L’Europe peine depuis des décennies à s’affirmer dans la course mondiale aux technologies de pointe en matière d’informatique. La dépendance vis-à-vis des géants américains et asiatiques pour les puces électroniques et les systèmes informatiques avancés a longtemps freiné l’autonomie technologique du continent. Une initiative récente pourrait toutefois modifier ce rapport de force, grâce à une innovation majeure issue de recherches suédoises.
Optimisation des mémoires cache : un levier stratégique
Dans le cadre d’un projet ambitieux mené par l’Université de technologie de Chalmers et l’Université de Göteborg, une percée technologique a été réalisée dans le domaine des mémoires cache. Ces dernières constituent un élément essentiel des ordinateurs modernes, servant à stocker temporairement les données fréquemment utilisées pour accélérer leur traitement. Les chercheurs ont conçu une solution permettant au cache de gérer un nombre bien plus élevé d’éléments de traitement (PEs) que les systèmes actuels.
Per Stenström, professeur au Département d’informatique et de génie de Chalmers et de l’Université de Göteborg, souligne l’importance de cette optimisation pour répondre aux besoins croissants des futurs systèmes informatiques : “Notre solution permet aux ordinateurs de récupérer des données beaucoup plus rapidement qu’auparavant, car le cache peut gérer beaucoup plus d’éléments de traitement (PE) que la plupart des systèmes existants. Cela permet de répondre aux exigences des puissants ordinateurs de demain.”
L’amélioration apportée repose sur une meilleure gestion des informations relatives à la localisation et au traitement des données au sein du système. Cette évolution a permis d’accroître la capacité du cache à traiter efficacement les données, augmentant ainsi sa vitesse opérationnelle. L’impact de cette solution se traduit par une performance accrue des ordinateurs, avec des temps de réponse réduits et une fluidité renforcée.
Vers une autonomie européenne en matière de puces informatiques
Cette innovation s’inscrit dans le cadre de l’initiative européenne baptisée « The European Processor Initiative (EPI). Son objectif principal consiste à bâtir une industrie européenne des processeurs afin de garantir une indépendance dans le domaine des supercalculateurs. Pour Per Stenström, il est indispensable que les États membres de l’Union européenne contrôlent l’intégralité de la chaîne, depuis les droits de propriété intellectuelle jusqu’à la fabrication des composants.
“L’incertitude du paysage mondial rend encore plus importante la nécessité de garantir l’indépendance de l’Europe en matière de technologies informatiques avancées,” déclare-t-il. Cette prise de position intervient après la pénurie aiguë de semi-conducteurs observée durant la pandémie de COVID-19. En réponse à cette crise, l’UE a décidé d’allouer 43 milliards d’euros via le « European Chips Act », entré en vigueur en 2023. Ce plan stratégique vise à assurer un approvisionnement stable en semi-conducteurs au sein de l’Union.

Actuellement, l’Europe dépend largement des technologies américaines, tandis que la quasi-totalité de la production informatique est concentrée en Asie. Cette situation fragilise le continent face aux fluctuations économiques et géopolitiques mondiales. L’objectif affiché par EPI est donc de permettre à l’Europe de concevoir des technologies informatiques compétitives capables de rivaliser avec les leaders mondiaux d’ici 2030.
Des applications allant des supercalculateurs aux ordinateurs grand public
Les premières applications des composants développés par l’équipe de recherche seront intégrées dans un système européen de calcul haute performance prévu pour 2030. Selon Per Stenström, “Il s’agira de l’un des ordinateurs classiques les plus rapides au monde, capable de modéliser le changement climatique, la météo et d’autres calculs similaires nécessitant une grande puissance de traitement.” Ces machines, qualifiées de supercalculateurs, joueront un rôle clé dans des domaines tels que la modélisation climatique ou les simulations complexes nécessitant une immense puissance de calcul.
Au-delà des supercalculateurs, cette technologie devrait également être adoptée par les ordinateurs standards dans un délai de quelques années. Les dispositifs grand public bénéficieront ainsi d’une rapidité accrue et d’une efficacité énergétique améliorée, offrant une expérience utilisateur optimale pour des tâches quotidiennes. Cette transition vers des appareils plus performants illustre parfaitement l’ambition de rendre accessibles les innovations issues de la recherche académique.
Légende illustration : Démonstration de la version 1.5 de la puce d’accélération EPAC, qui intègre la technologie de Per Stenström et de son équipe. La puce sera utilisée dans un superordinateur prévu pour 2030. La puce est placée dans la boîte noire sous le ventilateur. Crédit photo : Filippo Mantovani
Source : Chalmers University of Technology