergie solaire et la restauration de la bio-croûte à grande échelle, tout en apportant des avantages socio-économiques. Cette méthode pourrait jouer un rôle important dans la restauration et la durabilité des écosystèmes des zones arides.
Définitions
Les biocroûtes (ou crustacés biologiques du sol) sont des communautés d’organismes vivants comprenant notamment des cyanobactéries, des algues vertes, des champignons, des lichens et des mousses. Elles forment une mince couche à la surface des sols dans les écosystèmes arides et semi-arides. Les biocroûtes jouent un rôle crucial dans le maintien de la santé des sols et la durabilité des écosystèmes en favorisant notamment la fixation de l’azote, la stabilisation du sol et la régulation de l’eau.
Le terme « crustivoltaïque » : un mot créé récemment pour décrire une technologie émergente qui utilise des micro-organismes présents dans les croûtes biologiques (crustacés) pour produire de l’électricité à partir de l’énergie solaire. En somme, le concept de « crustivoltaïque » est lié à l’utilisation des micro-organismes des biocroûtes pour produire de l’énergie électrique.
Légendes illustration / Les biocroûtes sont des écosystèmes complexes que les chercheurs commencent à peine à explorer. Parmi leurs nombreuses fonctions ménagères, elles stabilisent le sol en liant les particules de sol entre elles, minimisant ainsi la perte de terre arable causée par le vent et l’eau. Elles contribuent au cycle des nutriments en fixant l’azote atmosphérique, un processus au cours duquel l’azote gazeux est converti en ammoniac, ce qui le rend disponible pour les plantes. Les cyanobactéries, présentes dans les biocroûtes, sont les principaux organismes responsables de ce processus.
Crédit image / L’institut Biodesign de l’université d’État de l’Arizona