Pour la première fois, les émissions de méthane par bullage des barrages tropicaux ont été précisément quantifiées, ce qui a permis de découvrir que ce mode d’émission dépend à la fois du niveau d’eau dans le barrage, sous contrôle de la mousson, et des variations de pression atmosphérique journalières.
Les barrages tropicaux émettraient plus de 10 % du méthane d’origine anthropique, mais leurs émissions restent encore très mal quantifiées. Dans cette étude, un nouveau système automatisé de mesure en continu des flux de méthane a été déployé sur le lac de retenue du plus grand barrage d’Asie du Sud-Est. Les résultats de ces travaux, menés par des chercheurs du Laboratoire d’aérologie (CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier) et du laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (CNRS/Université Toulouse III Paul Sabatier/IRD), sont publiés dans la revue Biogeosciences le 13 août 2014.
Depuis une dizaine d’années, on sait que les barrages hydroélectriques des régions tropicales constituent une source significative de méthane (CH4), un gaz à effet de serre bien plus puissant que le dioxyde de carbone (1). Le méthane est produit par des bactéries qui décomposent la matière organique des sols et de la végétation inondée lors de la mise en eau. Les barrages des régions tropicales relâcheraient dans l’atmosphère entre 1 et 18% du méthane lié aux activités humaines (2).
Mais ces émissions sont encore mal quantifiées car seul un faible nombre de barrages a été étudié, et toutes les voies d’émission n’ont pas été prises en compte. En effet, le méthane peut s’échapper du réservoir dans l’atmosphère par diffusion (lorsque du gaz dissous dans l’eau atteint l’atmosphère), ou par bullage (quand de grosses bulles de gaz remontent du fond et éclatent à la surface de l’eau), mais aussi à l’aval des turbines, par dégazage (les remous accélère le transfert du méthane dissous vers l’atmosphère). Or actuellement, seule la diffusion est étudiée systématiquement, les autres voies l’étant rarement.
Le barrage de Nam Theun 2 (le plus grand du Sud-est asiatique), au Laos, a été étudié par le groupe de chercheurs avant même sa mise en eau, en mai 2008, et depuis lors. En plus des méthodes classiques (chambres flottantes qui capturent les émanations gazeuses causées par la diffusion ; entonnoirs submergés qui piègent les bulles), ils ont pour la première fois mis en œuvre une méthode innovante de mesure des émissions totales de méthane. Concrètement, une station micrométéorologique déployée sur le lac de retenue de 450 km² capte en continu la vitesse verticale du vent et la concentration de CH4, ce qui permet de calculer le flux de méthane (3) en provenance du lac. Contrairement aux méthodes classiques, qui nécessitent une présence humaine, ces stations sont automatisées et assurent des mesures à intervalles de 30 minutes 24h sur 24.
En réalisant ces mesures sur le barrage de Nam Theun 2, les scientifiques ont montré que le bullage a représenté 60 à 80 % des émissions totales de la retenue d’eau dans les premières années qui ont suivi la mise en eau du barrage.
Par ailleurs, l’intensité du bullage varie à la fois à l’échelle de la journée et de manière saisonnière. C’est au cours des quatre mois de la saison sèche chaude (de mi-février à mi-juin) que les émissions sont maximales, car le niveau d’eau est alors bas. Le rythme journalier, quant à lui, est contrôlé par la pression atmosphérique : lors des deux chutes de pression quotidiennes (en milieu de journée et en milieu de nuit), le bullage de CH4 augmente. Des données journalières de pression atmosphérique et de niveau d’eau ont donc permis de reconstruire, grâce à un modèle statistique, les émissions par bullage sur une période continue de quatre années (2009-2013) pour laquelle on ne disposait pas nécessairement de mesures d’émission directe.
Les résultats obtenus soulignent l’importance de mesures très fréquentes des flux de méthane. Ils montrent aussi que le processus de bullage, et donc la quantité de méthane émise par les barrages tropicaux pendant leurs premières années de fonctionnement, ont très certainement été sous-estimés jusqu’à présent. Prochaine étape pour les chercheurs : parvenir à quantifier tout aussi précisément la diffusion à la surface du réservoir et les émissions en aval du barrage pour compléter le bilan des émissions de méthane par ce barrage, et mieux évaluer leur contribution à l’effet de serre à l’échelle de la planète.
Notes :
(1) le potentiel de réchauffement global sert à estimer la contribution d’un gaz au réchauffement (en fonction de sa capacité à bloquer le rayonnement infrarouge de la Terre et de sa durée de vie dans l’atmosphère). A l’échelle de 100 ans, il est de 28 pour le méthane, contre 1 pour le dioxyde de carbone.
(2) le reste des émissions anthropiques de méthane provenant de l’agriculture (élevage et rizières), de l’exploitation des hydrocarbures, et des déchets et eaux usées.
(3) le flux de méthane désigne la quantité de CH4 émis par m² et par jour.
Références : Physical controls on CH4 emissions from a newly flooded subtropical freshwater hydroelectric reservoir: Nam Theun 2, C. Deshmukh, D. Serça, C. Delon, R Tardif, M. Demarty, C. Jarnot, Y. Meyerfeld, V. Chanudet, P. Guédant, W. Rode, S. Desclou, and F. Guérin, Biogeosciences, 13 août 2014.
l’ENR la plus importante, à savoir l’hydroélectricité est également source de CH4, embêtant, car ni le PV, ni l’éolien ne seraient en mesure de compenser la production hydroélectrique, qui doit être arrétée, étant source d’un GES 25 fois plus « dangereux » que le CO2. Ou alors, j’ai rien compris aux alarmes climastrologiques.
très bonne nouvelle, plus besoin de creuser pour trouver du méthane, juste besoin d’une grande couverture ;o)