La maladie de Lyme bouleverse chaque année la vie de près de 500 000 personnes aux États-Unis. Transmise par les tiques à pattes noires ayant prélevé le sang de cervidés ou de rongeurs infectés, l’infection provoque fièvre, douleurs et, sans traitement rapide, laisse des séquelles articulaires, cardiaques ou neurologiques durables.
Une équipe de l’Université du Nord-Ouest, dirigée par Brandon Lee Jutras, microbiologiste-immunologiste, vient de braquer les projecteurs sur la « pipéracilline« , un vieil antibiotique apparenté à la pénicilline. Leur étude, publiée dans Science Translational Medicine, montre que la molécule élimine Borrelia burgdorferi chez la souris à une dose cent fois inférieure à la doxycycline, le traitement de référence. À un tel niveau, l’antibiotique préserve quasiment intact le microbiote intestinal, un avantage précieux pour les patients.
De la bibliothèque chimique au candidat idéal
Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont passé en revue près de 500 composés issus d’une vaste banque de médicaments. Leur approche s’appuie sur un crible moléculaire capable d’anticiper l’interaction entre des antibiotiques et des cibles bactériennes. La pipéracilline a émergé grâce à sa capacité singulière à bloquer la synthèse, atypique, de la paroi cellulaire des spirochètes responsables de Lyme. Incapables de se diviser, les bactéries finissent par mourir, tandis que les bactéries bénéfiques de l’intestin restent, elles, épargnées.
La doxycycline perturbe l’équilibre intestinal et n’est pas efficace chez 10 à 20 % des personnes qui la prennent. S’ajoute une contrainte réglementaire : l’antibiotique est proscrit chez les jeunes enfants, population pourtant la plus sujette aux morsures de tique. La pipéracilline, déjà approuvée par l’Agence américaine des médicaments (FDA) contre certaines pneumonies, pourrait combler cette lacune thérapeutique.
Un traitement plus spécifique à la maladie de Lyme
« Les antibiotiques puissants à large spectre qui tuent les bactéries extracellulaires sont considérés comme les médicaments les plus efficaces parce que les médecins veulent simplement tuer la bactérie sans se soucier de la manière. » a déclaré Brandon L. Jutras, qui a dirigé la recherche.
« Il s’agit certainement d’une approche raisonnable, mais je pense que l’avenir des patients atteints de la maladie de Lyme est prometteur dans la mesure où nous approchons de l’ère de la médecine personnalisée et où nous pouvons potentiellement créer un médicament particulier ou une combinaison de médicaments pour traiter la maladie de Lyme lorsque les autres échouent. Plus nous comprenons les différentes souches et espèces de Borrelia responsables de la maladie de Lyme, plus nous nous rapprochons d’une approche personnalisée. »
Vers une prophylaxie simplifiée ?
L’étude ouvre un débat : une injection unique de pipéracilline immédiatement après une morsure confirmerait-elle sa capacité à empêcher l’infection ? Avec des saisons de plus en plus longues pour les tiques, la question devient pressante dans le Nord-Est et le Midwest américains. Aucune vaccination humaine n’étant disponible, la prévention repose pour l’instant sur la vigilance individuelle et des tests diagnostiques encore perfectibles.
Le laboratoire de Brandon Lee Jutras a d’ailleurs été distingué par le concours LymeX Diagnostics, doté de 10 millions de dollars, pour ses travaux visant à améliorer la détection précoce.
Avant toute recommandation clinique, des essais sur l’humain devront confirmer la dose minimale efficace, l’absence d’effets secondaires graves et la pertinence d’une utilisation préventive. Les chercheurs entendent également comparer l’efficacité de la pipéracilline sur diverses souches de Borrelia, histoire de vérifier que l’ennemi n’a pas plus d’un tour dans son sac.
« Les bactéries sont intelligentes », a ajouté Brandon L. Jutras. « Les streptocoques et d’autres bactéries combattent les antibiotiques en sécrétant des bêta-lactamases qui inactivent la pipéracilline. Nous avons découvert que cette approche n’est absolument pas pertinente dans le contexte de la maladie de Lyme et qu’il existe un autre moyen de rendre la pipéracilline plus spécifique. L’ajout d’un inhibiteur de bêta-lactamase n’améliore pas le traitement car les Borrelia de Lyme ne produisent pas de bêta-lactamase, mais le cocktail a un impact négatif sur le microbiome en devenant plus largement fonctionnel contre les résidents bénéfiques. »
Si les essais cliniques valident les résultats précliniques, médecins et patients disposeront d’un traitement plus ciblé, mieux toléré et applicable aux enfants. Pour l’heure, l’espoir demeure mesuré : la maladie de Lyme continue de se propager, portée par des tiques plus actives que jamais. Cependant, l’idée qu’un antibiotique déjà bien connu puisse alléger la souffrance de centaines de milliers de malades reste la bienvenue.
Article : « A high-resolution screen identifies a preexisting beta-lactam that specifically treats Lyme disease in mice » – DOI : 10.1126/scitranslmed.adr9091